Chapitre 10*

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— Monsieur, calmez-vous, je vais vous répéter la procédure à suivre.

— ....

Et zut ! Voilà cinq fois que je rappelle mon pauvre client. À l'autre bout de la planète, en voyage organisé, il a bloqué son téléphone par mégarde. La communication est très mauvaise. Je le rappelle à chaque fois sur le téléphone de son guide pour limiter des frais supplémentaires.

Il est bientôt 19 h, je vais pouvoir rejoindre mon équipe à l'étage, mais je dois impérativement finir cet appel qui dure. Je suis au rez-de-chaussée. J'y suis rarement, mais il faut savoir qu'en centre d'appel, en arrivant, vous prenez les places qui restent. Cet après -midi, je suis arrivée presque en retard, j'ai donc à peine eu le temps de rentrer sur le mini-open space près de la salle de pause. Je n'y suis presque jamais puisqu'il est conseillé à l'équipe du soir d'occuper les niveaux supérieurs. Je comprends pourquoi, je suis toute seule depuis 17 h 30. Maintenant la nuit est tombée, satané hiver, et le lieu me paraît un peu glauque.

Je réussis enfin à résoudre le problème de mon client et mets fin à la conversation. Avant même que je me déconnecte, un nouveau bip résonne dans mes oreilles, beaucoup trop rapproché du précédent. Eh zut.... Je me présente par automatisme. Aucune réponse... Non, ça ne va pas recommencer. Voyant que le numéro ne s'affiche pas, je comprends que c'est peine perdue. Je raccroche direct et me déconnecte. Soudain, toutes les lumières de l'open space se coupent suivies des ordinateurs, je me retrouve dans la pénombre. Prise d'un moment de panique, j'attrape vite mes affaires et me dirige en courant vers le hall dont l'éclairage diffuse par quelques vitres sur le mur mitoyen à la salle où je me trouve. Des frissons me parcourent, j'ai horreur du noir et surtout dans un grand espace comme celui-ci. Je passe en courant, le pas de la porte pour enfin me retrouver dans la lumière. Je me heurte à une personne. Un peu paniquée, je reprends mon souffle et calme mes tremblements qui ont fait leur apparition peu de temps avant.

— Eh oh ! Ça va ?

Évidemment, c'est Rémi. Me faisant face, il me dépose ses mains sur mes épaules et me regarde, inquiet de mon état de panique. Je me sens plus que bête à lui répondre :

— Les lumières se sont coupées... ça m'a un peu fait paniquer, avoué-je.

— Pas de panique, ce n'est rien, il y a dû avoir une coupure, ok ?

Sa voix est rassurante et bienveillante, je me remets rapidement de ma petite frayeur et souffle un bon coup. Le savoir si proche me met mal à l'aise, c'est mon supérieur, une distanciation minimum me paraît indispensable. Je recule donc d'un pas.

— Merci, soufflé-je.

— À ton service, je note quand même que tu as peur du noir, se marre-t-il ouvertement.

— Pauvre con, je lui lance, souriant également en lui tapant mon poing droit sur l'épaule sans retenue.

Il simule une douleur fulgurante et évidemment ça le fait rire de plus belle. J'ose espérer qu'il ne retiendra pas l'insulte que je viens de lui lancer. Je dois vraiment faire attention à mon vocabulaire envers mes chefs quand même. Jusqu'à l'ascenseur, il se moque ouvertement de moi. Je ne lui en veux pas, car du coup ça me calme et me permet de relativiser sur ma panique inutile. Thierry nous rejoint devant l'ascenseur.

— Qu'est-ce qui vous arrive ?

— Rien madame a peur au RDC, glousse mon sup insupportable.

— Oh ça va !

Thierry se rapproche de moi avec son plus beau sourire et me glisse à l'oreille :

— Je t'ai déjà dit de ne pas rester seule.

Son rapprochement me perturbe. Nous sommes de plus en plus complices alors que nous nous connaissons depuis peu. Je l'observe sans retenue en montant dans l'ascenseur. Plus je le vois et plus je le trouve attirant. Un autre type de frisson, non désagréable me parcourt de nouveau. Il a dû sentir mon regard, car il en profite pour plonger dans le mien. Lui qui pouvait avoir un regard si sévère il y a quelques jours de ça semble être passé en mode séduction. Je me sens gênée et mise à nue, mais je ne le quitte pas des yeux.

— Bon, on va bosser peut-être, nous coupe Rémi beaucoup plus froid qu'il y a quelques secondes rompant ainsi notre échange silencieux.

Vers 21 h, je reprends une pause avec Sam que je n'ai pas vu depuis deux jours. Elle profite de sa pause pour me raconter son jour de congé. Elle est ravie d'avoir pu profiter des soldes et a à priori dépensé tout son salaire dans ce qui d'après elle était les occasions du siècle. Elle m'apprend qu'elle vit actuellement chez son cousin au sud de la ville avec juste une participation symbolique au loyer, elle peut donc se permettre ce genre de folie. Nous sommes en admiration devant la veste qu'elle vient de s'offrir quand Thomas vient nous interpeler, suivi de Rémi. Je ne comprendrais jamais pourquoi les deux seuls sups du soir prennent leur pause ensemble, aucune logique.

— Ça va les filles ?

- Yes ! Encore en pause les sups, vous savez que vous êtes ici pour bosser quand même, leur lance Sam avec un grand sourire provocateur.

— Je ne relèverai même pas ta remarque, mademoiselle, se marre Thomas.

Rémi, quant à lui, reste passif fumant sa cigarette calmement. Thomas se tourne vers moi et poursuit :

— Je me suis renseigné pour les appels anonymes Mél.

Je suis surprise de voir qu'il s'est rappelé de ma requête. Rien que de repenser à ces appels un frisson me parcourt. Rémi semble s'en rendre compte, car il me regarde étonné levant un sourcil.

— Alors y a deux possibilités pour qu'un numéro ne s'affiche pas : soit, c'est un petit génie de l'informatique qui n'a pas envie de communiquer son numéro, ce qui à priori n'est pas si compliqué que ça si on cherche un peu, soit le numéro vient d'un autre centre d'appel. Donc rassure, toi si tu as des appels comme ça, l'appelant doit être loin et surtout la distribution des appels se fait au hasard donc bon...

— C'est quoi cette histoire ? s'inquiète mon second Sup.

— J'ai eu des appels étranges en numéro masqué à plusieurs reprises.

— Les tarés du soir ? m'interroge Sam. Ça m'est arrivé aussi, il faut raccrocher direct. Je ne me rappelle pas si les numéros étaient affichés ou non par contre, je n'ai pas regardé.

En l'entendant dire ça, je suis rassurée de ne pas être la seule à me retrouver dans cette situation. Je me suis monté la tête pour rien. Sam et Thomas commencent à s'approcher de la porte, signe que la pause est terminée. Je m'apprête à les suivre quand Rémi m'attrape par le bras pour me ramener vers lui. Je me retrouve presque coller serrer à mon sup, décidément ça va devenir une habitude.

— Tu es as eu beaucoup ? me souffle-t-il, réellement inquiet.

Je passe mon regard de sa main me maintenant à ses yeux et il doit ressentir ma gêne puisqu'il me lâche aussitôt.

— Quelques-uns oui, pourquoi ? Comme dit Sam, ça arrive souvent, me rassuré-je.

Mon interlocuteur ne semble lui pas rassuré et fronce les sourcils comme pour réfléchir à la réponse qu'il pourrait me donner.

— Arrête, tu vas me faire peur du coup, ajouté-je.

Son regard change instantanément, passant de l'inquiétude à la surprise.

— Excuse-moi miss, je ne voulais pas t'inquiéter. Viens on y retourne.

Je suis ravie du petit surnom qu'il vient de me glisser. Comme si cela me donnait une certaine importance. Secouant la tête pour me remettre les idées en place, je dois clairement arrêter de me faire des films avec tous les mecs de mon équipe. Décidément, il m'arrive quoi ce soir ? Il est grand temps que je me trouve quelqu'un, Al a raison. Je le suis sans attendre afin de regagner mon poste.

En rentrant chez moi, je ne cesse de penser à ce que m'a dit Thomas sur la possibilité qu'une personne calée en informatique puisse appeler en anonyme. James est informaticien. Pourrait-il faire ça ? Mais pour quelle raison ferait-il ça ? Je finis par m'endormir sans avoir de réponse à mes questions. 

Panique au bout du filOù les histoires vivent. Découvrez maintenant