quatorze (2)

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- Je ne parlais pas de ça...

- Oui je sais. Malheureusement, ajouta-t-elle avant de partir dans un grand éclat de rire. Allons, je vous fais marcher, ne me regardez pas avec cet air effaré.

- Je ne suis pas effarée, je suis... Embrouillée. Trop de sous-texte, mon cerveau ne décode pas assez vite vos implicites, répondit Leigh en souriant.

- C'est cela oui, certainement.

Anja était très dubitative et un poil moqueuse, et elle n'avait en rien perdu de sa bonne humeur.

Les deux femmes furent interrompues dans leur conversation par le serveur qui revenait avec les plats, et pendant quelques minutes elles ne prononcèrent que quelques mots. Leigh en profita pour observer la femme qui se trouvait en face d'elle.

Anja était très sûre d'elle, parfois même avec une pointe de suffisance et elle ne niait pas le mal qu'elle pouvait parfois causer autour d'elle. Malgré tout Leigh la trouvait magnifique et se demandait comment il était possible d'avoir créé un être aussi esthétiquement réussi. Ses traits fins se mouvaient au rythme des regards qu'elle lançait à Leigh de temps à autre et des sourires légers qui s'en suivaient. 

Elle avait cette forme de magnétisme qui attirait Leigh envers et contre tout, et chaque fois qu'elle souriait Leigh se perdait un peu plus. 

Anja la sortit de ses pensées brusquement. 

- J'y pense, Leigh ce n'est vraiment pas commun comme prénom, quelle histoire il y a derrière ? Il a une signification particulière ?

- Pas vraiment, sourit Leigh. Pour commencer mon père avait des origines britanniques et tenait absolument à ce que ses enfants portent un prénom anglophone, d'ailleurs j'ai deux petites sœurs qui s'appellent Jessica et Maddison. Quant au choix de mon prénom, la légende raconte que c'est de ma mère, grande fan de Scarlett O'Hara, jouée dans l'adaptation de 1939 par la célèbre Vivienne Leigh... Et me voici.

Anja lui sourit en retour.

- Donc vous êtes trois filles Davenport à la maison... Ça ne devait pas être de repos pour vos parents quand vous étiez petites.

- Mes parents ont divorcé quand j'avais 7 ans, ma mère a eu notre garde exclusive et mon père n'a pas mis longtemps avant de disparaître de la circulation... Alors on ne peut pas dire que ça ait été trop difficile pour lui je pense.

- Oh je vois... Vous le voyez quand même de temps en temps ?

- Pas depuis longtemps non. Enfin quand je dis disparaître, j'exagère. Il nous envoie une stupide carte de vœux toute faite pour nos anniversaires. Aux dernières nouvelles il habite en Suisse, il s'est remarié il y a une dizaine d'années je crois.

Anja avait un air à la fois concerné et contrit.

- Je suis vraiment désolée, je ne devrais pas insister à propos d'un sujet sensible.

- Ce n'est pas le cas, rassurez-vous, ça ne me gêne vraiment pas. Et vous votre famille ? Parlez-moi un peu de vous, de votre vie, vous avez des enfants ?

Anja leva les yeux vers la jeune femme.

- Ne me faites pas cet affront Leigh, pas vous... Ma vie s'étale depuis des années en une des magazines ou sur le net, je suis certaine que n'importe quel internaute peut savoir avec plus de certitude que moi avec qui j'ai déjà couché... Alors ne faites surtout pas semblant de me poser des questions dont vous avez les réponses, c'est une insulte à votre intelligence et à la mienne.

Leigh fut touchée par l'amertume de la journaliste.

- Ça va sûrement vous surprendre mais je sais exactement ce que vous pensez, là tout de suite. Vous n'êtes pas agacée, vous avez peur. Quand vous m'avez appelée l'autre jour je l'ai déjà senti.

- Et peur de quoi je vous prie ? répondit Anja dans un petit rire.

- Vous avez peur que j'aie peur. Que j'apprenne des choses à votre sujet qui me fassent fuir. Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais vous essayez désespérément de me le cacher.

Anja avait progressivement perdu son sourire.

- Sachez que je n'ai pas mené d'enquête à votre sujet. Bien évidemment j'ai appris deux trois bribes, on m'a rapporté certaines choses en pensant que ça m'intéresserait, mais la vérité c'est que je me fous complètement de votre retrait de permis pour ivresse ou des gens avec qui vous couchez, justement. J'apprécie la personne que vous êtes quand vous êtes avec moi. Le reste de votre vie ne regarde que vous, et je ne compte pas vous juger pour ça.

Anja ne répondit rien tout d'abord. Elle semblait ailleurs. Elle prit la main de Leigh, les yeux fixés sur la peau pâle de l'étudiante comme si elle voulait en mémoriser tous les détails avant de relever les yeux vers elle. Ceux de Leigh lui hurlaient de faire tomber ce mur qu'elle avait érigé.

- Vous êtes tellement jeune, murmura tristement Anja en la transperçant de son regard.

Les deux femmes laissèrent le temps se distendre, avant qu'Anja ne retire brusquement sa main pour offrir un sourire que Leigh savait forcé :

- Vous avez tort, je n'ai pas peur. Je me fiche que vous puissiez ou non considérer ma vie comme dissolue, dispendieuse ou dépravée... Vous pourriez même me fréquenter pour le "frisson", l'interdit ou la nouveauté, ça m'est égal. Chacun trouve l'intérêt qu'il veut dans les relations humaines, rarement la même chose que l'autre. C'est le principe de la vie, les gens s'entrecroisent, ils se rencontrent et se quittent, je ne vois pas l'intérêt de lutter contre ça.

Leigh lui sourit presque tendrement.

- Et revoilà Anja Marenger, la pragmatique réaliste, telle que je l'ai rencontrée la première fois. Alors répondez à la question que tout le monde se pose. Dites-moi quel intérêt vous trouvez avec moi. Qu'est-ce que vous cherchez ?

- Sincèrement je n'en sais fichtrement rien. Vous auriez préféré que je le sache n'est-ce pas ? la taquina-t-elle.

Anja et Leigh ne s'étaient pas quittées des yeux, et Leigh avala difficilement sa salive avant de répondre.

- Vous n'avez pas idée.

L'instant fut brusquement interrompu par une sonnerie de téléphone. Du téléphone de Leigh dans ce cas précis.

Merde, pourquoi il faut que ça arrive maintenant... songea Leigh en attrapant son sac à main à la recherche de l'objet du délit. Bon sang, mais qui est-ce que ça peut bien-être à l'heure du déjeuner ?

- Ça ne vous ennuie pas si je réponds ? demanda-t-elle finalement.

- Non bien sûr, aucun souci, répondit Anja.

Leigh s'essuya rapidement les lèvres avec sa serviette avant de décrocher et de porter le téléphone à son oreille. Signe de concentration ou de contrariété, au choix, ses sourcils se froncèrent au fur et à mesure que son interlocutrice parlait.

- Excusez-moi juste une seconde, la coupa-t-elle au bout d'une trentaine de secondes.

Leigh posa sa main sur le micro et se tourna vers Anja.

- Je suis vraiment désolée, c'est le lycée de mes sœurs, visiblement c'est important.

Anja hocha la tête d'un air compréhensif.

- Je vous en prie, prenez le temps qu'il vous faudra.

Leigh recula sa chaise et se leva pour s'éloigner de la salle du restaurant tout en écoutant attentivement ce que lui disait la voix qui s'avérait appartenir à la conseillère principale d'éducation.

Soudain Leigh manqua de s'étouffer avec sa salive.

- Je vous demande pardon, elle a fait quoi ?

Éblouissante [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant