Le premier des étrangers, le moins vieux, porta ses mains à ses tempes pour parler :
— Zayv Arasëë hizkan fwor essaie.
Au moins c'était clair : je n'avais aucune idée de ce qu'il venait de dire, mais celui-là ne venait pas de chez nous. Il eut un sourire satisfait avant de reprendre.
— Transition faite, je m'occuperai de la traduction pour la durée de l'échange. Nous nous présentons : Ayzen Vhonce et Joyorn Strance. Nous vous souhaitons le bonjour, Monsieur Vernay.
La traduction semblait fiable. L'étranger s'avança pour serrer la main de mon père, comme un homme d'affaire terrien. L'autre, celui aux cheveux grisonnants, fit un détour pour se rapprocher de moi. Il ne parlait pas, mais son comportement voulait tout dire. Je le surveillai du coin de l'œil et fus saisie de peur en comprenant qu'il ne comptait pas s'arrêter.
Je me sentis soudain vulnérable, prise d'une envie de fuir telle que je ne l'avais jamais ressentie. Avec son regard lubrique, j'avais l'impression d'avoir affaire au plus dangereux des prédateurs. Mon cœur battait, j'étais terrifiée à l'idée de ce qu'il pouvait me faire si jamais il posait la main sur moi. Comme un animal menacé, je m'apprêtai à partir en courant. Peut-être était-ce d'ailleurs la meilleur idée qu'il me fût venue à l'esprit de la journée.
Ce ne fut cependant pas le pervers qui m'atteignit en premier, mon père le devança et posa la main sur mon épaule. Ce n'était bien-sûr pas pour me défendre, plutôt pour me présenter à mes futurs tortionnaires. J'avais l'impression d'être une pièce de viande sur un marché, cela me donnait envie de vomir. Sa présence sembla cependant décourager l'homme aux cheveux blancs d'approcher, ce qui était toujours ça de gagné.
— Si vous le voulez bien, poursuivons nos négociations dans mon bureau, proposa mon vendeur.
Les deux hommes échangèrent un regard.
— Il en va de soit, approuva le traducteur.
Mon père me poussa pour que j'avance. J'eus bien envie de le planter là pour m'enfuir, ou au minimum refuser de coopérer et faire barrage. Mais je n'avais pas envie que ces hommes dussent m'emmener par la force, et bien que cela me dégoutasse, je n'avais jamais désobéi à mon père.
On m'emmena à l'intérieur par une porte de service, je ne vis rien de l'immeuble et fus enfermée seule dans une salle annexe. La pièce ne comportait rien d'autre qu'un bureau, les murs étaient gris et lisses, sans fenêtres. Le sol nu semblait avoir souvent été foulé durant les derniers jours. Je fronçai le nez et allai m'asseoir sur la table, les jambes croisées.
Résignée, je m'efforçais à ne pas trop penser à ma vente. Il était cependant difficile d'oublier le sentiment de vide qui m'habitait depuis la veille. J'avais l'impression d'être un frigo cassé, inutile et jeté. Je ne parvenais pas non plus à me défaire de la boule d'angoisse qui s'était nichée dans ma gorge et qui réenflait dès que le regard curieux de l'inconnu aux cheveux gris me revenait en mémoire.
Je comprenais que je n'étais qu'un bout de chaire sans défense et que j'allai bientôt lui appartenir. Lorsque qu'ils m'emmeneraient, ces étrangers pourraient disposer de moi à leur bon vouloir, me faire subir des tortures plus horribles les unes que les autres, sans que je ne puisse répondre par autre chose que par les poings. Je ne savais pas quelles étaient les règles des anges au sujet de la protection des esclaves, mais j'avais compris que dans n'importe quelle culture, lorsque quelque chose nous appartenait, on en faisait ce qu'on voulait.
Je me frottais les bras, les membres tremblants. Dans le silence, les battements de mon cœur me montaient à la tête. Ces étrangers, qu'allaient-ils me faire exactement ?
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Seconde
ParanormalComme un ange... ou presque ? Aussi loin que le ciel s'étendra, il sera sa prison. Bienvenue dans un monde où les anges jouent aux démons, où les alliés trahissent, où les cieux s'embrasent et où la liberté se révèle être le plus grand des poisons. ...