Le lundi, en arrivant à mon travail en début d'après-midi, je me repasse les promesses faites à Alice pour tenter de m'intégrer auprès de mes collègues. C'est le sourire aux lèvres que j'entre dans le bâtiment, enfin prête à découvrir ce monde qui m'est resté finalement inconnu.
À 19 h, comme tous les jours, mon sup de nuit, qui je le remarque n'est toujours pas Rémi, me rejoint dans l'open space du 2e étage pour me prévenir que je dois me déplacer au premier. Pour la première fois, je lui souris largement et le suis sans rechigner jusqu'à notre espace dédié du jour. Je le contourne et vais me placer au box près de mes collègues. La plupart d'entre eux, déjà en communication, me font un signe de tête pour me saluer, à priori surpris de ne pas me voir m'isoler dans un coin de l'étage. Nous ne sommes pas nombreux. Pas que les gens n'apprécient pas ces horaires puisqu'au contraire, il y a deux heures payées de nuit et peu d'appels, mais les places sont chères. Si vous n'avez pas posé cette condition dans votre contrat de départ comme je l'ai fait, vous avez peu de chance de rejoindre l'équipe.
Je m'installe à un poste près d'une jeune femme brune, chignon sur le haut de la tête et un crayon au-dessus de l'oreille. Elle me fait rire avec son air concentré comme si la vie de son client tenait entre ses mains. Brusquement, elle se tourne vers moi avec un grand sourire.
— Tu te décides à nous rejoindre enfin ? me lance-t-elle avec humour.
— C'est un peu ça, je réponds gênée.
— Je m'appelle Sam. Contente de te voir de plus près.
Elle me fait signe pour me notifier qu'elle devait prendre un appel. J'en fais de même quelques secondes plus tard. Cette première approche me convient. J'espère que le reste de l'équipe sera aussi agréable.
Au bout de deux heures à enchaîner les appels, je demande une pause bien méritée. Sam me fait un signe pour me prévenir qu'elle vient avec moi. Ravie de ne pas avoir à faire de premier pas pour me « forcer à me sociabiliser » comme dirait Al, j'attends patiemment à la porte de l'open space la fin de son appel.
— Du changement... Tu te décides à faire ce qu'on te demande, je suis surpris.
Je reconnais la voix de Rémi à ma droite. Sans me retourner, je rigole et réponds :
— Il faut bien sortir les bons éléments de l'ombre, rigolé-je.
— Si tout le monde est regroupé ensemble le soir, c'est qu'il y a une raison, Mélanie. Une clope ?
Je jette un regard à Sam qui à priori n'est pas prête à finir son appel et je ne peux pas me permettre de gaspiller ma pause à la regarder. Je décide donc de suivre Rémi. Bizarrement dans l'ascenseur, il n'appuie pas sur le bouton du RDC, mais sur le bouton le plus haut. Je ne sais pas du tout ce qu'il y a à cet étage. Voyant mon embarras, il me rassure d'un signe de tête. Arrivés à l'étage souhaité, nous passons deux portes et nous retrouvons dans l'air frais.
— On est où ? demandé-je, surprise de découvrir le lieu.
— Si tu avais suivi ton équipe dès le début, tu aurais su que la plupart de tes collègues du soir viennent fumer leur cigarette ou boire leur café sur le toit. C'est un des privilèges de l'équipe du soir. L'étage est fermé la journée.
Je m'approche du bord du toit, entouré par un muret suffisamment élevé pour ne pas trop se pencher. La vue est magnifique. Plusieurs collègues que je n'avais pas remarqués en arrivant sont tranquillement installés dans une sorte de salon de jardin au centre du toit.
— Ok... J'avoue c'est mieux qu'en bas.
— Je suis désolée, je n'arrivais pas à finir cette conversation, me crie Sam en passant la porte d'accès.
— Je te laisse, contente de te voir avec ton équipe, me murmure Rémi en s'éclipsant après m'avoir tendu une cigarette.
Sam me rejoint le souffle rapide, surement essoufflée d'être venue au pas de course.
— C'est la première fois que je te vois sur le toit. J'imagine qu'avant tu descendais ? Tous les nouveaux font ça, rigole-t-elle.
— Franchement, c'est excellent, la vue qu'on a ! Une chance pour l'équipe du soir d'après ce que j'ai compris.
Avant que Sam ne me réponde, un homme dans mes âges nous rejoint, à priori furieux.
— Sérieux, ils se sont passés le mot pour être chiants ce soir ! Je viens de me taper deux cas... pfff... entre le mec qui veut changer de portable avant de résilier le compte de son défunt père, charmant, et le jeune qui n'a pas compris que les applications « matures » étaient payantes.... sérieux...
Il s'allume une cigarette tout en râlant tête baissée et finit par me regarder surpris. Malgré son humeur massacrante, je ne peux m'empêcher de l'épier, il a tout du bel homme : grand, musclé, les yeux bleus, cheveux mi-longs et un léger bronzage, surement un reste des vacances d'été.
— Salut, moi c'est Nico, me lance-t-il gêné par son coup de gueule précédent.
— Salut, Mél, t'inquiètes, j'en ai eu des corsés ce soir aussi, je comprends.
Nous passons toute la pause à nous moquer ou à plaindre nos clients du jour quand un bip sur nos portables nous ramène à la raison.
— Merde, c'est le sup. On a dépassé la pause de 5 min... ça va être notre fête, rigole Sam.
Effectivement, arrivées à notre étage, une série de remontrances nous attendait, nous rappelant que nous ne pouvions pas prendre tous notre pause en même temps. Le problème dans les centres d'appels, c'est que vous êtes fliqués pour tout. À chaque fois que vous quittez votre poste, votre sup vous voit off.. Il ne faut surtout pas aller trop souvent aux toilettes sinon on vous appelle pour vous le faire remarquer. C'est une des choses très désagréables ici, mais on s'y fait très vite et on trouve des trucs et astuces pour les éviter. Non ? Moi ? Je n'ai jamais été aux toilettes en mettant un client en attente, ce n'est pas mon genre... bon peut-être une ou deux fois...
À minuit, Sam, Nico, et moi, sommes encore en communication sous le regard agacé de notre sup. Vous allez me dire, pas de chance... Bien au contraire, c'est à ce seul moment que nous pouvons obtenir des heures sup et croyez-moi c'est rare. Il faut croire que c'était une bonne soirée pour notre service client. Le problème, c'est qu'à minuit tous les ordinateurs s'arrêtent pour la mise à jour donc on ne peut rien faire. Au final sauf si on tombe sur un bavard, la communication ne s'éternise jamais trop.
Une fois nos appels finis, nous descendons enfin pour partager une dernière cigarette.
J'apprends par la même occasion que mon sup s'appelle Thomas. Il semble ravi d'avoir réussi à me faire changer d'avis même si le pauvre ne le sait pas, mais n'a aucunement joué dans cette décision de rejoindre le groupe.
— Demain, on se fait notre soirée où alors ? Interroge Sam.
— Au Colibri ? Propose Thomas.
J'avoue ne pas comprendre et ne pas oser demander de quelle soirée ils parlent quand Nico m'interpelle :
— Tu viens avec nous j'espère ? De temps en temps, on sort tous ensemble ou presque, car il y a encore des isolés comme toi à qui ont fait peur. Si ça te tente.
— Oui, pourquoi pas, soufflé-je, pas vraiment convaincu, mais entendant la petite voix d'Al me crier « bouge-toi ! ».
Satisfaite je regagne mon appartement. Je n'hésite pas une seule seconde et envoie un SMS à Al dés mon arrivée :
Moi : Bon, j'ai fait des efforts... Je me retrouve invité à une soirée demain.
Il ne lui faut que quelques secondes pour me répondre :
Al : Alléluia ! Bonne nuit à toi !
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Panique au bout du fil
قصص عامةMélanie doit revoir son plan de carrière rapidement car les fins de mois deviennent difficiles avec ses maigres revenus. Elle finit par décrocher un entretien dans un centre d'appel qui va lui ouvrir ses portes pour une durée indéterminée. Inespéré...