sept (2)

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- Je vais finir par croire que vous me suivez...

Leigh n'eut pas besoin de lever les yeux de son écran pour savoir qui s'adressait à elle. Anja Marenger se tenait debout face à elle, tout sourire.

- Ça doit être le destin, murmura la jeune femme suffisamment fort pour être entendu par son interlocutrice.

- Ne me dites pas que vous croyez aussi à ce genre de bêtises...

Leigh ignorait si elle devait interpréter le 'aussi' comme une référence à leur précédente conversation sur le bonheur conjugal. Ou simplement comme un adverbe s'étant glissé là pour désigner la foule de gens qui croyaient justement au destin.

Après une fraction de secondes, elle choisit la première hypothèse.

- Je vois que vous vous souvenez de moi !

- Vous avez égayé ma soirée, il aurait été étonnant que je n'en rappelle pas.

Leigh sourit avec la journaliste mais commençait à se poser de sérieuses questions. Pourquoi fuir tout à l'heure si c'était pour ne pas bouger d'un centimètre depuis un quart d'heure, en sachant parfaitement que les probabilités qu'elles se croisent étaient immenses ?

Leigh savait aussi qu'elle risquait d'être en retard au cours suivant, elle qui n'avait ce jour-là qu'une petite heure pour souffler. Mais avait-elle eu, à un moment donné, l'intention d'y aller ?

- Vous n'êtes pas très bavarde aujourd'hui dites-moi... souffla doucement Anja.

- Excusez-moi, je ne suis pas franchement dans mon assiette, mais je ne voulais pas être désagréable.

- Vous ne l'êtes jamais, rassurez-vous petite Madame Chesnay. Qu'est-ce qui vous tracasse ainsi, si ce n'est pas indiscret ?

- Je m'appelle Leigh vous savez. Leigh Davenport au besoin, si m'appeler autrement que par mon nom de famille vous est inconcevable.

Leigh avait été beaucoup plus sèche qu'elle ne l'avait souhaité mais elle se sentait oppressée chaque fois qu'Anja l'appelait ainsi. Pire que ça, elle en avait eu un haut-le-coeur.

- Vous avez des soucis avec votre fiancé ? s'inquiéta sincèrement la journaliste.

- Aucun, mais je n'aime pas être ramenée uniquement à mon rôle "d'épouse de ". C'est un truc que vous êtes en mesure de comprendre je pense.

Leigh mentait. D'ailleurs elle savait parfaitement qu'elle n'avait initialement pas donné son nom à la journaliste, et que celle-ci l'appelait donc comme elle pouvait. C'est très probablement ce que se disait aussi Anja mais aucune des deux n'en fit la remarque.

S'en suivit un long silence, et Anja finit par s'asseoir à côté d'elle sur le banc. Elle fit une grimace en constatant la température du métal et se tourna légèrement vers Leigh.

- Je comprends mieux que quiconque, finit-elle par répondre. Ça va sûrement vous surprendre, mais j'ai déjà été mariée.

- Et que faites-vous de votre litanie de l'autre jour sur la liberté ?

- Ce sont toujours ceux qui en parlent le plus qui en font le moins, c'est bien connu...

Elle tentait de dérider Leigh et y parvenait plutôt bien, la jeune femme ayant retrouvé un léger sourire.

- Plus sérieusement, reprit-elle, mon expérience personnelle ne change rien à mon opinion. D'abord c'est assez vieux tout ça, et ensuite, rentrer chez moi le soir, écouter mon mari me raconter sa journée en préparant le repas, lancer une lessive, faire les devoirs avec des enfants, ce n'est pas un mode de vie qui me correspond.

- Vous avez une sacrée vision de la vie de couple vous, ça donne envie, plaisanta Leigh.

- Je vous avais dit que j'étais plutôt fataliste à ce sujet... Je me suis rendue à l'évidence, je suis très douée dans le rôle de la maîtresse, bien moins dans celui de l'épouse. Le concept même de couple est très superficiel pour moi.

- Vous êtes tombés sur des hommes qui n'ont pas su vous faire aimer suffisamment leur compagnie.

- Oui c'est peut-être ça aussi, rit la journaliste. Vous devriez glisser cette phrase dans vos vœux de mariage, ça fera plaisir à Thomas.

Leigh étouffa un petit rire.

- Je sens à votre ton que vous me trouvez encore idiote...

- Et candide, et naïve aussi... Je plaisante. Loin de là, Leigh. Je vous jure que vous ne pourriez pas vous tromper plus que ça.

Anja était redevenue sérieuse d'un coup, elle faillit dire quelque chose mais renonça. Leigh était fascinée par le mouvement quasi hypnotique de ses doigts vernis d'un rouge sang contre sa cuisse. On devinait le bas de la jupe de son tailleur dépassant de son trench noir.

Leigh secoua légèrement la tête pour reprendre le fil de ses idées et se chargea de rompre le silence.

- Vous travaillez aujourd'hui ?

- Juste au bout de la rue oui, répondit la journaliste en lui désignant la grande tour qu'elle avait vue un peu plus tôt. Je devrais être en réunion à cette heure-ci mais j'aime bien venir prendre mon café ici... Je suis relativement libre de mes mouvements dans mon job, excepté entre 19h30 et 21h, privilège de la présentatrice du JT.

- C'est vrai que je parle à Anja Marenger, la présentatrice télé. J'ai un peu tendance à l'oublier parfois.

- Rassurez-vous, moi aussi. Souvent. Passez me voir à l'occasion, je vous ferai visiter, proposa-t-elle dans un clin d'œil avant d'éclater de rire.

Le rire d'Anja tomba en cascade, et alors qu'il s'estompait lentement dans l'air, Leigh constata qu'elle se sentait bien mieux. Elle avait oublié son mal-être, ce même pourquoi elle était venue. Elle se sentait légère, elle avait envie de rire avec Anja, et aussi de pleurer en même temps, sans qu'elle sache pourquoi.

Anja souriait, elles discutèrent longuement, le temps s'était suspendu. Leigh aurait voulu ne jamais quitter ce banc. Surtout ne jamais la quitter elle.

Voilà qui n'allait pas clarifier la situation.

Leigh finit par se lever à contre-cœur, voyant l'heure s'avancer. Mais elle savait qu'elle allait la revoir, et ça lui suffisait.

Leigh salua Anja et la laissa derrière elle, sous cet arrêt de bus. Anja lui fit un petit signe de la main avant qu'elle ne s'engouffre dans la bouche de métro, et un quart d'heure plus tard, c'est le sourire aux lèvres qu'elle entra en retard dans le bâtiment de la fac.

Elle se fit la remarque qu'elle ne pouvait plus s'empêcher de sourire. Voilà qui était nouveau, encore.

Éblouissante [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant