quarante-huit

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Après avoir pris une rapide douche, Leigh se brossa les dents et enfila son pyjama, épuisée de cette trop longue journée.

En direction de sa chambre, elle passa devant la chambre occupée par Anja et profita du petit rai de lumière qui filtrait sous la porte pour frapper et parler au travers.

- Anja, c'est Leigh. Je n'ai pas pensé à vous le dire tout à l'heure mais vous êtes vraiment chez vous ici, n'hésitez pas à aller et venir comme vous l'entendez, au besoin Maddison vous passera le double de ses clés... Quant à la journée de demain, vous pourrez -

La porte s'entrouvrit et la journaliste apparut. Le flot de paroles de Leigh se stoppa immédiatement. Anja avait pleuré. C'était compréhensible. Leigh ne voulait même pas tenter d'imaginer combien la situation de son invitée pouvait être éprouvante.

- Je ne sais pas trop comment vous dire ça, commença Anja avec hésitation. Est-ce que vous êtes pressée d'aller vous coucher ? Si non, j'aurais bien discuté un peu au calme, parce que là dans cet appart' inconnu j'angoisse un peu... Je suis désolée, vous devez me trouver ridicule...

- Absolument pas, je comprends, la rassura Leigh. Je peux entrer ?

Anja la laissa passer et s'adossa à la tête de lit, étendant ses jambes sur le matelas. Leigh hésita un moment avant de finalement se décider à s'asseoir au bord du lit.

Les deux femmes restèrent un moment dans un silence gêné sans pouvoir se regarder, avant qu'Anja ne prenne la parole.

- Je crois qu'il est temps d'aborder les accusations de terrorisme qui pèsent contre moi.

Leigh écarquilla les yeux, prise par surprise, et les releva vers Anja.

- Vous n'êtes pas obligée, si vous ne vous sentez pas prête...

- Vous aviez dit attendre mon rétablissement pour en discuter, aujourd'hui je suis presque remise, à part ce fichu bras en écharpe... Et j'en ai assez de fuir mon passé, et mes responsabilités. Il est temps.

Leigh acquiesça.

- Pour pouvoir vous expliquer la situation telle qu'elle était, il faut que vous parle d'abord de comment j'ai rencontré Zulaj. Je viens de la campagne profonde de Serbie, là où la scolarisation des filles n'a jamais vraiment été une priorité. L'avenir qui nous attendait toutes consistait à épouser un mec du coin et devenir femme au foyer jusqu'à notre mort, dominées par nos hommes et nos fils. Je crois que c'est pour ça que mes parents n'ont pas vraiment trouvé grand-chose à redire lorsque j'ai arrêté d'aller au collège. Je savais lire, écrire, compter, et dans leur esprit c'était bien suffisant. Je me levais aux aurores pour aider ma mère, et puis je partais à vélo jusqu'au bourg le plus proche. J'avais pas mal de trajet dans les collines, en hiver ce n'était pas une partie de plaisir. Là-bas je retrouvais mes amies, et parfois quelques garçons qui avaient quitté l'école eux aussi, et avaient eu droit à un jour de repos de la part du patron. Tous avaient mon âge, quelque chose comme douze ou treize ans, parce qu'on enseignait tôt aux filles à ne pas s'approcher des garçons plus âgés que ça. Nos mères nous avaient mises en garde contre les viols et les mariages forcés, parfois elles-mêmes victimes.

Anja ramena ses genoux contre sa poitrine et passa ses bras autour de ses cuisses.

- Avec mes amies, on traînait toute la journée dans les rues, et si on avait vraiment trop froid on finissait par s'abriter dans une grange en espérant ne pas être chassées à coup de fourche par le propriétaire. Le bourg se trouvait à seulement une vingtaine de kilomètres de Novi Sad, la deuxième ville de Serbie, mais aucune de nous n'y était jamais allée. La plupart d'entre nous ne rêvait que de s'enfuir de ce trou pour aller vivre n'importe où ailleurs, quelque part où il ne fallait pas faire trente minutes de scooter pour trouver une épicerie. C'est là qu'apparaît Zulaj, un proche ami de collège de mon frère qui travaillait à Novi Sad par intermittence, et revenait traîner dans sa ville natale entre deux missions. J'avais confiance en lui, il était souvent venu déjeuner à la maison et connaissait mes parents. On se saluait toujours quand on se croisait et puis on papotait un moment. Depuis qu'il m'avait rencontrée, toute petite, il me taquinait en disant qu'un jour il me mettrait à l'arrière de son scooter et qu'ensemble on partirait visiter Belgrade. La guerre était passée par là, mais à cette époque il avait finalement pu s'acheter son scooter et me reparlait de Belgrade régulièrement avec son grand sourire charmeur. Je ne me posais même pas la question de la provenance de l'argent ni de celle concomitante de l'inflation galopante, ni même comment il était possible qu'il gagne autant en travaillant si peu. Je le trouvais beau, je le trouvais charmant, et il me promettait tellement mieux que ce à quoi je pensais être destinée. On s'est fréquentés quelques temps dans le dos de mon frère et de mes parents. Zulaj m'emmenait faire des balades en scooter à Novi Sad et m'achetait des robes dans des boutiques dont je n'aurais même pas pu envisager l'existence. Du haut de mes quatorze ans et de ses dix-neuf, il me traitait comme une adulte et j'appréciais. Ce que j'ignorais cependant, c'est que l'argent provenait initialement d'un trafic d'eau de vie frelatée et que Zulaj était une petite frappe de la mafia de Novi Sad.

Éblouissante [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant