quarante-et-un (1)

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On ne se rend vraiment compte à quel point on tient à la vie que lorsqu'on est sur le point de la perdre. C'était exactement ce que se disait Anja, qui n'avait jamais autant souhaité vivre qu'à cet instant précis, ligotée de façon rudimentaire sur le parquet ciré de son salon.

Elle se rassurait comme elle pouvait en se disant qu'elle avait connu pire, et c'était vrai. Son regard balayait les alentours, cherchant autour d'elle quoi que ce soit qui pourrait la sortir de ce mauvais pas. Elle jetait de temps en temps un œil à son ravisseur, pour l'instant très affairé à retourner son appartement centimètre par centimètre, empoignant les tiroirs pour les vider sur le sol et fouillant chaque placard.

"Il cherche quelque chose, il ne va pas t'assassiner de sang-froid" se rassura-t-elle intérieurement.

Il fallait qu'elle fasse vite, elle avait senti la montée d'adrénaline et en connaissait les effets, neutralisant le stress et la douleur. Elle savait aussi que cette adrénaline allait bientôt redescendre à son niveau habituel et laisser la place à une peur panique paralysante. Par ailleurs, tant que l'homme était occupé ailleurs, il ne l'était pas à la torturer, et c'était tout aussi bon signe.

Lorsqu'il revint bredouille quelques minutes plus tard, la situation d'Anja n'avait pas progressé d'un pouce, et elle commençait à sérieusement s'en inquiéter. Les nœuds qui l'empêchaient de se mouvoir avaient été fait avec minutie et talent, elle n'avait pas réussi à en desserrer un seul et ne pouvait même pas se déplacer en rampant. L'homme l'avait d'ailleurs installée en plein centre de la pièce, à l'écart de tout objet pouvant lui servir.

Il finit par s'approcher d'elle et s'accroupit en lui souriant. Brun au teint hâlé, il avait d'étonnants yeux bleus.

- On m'a raconté quelques petites choses à ton sujet tu sais...

Face à la figure imperturbable qui le dévisageait, il émit un petit rire et se sentit obligé de préciser :

- "Un mot, et je colle une balle dans la tête" ne s'applique pas quand je m'adresse directement à toi...

Anja ouvrit alors lentement la bouche :

- Allez vous faire foutre.

La gifle qui lui répondit imprima sur sa joue la marque rouge de la main de son agresseur, et sa tête tourna sous la violence du geste, faisant craquer son cou.

- J'ai eu affaire à plus coriace que toi...

- Je pourrais sûrement vous dire la même chose, vous voulez parier ? répondit-elle insolemment en ignorant la brûlure qui provenait de sa joue.

Contre toute attente, l'homme eut un nouveau petit rire.

- On m'avait prévenu que tu risquais d'être pénible. Et que je ne devais pas te sous-estimer... Paraît que tu as de la ressource dans les situations désespérées.

- Dois-je comprendre que c'est pour moi une situation désespérée ?

- A toi de me le dire, lui répondit-il dans un clin d'œil. Je sais exactement ce que tu es en train de faire, tu analyses tout, tu récupères l'information pour l'utiliser à tes fins et te sortir de cette affaire délicate... C'est ce que je ferais aussi, dans ta situation. Toi et moi, on est pareil.

Ses genoux émirent un gros craquement lorsqu'il poussa sur ses jambes pour se remettre debout, tandis qu'Anja lui répondait sans rien perdre de son flegme apparent :

- Au cas où vous n'auriez pas lu le mémo, je suis journaliste, je ne séquestre pas des gens dans leur salon...

- Voyons, je ne te parle pas de ça, répondit-il dans un sourire comme il aurait gentiment grondé une petite fille.

Éblouissante [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant