11 ~ C'est Alzès

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Quand nous entrâmes en classe, il se fit un silence digne d'un cimetière. C'était sans doute que cela concordait avec la date de mon enterrement.

Depuis notre arrivée au lycée, je n'avais pas lâché Elkass d'une semelle, mais j'eus d'autant plus envie de me cacher derrière lui dès cet instant. Les élèves déjà arrivés m'observaient sous un silence de plomb, ils étaient si concentrés que ça me donnait l'impression d'être une célébrité. De manière générale, je n'aimais pas les camarades de classe, je les considérais comme des personnages secondaires et j'évitais de leur parler. Mais ceux-là, je les maudis carrément, parce que j'étais certaine qu'ils me jugeaient et que je ne supportais pas d'être jugée.

Je levai le menton et me forçai à marcher droit, sans trop regarder mon propriétaire, pour ne pas paraître dépendante. Je ne m'attardai pas non plus sur les visages des autres, je ne voulais pas qu'ils eussent l'impression que je m'intéressasse à eux. Je ne m'intéressais à personne : je n'étais pas ici pour me faire des amis.

Elkass se dirigea vers le milieu de l'amphi et s'y installa comme un roi. Il me fit signe de le rejoindre d'un mouvement de tête et je m'assis à côté de lui, cachant du mieux que je pus mes mains tremblantes dans les pans de ma tenue.

— Tu as le droit de sourire, me chuchota-t-il à l'oreille.

Je sursautai tandis qu'il reculait pour sortir ses affaires. C'était nouveau, de me parler de si près.

Deux personnes, ou plutôt trois, virent à notre rencontre, l'un traînant derrière lui un jeune homme de notre âge vêtu d'une tunique brune. Reconnaissant l'uniforme des seconds, identique au mien, ainsi que le détecteur de mensonge à son cou, ce fut sur lui que je portai mon attention.

— Alors t'as vraiment acheté une seconde ! s'exclama l'un des deux importuns.

Mon homonyme détournait obstinément le regard. Je me mordis la lèvre, j'allais devoir me concentrer sur quelqu'un d'autre.

— Parce que tu croyais que je plaisantais ? se vexa Elkass.

Du coin l'œil, je m'assurai qu'il souriait. C'était étrange, il semblait plus à l'aise avec ces inconnus. Sa manière de parler était relâchée : ces deux jeunes hommes devaient être ses amis. Je me risquai à leur jeter un coup d'œil discret.

L'un —celui qui venait de parler— était un jeune homme à la peau noire qui contrastait avec le doré de son uniforme ainsi qu'avec la blancheur de ses dents, comme il souriait. À bien y regarder, il n'était pas laid. Pas laid du tout, même. Mais je n'étais pas ici pour sympathiser, alors je détournai le regard.

Le deuxième avait un physique moins avantageux. Son nez était gros et ses joues bouffies encombraient ses yeux déjà petits. C'était plus fort que moi, il m'évoquait un cochon. La ceinture qui retenait sa tunique devait être trop serrée : des bourrelets indésirables passaient par dessus bord. Malgré moi, mon regard retourna vers le premier. Puis je me rendis compte que celui-ci me fixait.

— Bonjour !

Le ton amical qu'il employa était très exagéré. Je fronçai le nez : c'était comme s'il me considérait comme un chiot. Je n'aimais pas ça.

— 'jour, grommelai-je en retour.

Son sourire se figea. L'autre, celui qui ressemblait à un porc, pris la parole :

— Comment tu t'appelles ?

En l'entendant parler, son second leva la tête. Mais j'étais trop occupée à jauger mon interlocuteur pour croiser son regard. J'hésitai à consulter Elkass avant de répondre, parce que chacun de mes mots devait être dangereux pour lui. Je n'étais pas non plus certaine qu'il eût tout à fait accepté mon nouveau prénom. Cependant, comme son ami m'avait posé la question directement, je supposai être en droit de répondre.

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