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Misha se réveilla à l'aube avec un de ces maux de tête qu'elle ressent toujours quand elle n'a pas assez dormi. Habituellement elle refermerait les rideaux ou fuyerait les rayons du soleil sous sa couette, mais elle n'avait ni l'un ni l'autre. 

Attends... Misha se redressa sur sa couche. Eh bien voilà, la mémoire lui revenait! Elle referma les yeux pour tenter de se représenter sa chambre à coucher. Un tintement d'une clé contre les barreaux de sa cellule la sortit de ses pensées. 

Une servante s'introduit avec un plateau de nourriture et une brosse à dents en bambou. Misha la remercia à voix basse puis prit le plateau à deux mains. Elle grimaça en voyant les baguettes en bois : Elle n'était pas très douée avec ces ustensiles. 

Elle s'arrêtait à nouveau. Suffisait-il de voir ou de vivre quelque chose pour que sa mémoire s'active? Se rappellerait-elle d'où elle venait s'il s'avérait qu'elle passe par un endroit familier? 

La jeune femme mangea son déjeuner tant bien que mal, préférant perforer ses petits pains de porc [pork buns] avec ses baguettes que de les manger avec ses doigts puisqu'elle ne pouvait pas se laver les mains. 

Elle avait presque terminé son assiette quand le prince de la veille et son fidèle accolyte apparurent derrière les barreaux. Un garde leur parla à voix basse avant de leur ouvrir la porte puis de la refermer derrière eux. Misha déglutit sa bouchée puis déposa son plateau afin de se prosterner devant le prince. 

- Debout étrangère, lui dit ce dernier d'un ton sec, nous avons des questions à te poser. 

Elle s'exécuta aussi vite qu'elle le put, tâchant de ne pas paraître nerveuse ou apeurée. 

- Ton nom? 

- Misha... Kande Misha. 

- Kande... Tu es de quelle famille?

- ... La famille Kande? répéta-t-elle sans comprendre.

- Êtes-vous de bonne famille, ou une simple paysanne? précisa Seng Shan.

- Euh...

Elle ne saurait dire. Existait-il des bonnes familles au 21e siècle? Le mot famille lui rappelerait peut-être quelque chose toutefois.

- Vous me demandez qui est ma...

Elle garda sa phrase en suspens, le regard lourd d'attentes.

- Famille, c'est exact, confirma le prince.

- ... J'ai deux familles, dit-elle,  confuse face à ce souvenir.

- Tu es mariée? s'exclamèrent les deux hommes en même temps.

Misha les dévisagea quelques secondes. Le mot ne suscitait aucun souvenir, leur réaction en revanche...

- Ma grand-mère me demande tout le temps une question du genre... et je lui réponds tout le temps que je peux prendre soin de moi toute seule.

- Tu veux peut-être réviser ta réponse parce que dans ce royaume, tu n'es pas bonne à grand-chose, rétorqua le prince d'un air hautain.

Misha n'avait rien à répondre à cela. Sa mère lui avait déjà dit cela une fois, que ses études ne lui apporteraient pas un bon travail stable. Et voilà que sa connaissance du chinois lui sauvait la vie - pour l'instant.

- Je suis disposée à apprendre, proposa Misha. 

Le prince la toisa de la tête aux pieds puis consulta son garde du corps du regard. Celui-ci décida de prendre le taureau par les cornes. 

- C'est à l'empereur de décider s'il te permet de demeurer parmi nous ou si tu dois t'en aller.

- ... M'en aller où? 

- D'où tu es venue. 

Misha se pinça les lèvres. Elle ne pouvait pas en arriver là: Plus loin elle serait de son point d'arrivée, le plus difficile ce serait d'y retourner advenant le cas où le chemin du retour, ou la carte du chemin du retour, se trouvait dans les parages. 

- Je ne suis pas... de ce monde, admit-elle. Je suis humaine, je suis vivante, ajouta-t-elle rapidement en voyant le prince s'agiter. 

- Alors pourquoi êtes-vous dans celui-ci? s'enquit ce dernier. 

- Je ne voulais pas venir ici, je ne sais pas ce qui s'est passé! Je... J'ai besoin de rester ici afin de trouver un moyen d'y retourner le plus vite possible. 

-Pourquoi être si pressée? Vous avez quelque chose à apprendre à votre peuple? 

Misha demeura pensive, semblant avoir oublié qu'elle n'était pas seule. Seng Shan prit l'avant bras du prince pour lui demander la permission de s'adresser à leur prisonnière. 

- À quoi viens-tu de penser? 

- Je... Je suis professeure... ou tutrice, si vous préférez. Dans mon monde. Mais ça n'explique pas mon arrivée ici. J'ai étudié en langues, pas en... politique, ou en histoire. 

- Je vois, répondit le prince. 

- Vous voyez, vraiment? 

- Qu'elle se fasse consulter par un médecin, déclara le prince avant de se retourner et de sortir du cachot. 

Seng Shan prit le temps de s'incliner avant de partir à la suite de son maître. Misha le suivit jusqu'à la porte, qui se referma sur elle. 

- Attendez ! 

Elle avait pu retenir le garde par la manche de son hanfu à travers les barreaux. Le prince s'était arrêté aussi mais il ne se retourna pas. Misha regarda donc Seng Shan pour lui demander: 

- Je ne me rappelle même pas d'où j'étais hier ! Je... Je peux prêter serment que je ne veux pas nuire à ce royaume, que je n'ai pas de maître, et que je n'espionne pour personne ! Il doit exister un test pour déterminer si quelqu'un ment ou pas, n'est-ce pas? 

Seng Shan dégagea son bras de son emprise, déchirant la manche de son vêtement sur l'un des barreaux par la même occasion, et rejoignit le prince. Celui-ci fit signe à Seng Shan de partir en premier et il déclara: 

- L'empereur décidera si vous mentez ou dites la vérité. En attendant, j'envoie le médecin pour m'assurer que vous n'êtes pas folle ou malade.

Misha grimaça. Un empereur, ça ne paraîssait pas être le summum de la clémence. Et si l'empereur était le père de ce prince? Sa vie ne tenait alors qu'à un fil. 

Avant que tu ne partesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant