Chapitre 16*

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Quelques jours plus tard, assise sur le trottoir, je ne lâche pas mon regard de la vieille bâtisse de l'autre côté de la route. J'ai l'impression de revivre en un seul coup d'œil tous les souvenirs, toutes les odeurs, les rires, les pleurs... Tout ce qui faisait que ma vie avant était si différente et tout ceci me manque tellement.

C'est une petite maison des années 70 en briques, proche du centre. Des passiflores, plantées à ma naissance, recouvrent maintenant une partie de la façade comme si elles essayaient de la cacher du temps. Elles étaient les fleurs préférées de ma mère. À la vue des volets violets abîmés par les années, un sourire s'étend sur mes lèvres. Il avait fallu plusieurs mois à mes parents pour choisir la couleur définitive et comme d'habitude ma mère avait gagné.

Cette maison n'est pas très grande, mais elle l'était suffisamment pour trois personnes. Le jardin est bien entretenu de ce que je peux apercevoir. Je suis ravie de voir que les nouveaux résidents continuent à respecter le travail de mon père qui avait passé un temps infini à l'aménager et surtout à choisir les arbres les plus adaptés.

C'est aujourd'hui, le jour de l'anniversaire de la mort de mes parents. Je sais le terme est mal choisi, mais c'est comme ça que l'on dit non ? Comme tous les ans, je suis venue observer notre ancienne maison, celle dont on m'a demandé de partir il y a maintenant quelques années. Elle n'appartenait pas à mes parents, j'ai donc dû la quitter rapidement, ne pouvant assumer le loyer. Ça a été très dur pour moi de partir, comme si je quittais une partie de moi-même, une partie d'eux. J'ai finalement pris conscience que les souvenirs restaient ancrés en moi et que je n'avais pas besoin de m'endetter pour continuer à me rappeler. Par contre, je me permets une fois par an, ce jour précis de venir ici juste pour la voir. Ça me fait mal, mais en même temps, j'en ai besoin, c'est étrange ; je ne sais pas trop comment expliquer ce besoin.

Je suis arrivée très tôt ce matin, peut-être 8 h ou 9 h et je n'ai pas bougé depuis. Les occupants actuels me connaissent, ils m'ont déjà vu ici à regarder la maison. Ils savent pourquoi je suis là. Une fois, ils m'ont proposé de rentrer, mais je n'ai jamais voulu. Je ne veux pas voir un intérieur différent de mes souvenirs. Je préfère garder une image intacte du dernier lieu de vie de mes parents.

Comme à chaque fois, mes joues sont couvertes de larmes sans que je m'en rende vraiment compte. Ce n'est que quand j'entends la sonnerie de mon téléphone, réveil programmé pour me rappeler de me préparer pour travailler, que je décide que le temps de recueil est terminé. La vie continue... et je dois continuer à espérer un jour faire mon deuil.

Après plusieurs appels, je prends une pause, beaucoup plus tôt que d'habitude, et je descends pour fumer une cigarette. J'ai un besoin de m'isoler, plus marqué que les autres jours. Demain, ça ira mieux.

— Attends, Mél ! M'interpelle-t-on dans le hall.

Rémi arrive au pas de course par la porte de l'escalier. Essoufflé, il s'approche de moi l'air inquiet.

— Ça va ?

Les larmes qui étaient restées bloquées depuis mon premier appel de la journée s'écoulent.

— C'est à cette date...

— Ok, viens, je te paye une clope... lance-t-il en m'attrapant par la main.

Il ne me laisse pas finir, il sait exactement ce que je m'apprêtais à dire. Je me suis déjà confiée à lui. Nous sortons devant le bâtiment et nous nous mettons un peu à l'écart des regards indiscrets. En levant les yeux pour le remercier d'un simple regard, de ne pas trop me parler, je la vois courir pour me rejoindre.

— Je suis là ma belle, me dit-elle en me serrant dans ses bras comme j'en avais besoin.

Après plusieurs sanglots et des paroles réconfortantes, Rémi finit par se manifester :

— Euh... Alice, je présume ?

Nous nous séparons, toutes les deux les larmes aux yeux. Alice est là... je la soupçonne d'avoir prévu d'attendre toute la journée devant le bâtiment dans l'espoir de me voir prendre une pause.

— Exactement ! Enchanté, ajoute-t-elle en lui tendant une main.

Je fais des présentations rapides et mon sourire revient peu à peu. Oui, je lui en veux, mais à force de me repasser les mots de James et Rémi, je me dis qu'ils ont raison, je dois leur laisser une chance. On parle d'Alice là.

— Bon je dois remonter... Par contre Mélanie, en tant que supérieur, je dois te dire que tu as l'air bien malade et que je vais être obligé de t'ordonner de rentrer chez toi...

— Je ne peux pas avoir d'absence non justifiée, ça va me coûter cher...

— Crois-moi, elle sera justifiée, ajoute-t-il avec un clin d'œil séducteur. Je vais chercher tes affaires et tu files, ok ? Aujourd'hui, tu as besoin de te vider la tête. C'est non négociable.

Il ne me laisse pas le temps de répondre qu'il a déjà regagné le bâtiment. Alice me reprend dans ses bras, à priori ravie de me retrouver et je ne vais pas m'en plaindre.

— Tu m'expliqueras qui est ce mec-là, je suis perdue, me murmure-t-elle au coin de l'oreille.

J'explose de rire à sa remarque et lui confirme par un signe de tête. C'est évidemment à ce moment-là que Thierry choisit de sortir pour s'aérer :

— Eh la crevette, ça ne va pas ? Rémi est en train de récupérer tes affaires. Tu ne te sens pas bien ? s'inquiète-t-il, ignorant complètement la présence de mon amie.

Je prends une minute pour lui expliquer qu'effectivement je ne suis pas très bien et que je préfère rentrer. Ce n'est qu'un petit mensonge de rien du tout. Alice qui est toujours très proche de moi continue ses messes basses :

— ok, alors là, effectivement, tu as beaucoup de choses à me raconter ! N'y en a pas d'autres j'espère ? Ils sont tous canons comme ça ici ?

Une fois mes affaires récupérées, nous rejoignons toutes les deux mon appartement. Je sais que maintenant, une discussion est indispensable. 

Panique au bout du filOù les histoires vivent. Découvrez maintenant