— On reprend : que pensez-vous de ma soupe ?
Prenant mon courage à deux mains, je ramassai une cuillère de la mixture très odorante et l'avalai à pleine gorgée.
— Je... je la trouve... euh... particulière ?
Je fermai les yeux. Heureusement, j'avais trouvé une bonne parade : mon collier ne s'alluma pas. Quand je rouvris les paupières, je vis cependant à sa grimace embêtée que mon propriétaire n'était pas satisfait.
— C'est ta réponse qui est particulière.
Une bouffée de colère me pris à la gorge. C'était la troisième fois que je devais boire sa soupe immonde et il me reprochait encore des choses ! Je lâchai la cuillère qui s'écrasa dans l'assiette et éclaboussa le sol au passage, dans un fracassant bruit de vaisselle.
— Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre de ta soupe ! m'exclamai-je. J'ai même pas envie de mentir pour ça. Je m'en fiche de savoir si c'est un foutu aristocrate ou si c'est le roi du monde : s'il me sert ce truc, je lui dit qu'il devrait faire son job au lieu de cuisiner et ce sera mieux pour tout le monde !
Je me levai et fis quelques pas en rond, rageuse.
— C'était pas si mal, fit remarquer Elkass avec un sourire en coin. Tu ne veux pas faire pareil pour la soupe ?
Je m'arrêtai et le fusillai du regard : j'avais la très claire impression qu'il se foutait de ma gueule. Puis un relent de sa mixture pourrie me monta dans la gorge. Je me tins le ventre et couvris ma bouche.
— J'ai envie de vomir.
Il pouffa.
La nausée passa plus vite que son fou rire. Remise, j'allai répliquer sèchement, mais son sourire joyeux eut raison de moi. Au soleil, Elkass avait une teinte de peau plus claire. La lumière qui faisait briller ses dents lui donnait quelques années de moins, cela changeait du visage sérieux qu'il abordait à longueur de journée. Je me demandai si cela lui arriver souvent, de rire de cette manière.
Si j'avais compris quelque chose durant cette journée de cours, c'était que les anges n'étaient pas très différents des humains, concernant l'honneur et les jugements. À vrai dire, ils étaient peut-être même pires.
Ici, tout le monde épiait les faits et gestes des personnes influentes pour les critiquer, comme des vautours qui guettent des proies blessées. Parmi les grosses têtes de la classe, Elkass était plus particulièrement visé, et je ne savais pas comment il avait fait pour tenir jusque là. Il avait atteint un degré de perfection tel que réussir semblait naturel chez lui, c'était la norme. Bien sûr, tout le monde s'amusait donc à amplifier ses échecs. Et moi, je m'étais mise à admirer mon maitre pour garder la tête haute malgré tout.
En rentrant, j'avais commencé mon entraînement. Il m'avait parlé des personnes que nous avions rencontrés dans la journée et des quelques cours qu'il voulait que je retienne. Puis il s'était lancé à m'apprendre comment contourner la surveillance de mon collier. Finalement, avec les différentes stratégies qu'il avait mises en place, la tâche se révélait moins difficile qu'il n'y paraissait.
Je retournai m'asseoir en face de lui, la mine contrariée.
— Non mais sérieux, ça arrive qu'une personne importante donne ce genre de truc à manger ?
Elkass posa la main sur son ventre afin de calmer son fou rire. Il secoua la tête par la négative avec un sourire puis se défendit :
— Non, rassure toi, mais c'est un bon entraînement.
Je soufflai du nez. Il avait raison : mieux valait m'entraîner sur des situations difficiles pour me préparer au pire. Cependant, cette histoire de soupe me laissait un mauvais goût dans la bouche.
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Seconde
ParanormalComme un ange... ou presque ? Aussi loin que le ciel s'étendra, il sera sa prison. Bienvenue dans un monde où les anges jouent aux démons, où les alliés trahissent, où les cieux s'embrasent et où la liberté se révèle être le plus grand des poisons. ...