Éblouissante [gxg]

trente-cinq (2)

Anja avait envoyé un message avant de reprendre le chemin de l'hôtel, lui disant qu'elle arrivait et que Leigh pouvait l'attendre directement au restaurant le temps qu'elle se change.

Aux alentours de dix-neuf heures, Leigh était donc descendue au restaurant de l'hôtel, s'installant à la table indiquée par le serveur, en bordure de fenêtre avec une vue dégagée sur la mer.

Elle jeta un œil à la carte, l'entrouvrant légèrement afin de prendre un peu d'avance sur son choix, mais la referma assez vite pour se replonger dans l'étude du remblai en pierre qui séparait la plage de la ville.

Anja arriva finalement dans une longue robe rouge et s'assit à table dans un large sourire.

- Votre rendez-vous s'est bien passé ? s'enquit Leigh.

- Très bien, merci. Et vous, votre fin d'après-midi ?

- Je suis allée me balader dans le village, c'est absolument adorable ici.

Anja acquiesça dans un autre sourire mais ne répondit pas, et un silence gênant s'installa jusqu'à ce que le serveur vienne leur apporter une bouteille de vin. Une fois celui-ci reparti, Anja se saisit de son verre et le fit tourner dans sa main, avant de finalement demander en observant le liquide pourpre :

- Vous avez appelé votre famille ? Pour qu'ils ne s'inquiètent pas.

- J'ai laissé un mot aux filles en partant ce matin, j'ai prévenu que je ne serai pas joignable... De toute façon je rentre demain matin, elles devraient réussir à s'en sortir sans moi pendant vingt-quatre heures.

Anja acquiesça de nouveau d'un hochement de tête pensif. Leigh la dévisagea d'un regard inquiet, et lorsqu'Anja s'en rendit compte, elle ne cilla pas et se contenta de la fixer droit dans les yeux pendant plusieurs longues secondes avant de poser son verre de vin sur la table et se pencher légèrement, l'air grave.

- Leigh, il faut que je vous dise quelque chose de vraiment important...

La jeune femme acquiesça d'un signe de tête et se rapprocha elle aussi, tandis qu'Anja prenait une longue inspiration.

- Il y a vingt ans, j'ai passé un accord avec Bertrand Chesnay ainsi qu'une tierce partie, commença-t-elle d'une cadence si rapide que Leigh dut faire un effort de concentration pour la comprendre. C'est une sorte de contrat tentaculaire qui couvre de très nombreux cas de figures et nous empêche de nous attaquer les uns les autres, un peu comme un pacte de non-agression... Ou comme la dissuasion nucléaire si vous préférez. Chacun d'entre nous a de quoi faire pression sur les autres, et en échange de leur silence, protège leurs intérêts respectifs.

Leigh avait froncé les sourcils et s'était penchée au-dessus de la table, elle aussi.

- Pourquoi est-ce que vous me dites tout ça ? Et pourquoi maintenant ?

Anja balaya les questions de Leigh d'un revers de main et poursuivit sur sa lancée.

- Lorsque j'ai rencontré Bertrand, il a promis de me protéger, et jusqu'ici il l'a fait. Mais le monde change, les circonstances changent, et ça devient de plus en plus dangereux à mesure que les enjeux croissent au fil des années. Nous avons tous fait des erreurs, chacune des parties, j'en ai fait, Bertrand en a fait, et chaque fois nous avons frôlé le désastre. Si je vous dis tout ça, c'est parce que malgré tous mes efforts pour vous tenir à l'écart, si quelqu'un décidait d'éplucher ma vie en détail, il ne pourrait pas faire autrement que tomber sur vous... Et sur Thomas.

- Thomas ? Qu'est-ce qu'il a à voir là-dedans ?

- Absolument rien, justement. Votre fiancé est arrivé au milieu de toute cette affaire comme un chien dans un jeu de quilles. Il est tombé par hasard sur des documents confidentiels de son père, et il s'est imaginé avoir pris toute la mesure de la situation... L'accord était déjà fragile auparavant mais le simple fait qu'il ait tenté de faire pression sur moi aurait pu vraiment tous nous mettre dans la merde. Il ne sait pas du tout à qui il a failli s'attaquer, il est dans une ignorance bienheureuse de ce qu'il a risqué... Mais ces gens-là, ils ne sont pas son père, ils ne sont pas moi. Avec nous il peut jouer au caïd tant qu'il veut sans risquer grand chose, mais avec eux... S'il s'était mis en travers de leur chemin, ils l'auraient fait descendre sans la moindre hésitation.