Chapitre 4*

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Seul le bruit du cuir résonne dans mes oreilles. Je suis concentrée sur mon objectif et je continue à le marteler sans entendre, sans voir ce qui m'entoure. Mes poings sont douloureux, mais je ne peux pas m'arrêter. Cela fait plusieurs minutes que je frappe ce sac sans interruption. La sueur a recouvert mon visage et coule le long de ma colonne. Ça me soulage. Les deux appels reçus l'autre soir m'ont bouleversé et ont hanté la nuit qui a suivi. Aujourd'hui, je suis de repos et j'ai eu ce besoin de venir me défouler à la salle proche de chez moi. À cette heure tardive, la salle est presque vide ce qui me permet d'extérioriser toute ma colère sans gène.

— Je savais que je te trouverais là, me lance une voix familière, me sortant de mes pensées.

— Où veux-tu que je sois si je ne suis pas à l'appart ? je réponds le sourire aux lèvres en continuant de frapper.

Je sens le sac se stabiliser maintenue par deux mains parfaitement manucurées, mais malgré tout habituées à cette position de maintien. Je décide que c'est le moment de me reconnecter au monde extérieur et ralentis mes mouvements. C'est avec un grand sourire que je prends ma meilleure amie dans mes bras sans retenue.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu ne devais pas venir avant le mois prochain.

— Je peux repartir si tu veux ? me lance-t-elle avec un air de défi.

— Allez viens... je vais me rendre présentable.

Tentant de la tirer avec moi vers le vestiaire, elle me résiste comme pour me signifier qu'elle veut d'abord me parler. Je sais de quoi elle veut m'entretenir et cette idée ne me ravit pas vraiment. D'un air sévère, sans mot dire, elle insiste du regard.

— Quoi ? Tu veux que je te dise quoi ? m'énervé-je.

Alice a toujours été ma meilleure amie du plus loin que je m'en rappelle. Toujours là pour moi dans les moments difficiles et il y en a eu beaucoup, malheureusement. À 17 ans, mes parents sont morts dans un accident de voiture et je me suis retrouvée seule à me gérer. Au lycée, sans revenue, j'ai dû porter mon deuil et continuer à vivre, à avoir des projets. Si Alice et ses parents n'avaient pas été là... Je me serai laissé aller... Je n'aurai pas continué à vivre.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Je t'ai dit que je m'inquiétais pour toi, mais tu n'as rien fait pour me rassurer... Tu recommences à te renfermer Mélanie. Raconte-moi.

Honnêtement, je n'ai pas envie de lui parler du petit incident au travail. Cela reste secondaire par rapport à mes tracas quotidiens. C'est pourtant eux qui m'ont mis dans cet état, mais je sais qu'elle fait plus allusion au fait que depuis son départ et celui de tous nos amis d'ailleurs, je ne fais plus rien et reste seule la plupart du temps.

— Je suis comme d'habitude Al, boulot dodo et un peu de boxe, c'est tout ce qui me faut.

Mélanie me scrute de la tête au pied sans retenue. Elle hausse un sourcil, le sourire aux lèvres.

— Je sais ce qu'il te faut... Allez va te changer, on décolle.

Sans lui laisser le temps de poursuivre, je quitte la salle pour me doucher au vestiaire. Je suis contente de la voir. Avant son départ, nous étions inséparables malgré nos grandes différences. Alice est une femme que j'appelle parfaite, toujours apprêtée, sûre d'elle, très sociale et tellement intelligente. Pour ma part, je suis plus le petit canard à côté, très solitaire et mon apparence n'est pas ma première préoccupation même si notre ancienne colocation a laissé des traces quant à mes choix vestimentaires. Depuis quelques semaines je me suis un peu laissée aller. Après tout je quitte mon travail à minuit, j'évite d'être en mini jupe pour traverser le quartier seule.

Je sais exactement où elle veut m'emmener et inconsciemment, je trépigne d'impatience.

— Bon alors, ça fait du bien ? J'espère parce que je me caille, me lance Al s'emmitouflant dans son col roulé.

Je souris largement sachant pertinemment qu'elle ne peut pas me voir dos à moi. Ça fait un bien fou. Al m'a emmené à la tour du gai qui surplombe la ville. L'air frais nous frappe de plein fouet, mais j'ai toujours aimé venir ici. Voir la grandeur de la ville me permet de relativiser sur mes problèmes. Al a horreur de venir ici, mais elle l'a toujours fait pour moi. C'est l'endroit où j'aimais me réfugier au décès de mes parents pour la simple et bonne raison que c'est ici que mon père m'emmenait petite pour voir la nuit étoilée au mois d'août, « loin des gens » comme il aimait le préciser.

— Merci, soufflé-je à mon amie.

— Tu me racontes maintenant... ou faut que je te pende par les pieds au-dessus du vide ?

— Il n'y a rien à dire Al, je... Je ne sais pas... Je me retrouve pas mal seule en ce moment et je cogite. Tu sais comment je suis. J'ai l'impression de vivre un échec avec ce nouveau boulot...

— Même si ce n'est pas ce que tu voulais, ça reste un taf Mél. Je suis sûre que tu ne fais aucun effort pour aller vers les autres... je me trompe ? insiste-t-elle.

Je baisse les yeux pour confirmer ses dires.

— Sors de ta bulle... Trouve-toi quelqu'un ou je ne sais pas moi une autre meilleure amie, s'énerve-t-elle.

Sa dernière réplique me fait rire et je finis par lui raconter les dernières semaines et mes débuts au sein de ma nouvelle entreprise en omettant volontairement de parler de ma peur de l'autre soir.

— Promets-moi de rejoindre l'équipe du soir lundi. Ils sont surement cool et ça te permettra de faire connaissance. Ce n'est pas en t'enfermant comme ça que tu arriveras à avancer, tu le sais. Tu allais bien avant mon départ. Ne me fais pas culpabiliser d'être partie.

Ses mots me vont droit au cœur, car je ne voulais pas créer ce sentiment de culpabilité. Il est vrai que j'ai mal vécu son départ et ma recherche d'emploi sans fin n'a pas aidé, mais elle a tout à fait raison, je dois redevenir celle que j'étais ou du moins essayer. Al a eu la chance de sa vie d'être engagée par cette agence en communication réputée, je devrais être contente plutôt que de me plaindre de son départ.

— Tu as eu des nouvelles de James ? ose-t-elle dans un murmure.

— Tu plaisantes ? Tu crois vraiment que j'aurai répondu.

— Tu es dure avec lui, il n'a jamais vraiment pu s'expliquer.

— Je pense que la blonde platine accrochée à son bras a en partie levé le voile non ?

Al explose de rire, comme pour détendre la tension naissante et m'aide à me lever pour rejoindre sa voiture. James était ma dernière longue relation qui a tourné au fiasco quand j'ai découvert que ces soirées entre potes du jeudi soir se limitaient à UNE pote. S'il y a bien une personne qui ne me manque pas, c'est lui. 

Panique au bout du filOù les histoires vivent. Découvrez maintenant