2 ~ Les méchants ne pleurent pas

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Ma mère m'avait embrassée sur le front avant mon départ. Peut-être était-ce de l'amour, peut-être était-ce hypocrite ? Je n'avais pas cherché à savoir.

Elle s'était levée aux aurores pour me tirer du lit —ce dont je n'avais pas eu besoin étant donné que j'étais restée debout toute la nuit. Elle m'avait préparé ma tenue et des tartines pour mon petit déjeuné, c'était assez exceptionnel pour entrer dans l'histoire, même si je n'avais pas la tête à célébrer quoique ce soit. Durant le repas, elle n'avait cependant pas pipé mot, sans poser son habituel "bien dormis ?" de tous les matins tandis que j'attaquai mes tartines. Je supposai que ma tête de zombi devait assez bien la renseigner sur ma situation. Sans doute ne voulait-elle pas non plus entamer la conversation, ce qui était tout à fait raisonnable étant donné la rapidité avec laquelle la discussion pouvait dégénérer.

Elle s'était occupée de me maquiller et de me coiffer, toujours sans oser parler. Je m'étais laissée faire, partagée entre l'envie de fuir en lui marchant sur les pieds ou de profiter de ces derniers instants bénis avec ma tendre mère. La violence n'étant pas dans mes habitudes, j'avais donc choisi la deuxième option. Pour me rassurer, j'avais fini par décider qu'elle n'avait rien fait de mal dans cette histoire, car il me fallait trouver un innocent sur lequel me reposer. C'était pour cela que je me montrais docile avec elle. Elle avait honte et je lui en étais reconnaissante. Même lorsqu'elle avait monté mon sac dans la voiture avant de revenir me voir, les larmes n'avaient jamais quitté ses yeux. Ses mains tremblaient, je voyais que nos séparations la déchiraient. Les méchants ne pleurent pas quand ils commettent l'irréparable, et ma mère pleurait.

Elle avait passé un bijoux dans mes cheveux, une barrette blanche et nacrée avec un motif de fleur.

— C'est un héritage de famille, m'avait-elle soufflé. Ta grand-mère aurait voulu que tu l'aies.

Ce à quoi j'aurais bien pu répondre que je ne faisais plus partie de la famille, comme on m'avait vendu, avant de jeter rageusement son cadeau à travers le jardin. Cependant, je fus prise en même temps de l'envie de fondre en larme. L'un dans l'autre, je restai immobile. Je ne pus même pas regarder ma mère, devenue muette. Je m'étais promis que mes parents ne me feraient plus pleurer, qu'ils ne le méritaient pas, mais je savais que je ne pourrais m'en empêcher si je devais croiser leurs regards.

J'étais alors montée à l'arrière de la voiture et nous avions démarré. En apercevant ma mère faire de grands signes de mains devant la maison pour me souhaiter bon départ, je m'étais dit que c'était sans doute la dernière fois que je la voyais. Je n'avais pas tenu plus longtemps, je m'étais détournée avant que les larmes n'aient la mauvaise idée de trahir ma promesse.

Je passai le reste du trajet à regarder par la vitre le paysage défiler, plutôt que de devoir aviser le siège du conducteur qu'occupait mon père. Dehors, le soleil commençait à se lever sur la petite ville qui m'était si familière. Je passais tous les jours dans ces rues pour aller à l'école, jouer au basket, faire les courses, ... La boulangerie où je prenais du pain tous les mercredis ouvrait à peine. J'étais née dans l'hôpital, là-bas. J'avais grandi dans cette petite ville, je l'avais aimée. Et j'étais certaine de ne plus jamais la revoir. J'avais été vendue. 17 ans de vie pour être vendue, quel gâchis.

Je fermai les yeux, j'étais fatiguée. Je ne voulais pas regretter davantage. J'avais passé une bonne heure de la nuit à pleurer, trois à réfléchir et quatre à faire mon sac. Ou peut-être avait-ce été l'inverse ? Ce n'était pas important. Le sommeil me rattrapait, je me mis à somnoler. Ce ne dut pas plaire à mon père car il me réveilla bientôt :

— Tu dois comprendre que notre monde est bien plus complexe que ce que tu ne le crois, Héloïse.

J'eus un bâillement qui me décrocha la mâchoire. Plus complexe ? Qu'en avais-je à faire ? Ses paroles n'était qu'un brassement d'air, j'avais sommeil.

SecondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant