1 ~ Quelle idée !

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Un enfant, c'est un cadeau du ciel. Neuf longs mois d'attente partagés entre l'envie impatiente et l'incroyable angoisse de créer un nouvel être humain. De l'amour, de la douleur, des sacrifices sans nombre ainsi qu'un immense espoir, tout ça pour une petite tête bouffie et une grimace entre deux cris cassés. Un cadeau tout simple qu'on offre à un autre être humain : la vie.

Deux gros yeux fermés prêts à s'ouvrir sur le monde pour une petite chose qui deviendra bientôt le plus précieux des trésors de sa nouvelle famille. Un regard plein de pureté, un sourire plein de joie. Un bourgeon naissant n'attendant qu'à murir en une fleur éclatante de milles et un pétales. Tant de promesses et d'ambitions pour un petit être auquel l'avenir tend les bras. Face à un tel bonheur, comment ne pas aimer son enfant ?

Fallait demander à mes parents.

Je rentrais du lycée sans trop m'inquiéter. 17h30, comme tous les jours de l'année. Un jeudi après-midi banal, la même routine qui durait depuis 17 ans déjà —un peu moins, si l'on partait du principe qu'un nouveau né n'allait pas à l'école. Mais un jour comme un autre peut en cacher un qui changera toute une vie. J'aurais dû me méfier, le monde est cruel pour ceux qui ne s'en méfient pas.

Comme toute lycéenne normale, en rentrant dans ma chambre, j'étalai mes affaires de cours sur mon bureau et allai checker mon portable pour m'accorder quelques minutes de repos. Je regardai une vidéo, deux vidéos... dix vidéos. Quand je réussis enfin à sortir du gouffre sans fond que m'ouvraient les applis de mon portable, il ne restait plus qu'un quart d'heure avant l'heure du repas. Comme d'habitude, ma mère m'appela pour aller manger tandis que je me mettai au premier exercice. J'abandonnai aussitôt et partai la rejoindre —je n'avais de toute façon jamais commencé mes devoirs avant neuf heure, le soir.

C'était en arrivant à la salle à manger que ça s'était gâté. Dès lors, les devoirs étaient devenus la dernière de mes préoccupations.

Mon père travaillait dans une agence privée au service de l'Etat. En soir de semaine, il rentrait tard, si bien que nous avions toujours mangé seules avec ma mère. C'était pourquoi le voir à la maison pour le dîner m'avait beaucoup surprise. Quand j'abordai la question, il prétendit avoir eu moins de travail dans la journée et avoir pu rentrer plus tôt. Je trouvai la nouvelle très bonne, mais son air sombre et l'espèce d'arc électrique qui semblait crépiter entre lui et ma mère ne m'avaient pas échappés, cela plombait quelque peu l'ambiance. Je compris que mon père me cachait quelque chose qui allait me déplaire. Bien-sûr, je fus alors très impatiente qu'il me mette au parfum.

La terrible révélation vint bientôt sur la table. Enfin, pendant que nous étions à table. En me tendant l'assiette qu'elle m'avait servie —alors qu'elle ne me servait jamais, d'habitude—, ma mère lâcha le très fameux "Héloïse, il faut qu'on parle". Je sentis mes joues brûler comme des bûches dans le feu. J'étais à la fois angoissée et terriblement curieuse, mais je tâchai de ne pas le montrer —un truc un peu stupide que j'appellais "fierté". Je posai ma fourchette et levai les yeux au ciel, puis envoyai à mes parents un regard las, qui n'avait clairement rien à voir avec la lave en fusion qui brassait dans ma tête. Allaient-t-ils divorcer ? Allait-on avoir un chien ? Je leur avais toujours demandé un chien !

" Ne t'en fais pas, cela va bien se passer, débuta ma mère d'une voix hésitante.

La curiosité céda place à la crainte dans ma petite tête couleur châtaigne. Je me mis à réfléchir à toute vitesse, de toute sorte de sujets sérieux qui pourraient me mettre un bon coup au moral. Quand mes parents disaient de ne pas s'en faire, en général, c'était justement qu'il y avait tout à s'en faire. 

Quelqu'un était-il mort ? Il me restait trois grands parents, deux oncles et deux cousins. Je commençai à faire un classement dans ma tête pour savoir desquels je pouvais me dispenser, et puis je me rendis compte que je tenais horriblement même à celui qui arrivait en dernière position. Mon cousin, Aurélien, qui avait deux ans de plus que moi et qui m'avait fait boire l'eau des toilettes quand j'étais petite en me promettant que ça me donnerait des pouvoirs magiques. Bien-sûr, cela avait échoué. Sa trahison m'avait énormément vexée, je lui en avais toujours voulu. Mais sa mort me ferait tout de même très mal au cœur. Non, Aurélien ne pouvait pas être mort ?

SecondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant