Chapitre 43

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Quand vient le vent d'octobre, on s'enferme le jour dans les galeries, le soir dans les théâtres, transportés par les voix des chanteuses, les lumières qui métamorphosent la scène en réalité, la réalité en rêve, le rêve en vérité.

Le froid au fond des poches, l'opéra et le jazz bataillent dans la tête, éternelle querelle des anciens et des modernes que disputent encore, sur le trottoir, les étudiants qui traînent un peu, le temps d'une cigarette – Steve grogne intérieurement. L'agilité surnaturelle des Nicholas Brothers a éclipsé le désir de voler. Steve seul a le sourire un peu jaune. C'est le plus beau spectacle que j'aie jamais vu, je n'en doute pas mais je ne me sentirai pas à ma place dans ce monde tant que les enfants de nos esclaves danseront pour nous divertir, que je sentirai leurs cendres sous mes pieds, leur sang dans le coton de mes habits. On lui presse l'épaule. Croyant qu'un camarade le rappelle à son attention, Steve sourit plus franchement mais à côté de lui, Samuel arrondit les yeux. C'était Wallace. Pour le saluer, Steve se détourne avec reconnaissance du nuage de tabac, lègue sa place aux amis du sculpteur, habillés de cravates rouges et vertes, ravis de polir leur aura savante auprès des apprentis. Leur groupe planté dans la rue fait tiquer des passants qui n'osent rien dire.

« On va finir la soirée au Red's, dit Wallace à Steve, comme si c'était un secret.

- Harlem ?

- Oh, tu connais ? s'étonne-t-il. Ça alors...! Mais tu caches bien ton j...

- Pas vraiment, rectifie Steve avant qu'un malentendu ne s'étende, je sais seulement que c'est à Harlem. Je me suis baladé là-bas il y a quelques années.

- Avec James ?

- Oui. »

Wallace balance d'un pied sur l'autre, mais même dans son hésitation, il est le maître du monde.

« Je me demande si c'est ton genre. »

Steve travaille trop pour avoir l'énergie de sortir, et il sait déjà que la fête, ce n'est pas son truc, enfin ça pourrait l'être si – avec une multitude de si qui déferlent comme du plomb, il a la flemme de compter. Il hausse les épaules, adorablement ignorant :

« Je ne pense pas. »

Wallace hausse les sourcils, les yeux pleins de petites méduses électriques prêtes à te happer ou te brûler, ce surplus de vie qu'il insuffle à son art, son tyran intérieur à l'odeur poivrée de lavande.

« C'est bizarre, insinue-t-il adorablement contrarié. D'habitude, j'arrive à savoir.

- C'est quel genre ? finit par demander Steve, intrigué.

- Mauvais genre, répond-il après un silence.

Tous les genres. »

Il danse d'une jambe sur l'autre, la moue exquise. Wallace, c'est le genre de gars qui fera dire, un siècle plus tard : « Hum, si j'étais de l'autre bord, il serait mon genre ». Le genre à faire craquer certains de ceux qui disent ça.

Non ? s'épouvante Steve, sans savoir si l'épouvante est un sentiment approprié. Wallace ? s'exclame aussi la surprise incrédule. Il veut bien dire... ? Bucky ne s'était pas trompé ?

« J'ai bien compris ? murmure Steve, étranglé.

- Je crois, vu ta tête.

- Es-tu une... une fairy ?

- Oh Steve, tu t'y connais donc bien plus qu'on ne le penserait...

- Eh... ! balbutie Steve incapable de rien articuler pour se défendre.

- Non, répond Wallace, avec une compassion très patiente. Bien que j'aie un respect profond pour elles, personnellement je ne me costume pas, je ne vends rien non plus – et je n'achète pas. Je ne suis ni un punk, ni un wolf, on ne vit plus forcément les choses comme ça.

À BrooklynOù les histoires vivent. Découvrez maintenant