— Héloïse, pouvez-vous me donner le sel, s'il vous plaît ?
La tête penchée sur mon assiette, je jetai un regard en biais à l'homme qui m'avait appelée. C'était le maître de maison et le père d'Elkass, le vénérable monsieur Dancy. Un gars plus grand et plus musclé que son fils —si c'était possible—, bâtit comme un golem. Son visage, d'yeux clairs et de cheveux bruns, semblait lui aussi sculpté dans la pierre. Hezzou —surnom que j'avais donné à la vieille domestique, parce que je trouvais ça trop drôle de lui donner un surnom vu son air pincé— m'avait priée de faire tout ce qu'il ordonnait. Bien entendu, je n'étais pas prête d'obéir.
Je ne réagis pas, j'avais décidé de ne plus répondre au nom d'"Héloïse". Nous étions quatre à table : Elkass, son père, ainsi qu'un autre gars avec un monocle, qu'Hezzou m'avait présenté comme étant son second. Tous mangeaient silencieusement, se tenaient droit, étaient bien élevés. Elkass fut le seul à s'agiter tandis le silence se prolongeait.
— Père, elle ne s'appelle plus Héloïse, elle...
Son père grogna —du moins j'interprétai le bruit fort qu'il produisit, malgré sa bouche fermée, comme étant un grognement.
— Ah oui ? Comment doit-on l'appeler dans ce cas ?
Je fronçai les sourcil. Il y avait quelque chose de clairement méprisant dans sa voix et cela me déplaisait. Elkass se dépêcha de répondre :
— Démé...
— Zede-a.
Disant cela, je passai une main pour ranger mes cheveux derrière mon oreille mutilée. Je fis un petit sourire à Elkass qui leva un sourcil d'étonnement. Sûre de moi, je défiai son père du regard.
Le maître de maison fit la grimace, puis posa ses couverts pour me regarder dans les yeux.
— Pardon ?
Sa manière exagérée d'articuler me donnait envie de le frapper. Il me prenait de haut, quel père hautain ! Décidément, je n'aimais pas les paternels, quels qu'ils soient.
— Je m'appelle Zede-a, répété-je le plus sérieusement possible.
La mine sceptique, il baissa les yeux sur mon cou puis fronça les sourcils. Je mis un instant à comprendre qu'il ne s'intéressait pas à ma peau tendre, mais à mon collier.
— Elkass, tu l'as activé ?
— Oui, père.
Je levai fièrement le menton.
— Je ne mens pas, affirmai-je, contente d'officialiser mon changement de nom. Mon maître m'a nommée Zede-a, alors je m'appelle Zede-a.
L'homme resta un instant pensif, puis il se mit à sourire. Quand il me dévisagea à nouveau, je crus voir un changement dans son regard. C'était une teinte qui me rappelait quelque chose de très désagréable, sans que je susse quoi. J'en eu des frissons.
— Eh bien, puis-je avoir le sel, Zede-a ?
J'attrapai lui tendis la salière.
— Bien entendu.
Il l'attrapa et s'en servit. Elkass soupira, sans doute rassuré par la résolution du conflit. De mon côté, je ramassai mes couverts pour poursuivre mon repas. Je ne pus tout de même pas empêcher mes mains de trembler.
Mes soupçons se confirmèrent après le repas. D'un air chaleureux, le père d'Elkass congédia son fils d'un geste de la main tandis que je dû aider Hezzou à débarrasser la table. Quand elle me chassa de la cuisine pour cause de mauvaise volonté —j'avais cassé une assiette avec un peu trop d'enthousiasme pour que cela semblât accidentel— les lumières de la maison étaient déjà éteintes. Je dû retourner à ma chambre toute seule, dans le noir (parce qu'il ne semblait pas avoir d'interrupteurs dans cette maison, du moins ne les avais-je pas apperçus). Ce ne fut pas un problème, ma vision de nuit semblait s'être améliorée durant les derniers mois, et j'avais retenu le chemin. Les ennuis survirent quand le père d'Elkass croisa ma route.
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Seconde
ParanormalComme un ange... ou presque ? Aussi loin que le ciel s'étendra, il sera sa prison. Bienvenue dans un monde où les anges jouent aux démons, où les alliés trahissent, où les cieux s'embrasent et où la liberté se révèle être le plus grand des poisons. ...