Éblouissante [gxg]

trente-neuf (2)

- Anja n'est pas une terroriste.

Les mots étaient sortis de leur propre chef de la bouche de Leigh, sans qu'elle ne puisse rien faire pour les retenir. Les pensées se bousculaient dans le crâne de la jeune femme. Elle était complètement dépassée par la situation, et l'image actuelle de la journaliste se superposait avec celle de la jeune fille de la photo sans qu'aucune ne soit nette. C'était donc ça, ce passé qu'Anja avait désespérément voulu cacher tout ce temps. Leigh comprenait encore mieux les régulières mises en garde de la journaliste.

- Refuser de voir la vérité en face ne protègera pas votre amie, Mlle Davenport.

- Non, vous ne comprenez pas. Je la connais, je la connais même très bien, pas dans des détails insignifiants de sa vie, mais dans la personne qu'elle est. C'est une connasse arriviste et ambitieuse, peut-être, mais c'est aussi une femme pleine de conscience, qui prend pleinement la mesure des conséquences de ses actes et qui protège ceux qu'elle aime.

- Oui, vous avez peut-être raison... Dans cette optique, il y a sûrement une autre petite histoire qu'il faut que je vous raconte. Lorsque j'ai découvert ce lien étonnant entre Anja Marenger et Zulaj Vuković, j'ai poursuivi mes recherches pour tenter de comprendre. A vrai dire j'ai épluché tous les dossiers d'Europol pour tenter de trouver n'importe quoi qui puisse expliquer cette situation ubuesque. Et puis je suis tombé sur de vieux rapports, dont je n'avais lu la traduction qu'en travers parce que je ne leur voyais à ce moment-là pas d'intérêt pour l'enquête. Ils avaient d'abord été exhumés plusieurs années auparavant, lorsqu'on cherchait à reconstituer la sphère proche de tous ceux qui avaient gravité autour de Zulaj au fil des ans. Les rapports mentionnaient à trois ou quatre reprises la présence de cette jeune fille dans l'organisation au milieu des années quatre-vingt-dix mais personne, ni les enquêteurs serbes ni ceux d'Europol, n'avaient jugé intéressant de rechercher son identité de façon plus poussée tant son importance semblait insignifiante.

Leigh n'aimait ni le ton doucereux de l'officier de police judiciaire, ni la tournure de cette conversation.

- J'ai donc ressorti toutes les vieilles photos d'époque, et mon intuition s'est confirmée, continua-t-il. Cette découverte entraînait une constellation de recherches, la toute première étant la véritable identité de cette demoiselle, parce qu'il m'est apparu assez évident qu'Anja Marenger n'était pas son nom de naissance. J'ai donc téléphoné aux enquêteurs serbes afin qu'ils aillent poser des questions à des membres déjà emprisonnés, j'ai recoupé avec d'autres documents et après plusieurs semaines d'attente, d'enquête et de réflexion, un nom qui me disait vraiment quelque chose en est finalement sorti : Antonija Marković. Alors là arrive la deuxième grande question : "où ai-je bien pu déjà croiser ce nom pour qu'il me marque à ce point ?". Je n'en ai pas dormi pendant trois jours, je repassais dans ma tête les centaines de documents que nous avions épluché pour tenter de m'en souvenir. Et d'un seul coup ça m'est revenu, j'ai téléphoné à l'ambassade de Serbie et j'ai fait faire une copie, regardez.

Il lui tendait un document traduit en français par un professionnel assermenté, ainsi qu'une copie de l'original en cyrillique, sans doute pour preuve de sa bonne foi.

Leigh se saisit des feuilles.

"Antonija Marković, épouse Vuković, née le..."

Elle arrêta sa lecture, fixant les caractères imprimés à l'encre noire sans qu'ils ne fassent plus sens dans sa tête. Elle fit glisser son regard jusqu'au paragraphe sur le mariage. Celui-ci datait de 1999 et n'avait évidemment jamais été dissous.

"J'ai aimé mon mari, bien sûr, même avec les désagréments que ça a pu me causer...". Tels étaient les mots exacts prononcés par Anja, sur cette aire d'autoroute perdue au milieu de nulle part. L'usage du terme "désagréments" prenait un tout autre sens maintenant que Leigh avait pris connaissance du palmarès de l'homme en question.