Chapitre 6*

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— Ne vous inquiétez pas, je vous mets en attente et je vais tout de suite voir quelqu'un qui pourra faire le nécessaire.

Voilà bien vingt minutes que je suis en appel avec un pauvre monsieur à qui nous devons presque cinq cents euros suite à une erreur de facturation. C'est entièrement de notre faute, mais ça fait pourtant plus de trois mois qu'il attend son remboursement. Il m'a bien fallu dix minutes pour le calmer et franchement je le comprends, à sa place j'aurais été pire. Je quitte mon poste pour chercher un sup qui pourra lancer la procédure de remboursement sans attendre. Seuls quelques sups ont l'autorisation nécessaire pour le faire. Je sais que Rémi l'a et je l'ai aperçu non loin de mon poste à quelques gondoles, terme que l'on utilise pour désigner une rangée de box.

Arrivé à son niveau, je le vois concentré sur son écran, un casque aux oreilles. Il doit probablement être en train d'écouter un de mes collègues. Il faut savoir qu'en centre d'appel, nous sommes régulièrement écoutés pour voir si nous réalisons bien notre travail et surtout si nous proposons des ventes supplémentaires. Autant vous dire que je n'ai pas de bon retour de mes écoutes en ce qui concerne les ventes.

J'attends patiemment mon tour, car il est le seul aux alentours à pouvoir résoudre mon problème. Tapotant sur son bureau avec son stylo, il a le regard sévère et semble très énervé. J'hésite à faire demi-tour, mais je ne peux décidément pas laisser mon pauvre monsieur sans aide.

— Quoi ? Tu veux quoi ? me jette Rémi sur un ton plus que désagréable.

Assez surprise par sa manière de me répondre, je m'empresse de lui expliquer le problème de mon client pour ne pas plus le déranger.

— Et alors ? me lance-t-il.

— Bien, peux-tu lui faire son virement s'il te plaît ? Il n'y a que toi qui peux le faire.

Je le fixe méchamment pour lui faire comprendre mon mécontentement. Il me fait un sourire mauvais comme je ne l'ai jamais vu faire auparavant, cassant ainsi l'image du charmeur que je m'étais faite de lui.

— Non... Il doit attendre le 23 du mois, jour où les régularisations se font. Je ne lancerai pas un remboursement manuel.

— Mais ça fait déjà trois mois qu'il attend ! Et tu as vu qu'on était le 25 ! m'énervé-je haussant le ton.

Il me regarde avec un air méprisant et me lance sans hésitation :

— Tu retournes à ton petit box, tu fais ton boulot en lui disant de patienter. On ne te demande rien de plus.

— Tu te fous de moi !

Je crie presque, choquée par son comportement peu professionnalisme et déçue de découvrir cette facette de sa personnalité. Le brouhaha de l'open space est toujours présent, mais s'est amoindri depuis ma dernière réplique. Tous les yeux sont rivés vers nous. La tension est palpable. Je lui lance un regard noir suivi d'un « pauvre con » non dissimulé et retourne à mon poste plus qu'énervée. Arrivé à mon poste, je l'aperçois les mâchoires serrées qui me fixe sévèrement.

Finalement, je décide de rassurer mon client en lui expliquant que je prends en charge son dossier et que je le rappellerai tous les jours jusqu'à la régularisation de sa situation. J'ai bien dans l'idée de trouver un autre sup, plus compétent avant la fin de la semaine.

Vers 18 h je décide de prendre ma pause déjeuner. J'ai un peu trop forcé à l'entraînement ce matin et je n'ai pas pris le temps de manger. Avant même que j'appelle un sup pour valider ma pause. Un bip retentit dans mon casque et zut...

Personne ne répond à mon annonce que je réitère deux fois. J'entends pourtant un bruit sourd et un souffle. Je suis étonné d'avoir un appel de ce type à cette heure-ci, en pleine journée. Sans paniquer cette fois, je veux pour raccrocher, mais je remarque encore une fois que le numéro ne s'affiche pas.

— Je ne sais pas qui vous êtes, mais il va falloir que ça arrête, j'ose dire avant de raccrocher et de me lever pour partir en pause sans même demander. Au point où j'en suis, après avoir insulté un sup ouvertement devant tout l'étage, je peux bien prendre une pause sans accord.

Installée dans la salle de pause pleine de couleur que j'apprécie tant, j'attrape mes écouteurs Bluetooth et lance ma playlist qui débute par du « System of a down »... rien de mieux pour se calmer. Je repense à mon dernier appel et commence réellement à me demander qui en est à l'origine. Dois-je le signaler ? J'ai entendu beaucoup de personnes, se plaindre le soir de ce type d'appel donc je ne pense pas que ce soit nécessaire de trop brasser cette histoire.

Le bruit assourdissant de groupes de Métal s'enchaîne dans mes oreilles me déconnectant complètement de la réalité. Une fois mon sandwich terminé, je m'appuie en arrière pour profiter de mon monde, les yeux fermés. Au bout de quelques minutes, je sens comme une présence près de moi. En ouvrant les yeux, je sursaute surprise de voir Rémi face à moi.

Il me fait signe de retirer mes écouteurs conscient qu'il ne peut engager la conversation à cause du volume sonore imposé à mes tympans. Je lève les yeux au ciel et sors de la salle sans retirer mon casque. Il croit vraiment que je me suis calmé. Qu'il aille au diable, je suis en pause, je ne suis pas obligée de l'écouter.

À 19 h, je rejoins mon équipe comme demandé. Je suis ravie de retrouver Sam qui semble tout excitée par la soirée prévue. Apparemment, presque toute l'équipe a répondu présente pour la soirée au Colibri. Je ne connais pas l'endroit, mais d'après Sam, c'est le top. J'enchaîne plusieurs appels, mais il est vrai qu'il est appréciable de discuter avec mes voisins de box entre chaque appel.

— Ça va le faire ! Le problème avec ces horaires c'est qu'on n'a pas beaucoup l'occasion de sortir quand même, m'explique-t-elle entre deux appels.

— Perso, je ne sors pas beaucoup, enfin moins qu'avant.

— Pourquoi ? m'interroge-t-elle, intriguée.

Je lui explique rapidement que la plupart de mes amis sont partis récemment et que du coup, j'ai un peu tendance à rester enfermée.

— Faut qu'on remédie à ça ma belle ! me lance-t-elle le sourire aux lèvres.

— Clair ! Tu n'es pas vieille, faut profiter, ajoute Nico qui vient de raccrocher.

Je suis étonnée de voir que je ne reçois que peu d'appels ce soir quand un bip retentit. J'observe mon écran et je vois tout de suite que le numéro est masqué. Je raccroche aussitôt et prends une pause, encore sans validation.

J'avoue que je commence à m'inquiéter par la fréquence de ces appels étranges qui m'angoissent de plus en plus. Je ne comprends pas. Il y a des centaines d'équipiers, pourquoi ai-je autant d'appels de ces tarés et pourquoi le numéro ne s'affiche pas ?

Arrivé sur le toit, je retrouve Thomas, mon sup. Au moins, il ne pourra pas me reprocher de ne pas lui avoir demandé de pause puisqu'il n'est pas à son poste.

— Évidemment, tu as demandé une validation pour ta pause, me lance-t-il amusé.

— Mais bien sûr, qu'est-ce que tu crois ? Je réponds avec un air indigné.

Nous nous installons au bord du toit. J'avoue que plus je le croise, plus je le trouve sympathique. Il doit être un peu plus vieux que moi. Il est très grand, brun aux yeux noirs. Il s'entend avec chaque personne de l'équipe et ne nous ennuie pas trop avec les ventes. J'apprécie. En confiance avec lui, je lui demande :

— Dis-moi, j'ai eu un appel étrange tout à l'heure. Le numéro ne s'affichait pas. Tu sais pourquoi ?

Il semble surpris d'entendre ça et réfléchit une seconde avant de me répondre.

— Alors là je n'en ai aucune idée, je me renseignerai demain si tu veux.

Je lui fais un signe de tête pour le remercier et nous regagnons nos postes respectives.

Les appels s'enchaînent ensuite jusqu'à la fin. À minuit, Sam saute de son poste et attrape vite ses affaires en criant :

— On décolle ! Zou, c'est l'heure de l'apéro maintenant.

Je ne peux m'empêcher de rire face à son enthousiasme et nous la suivons sans attendre. 

Panique au bout du filOù les histoires vivent. Découvrez maintenant