L'éclat ambré du regard pensif scrutait à nouveau la peau lacérée. La contempler une énième fois ne semblait pas le lasser, ni même l'agacer. Pourtant, il les connaissait à merveille, ces griffures cicatrisées. En vingt ans d'existence, elles n'avaient jamais subi la moindre transformation. Ces deux traits horizontaux, soigneusement coupés dans cette chair juvénile, il les connaissait par cœur. Après tout, il les avait tant dévisagé. Tout comme ces centaines de poignets, tous entaillés d'une façon bien opposée. Aucun d'entre eux ne partageait ne serait-ce qu'un seul maudit détail en commun avec le sien. À croire que lui ne disposait d'aucune âme sœur. Certainement était-il voué à ne jamais rencontrer l'amour... Une larme douloureuse se logea au coin de son œil. Thomas en était sûr, il était maudit. Julia, sa sœur, avait une cicatrice identique à celle de Minho, Aris à celle de Rachel, Brenda à celle de Gally, Frypan à celle de Sonya... Dans son entourage, il était le seul à n'avoir trouvé personne. Aucun poignet n'avait été lacéré comme le sien. Ces deux traits horizontaux ne marquaient que sa peau, aucune autre. Découragé et vidé de tout espoir, l'adolescent décida de quitter l'atmosphère morose de son salon. S'aventurant à l'extérieur, ses pas mélancoliques marchant silencieusement dans la blanche neige, il partit en direction du café. Là-bas peut-être la bonne humeur le gagnerait-il. Thomas passa sa commande dans un souffle amer. Le regard ancré sur l'horizon vaste et monotone, l'éclat ambré de ses iris transperçait le verre de la fenêtre. Il balayait les environs enneigés, scrutait les oiseaux corpulents emmitouflés dans leurs manteaux de plumes, le glissant verglas couché malicieusement sur le sol glacial, les bancs abandonnés au gel hivernal, et les passants qui se promenaient main dans la main avec leur âme sœur. Jamais il ne s'était senti aussi désemparé. Pourquoi cette injustice ? Quel crime avait-il commis ? Son regard regagna le café uniquement lorsqu'un raclement de gorge poli captiva son attention. Il croisa alors deux billes obsidiennes, débordantes d'espoir et de passion. Thomas fut aussitôt jaloux de cette joie à peine dissimulée. Détachant ses prunelles de ces sombres abysses, il admira timidement le visage séraphique du garçon à ses côtés. Ses mèches blondes cascadaient sur ses yeux, son nez retroussé avaient été rougis par l'hiver et ses longues mains venaient de poser sur la table un café fumant. Le détail le plus important restait son sourire, son somptueux sourire, sincèrement jovial, gentiment honnête. Thomas, subjugué, rêva un instant devant cet être céleste. Ses yeux mordorés coulèrent sur le poignet du garçon comme par réflexe. Deux traits horizontaux ornaient sa chair. Les muscles de Thomas se relâchèrent, il plongea son regard dans celui amusé du garçon. Venait-il de rêvasser ? Ses yeux scrutèrent le badge de sa muse, fièrement accroché sur sa poitrine gonflée de gaieté. Il y lut : Newton. Ses cils battirent, ravis par ce nom qui résonnait si harmonieusement dans son esprit. Un espoir chimérique naquit en lui. Lorsque ses yeux remontèrent dans ceux de Newton, il vit son regard s'ancrer sur ses propres cicatrices. Le garçon les détailla minutieusement, se laissa prendre par leur motif, se perdit dans sa découverte. Newton fixa enfin ses yeux noirs dans les siens et émit un rire cristallin : « Je t'ai enfin trouvé ! »