Misha entra seule chez la consort du premier prince, le visage encore sévère de sa conversation avec le garde du corps. Alors qu'on la faisait patienter sur le porche de sa demeure, la jeune femme n'avait cessé de repenser à cette discussion en tâtant machinalement sa taille pour son cellulaire. Sa gorge serrée, sa mâchoire serrée, ses poings fermés lorsqu'il lui avait proposé de jouer les cupidons, elle avait déjà éprouvé ce sentiment quelque part... dans son monde à elle. De la colère? Ce n'était pas cela, pourtant, c'était plus triste... Mais ce n'était pas de la tristesse non plus. Quelque chose entre les deux.
- Vous savez danser?
Misha releva la tête en sursaut, croisant par inadvertance le regard hautain de Qu Pan'er. Celle-ci fronça aussitôt les sourcils, lui rappelant de baisser ses yeux vers ses pieds.
- Eh bien, répondez!
- Oui, oui, oui... Je sais un peu danser.
- Eh bien je n'aurai pas besoin de vous souvent... Savez-vous vous rendre utile?
- Pardon?
- Tu es sourde ou quoi?
Qu Pan'er se leva sans attendre de réponse et déclara à son intendant:
- Qu'elle tienne l'un des éventails lorsque je suis au soleil, elle n'a pas besoin de se soucier du soleil et de la poussière.
Misha releva brusquement la tête, interloquée par l'audace de la consort. Heureusement pour elle, celle-ci avait déjà fait signe aux gardes de faire sortir l'étrangère alors qu'elle partait se coucher.
Misha se fit donc escorter aux quartiers des servantes, où elle se trouva une natte et un coin tranquille pour dormir. Installée sur son lit de fortune, elle sortit son cellulaire de sa ceinture après s'être assurée que tout le monde dormait autour d'elle.
Le smartphone n'éveillait aucun souvenir au premier regard: La coque était abimée et l'écran légèrement fendu près de la caméra, donc elle se doutait qu'elle l'avait depuis un certain temps, mais il lui fallut trois essais avant de trouver le bon doigt pour déverrouiller son smartphone.
Elle alla d'abord sur l'applications Notes: des listes d'épicerie, de choses à faire, de produits à commander... Rien de très révélateur pour la ramener chez elle. Elle cliqua ensuite sur sa messagerie et lut au hasard quelques conversations. La majorité d'entre elles était avec ses étudiants lui sembla-t-il, car les textos n'étaient pas en mandarin.
- Dis donc, est-ce que je vis toujours en Chine? se demanda-t-elle en se grattant le front.
Elle alla regarder sa liste d'appel et soupira: Des noms en caractères chinois apparaissaient en tête de liste. Seul "Maman" ressortait du lot. Elle parcourut le reste de la liste, cherchant à voir quel nom ferait ressurgir quelque souvenir, mais elle fronça les sourcils en lisant un autre nom dans l'alphabet latin.
- Sunshine? Je connais quelqu'un qui s'appelle comme ça?
Elle réfléchit encore, jetant un coup d'oeil à l'historique d'appel.
- Ça doit être un surnom..., conclut-elle.
Et soudain ses pensées s'arrêtèrent sur Tian Seng Shan, le garde du premier prince. Elle avait tout de suite pensé à ce surnom quand il s'était présenté à elle sur la rive du lac. Peut-être était-ce la dernière personne avec qui elle était juste avant d'être aspirée dans cette dimension?
Elle ouvrit donc ses photos et parcourut frénétiquement sa galerie, cherchant des photos où elle n'était pas seule. Une photo d'elle-même devant un miroir lui fit toutefois pousser un cri avant qu'elle ne se rappelle de ne pas réveiller ses collègues de travail. Elle zooma sur la main qui tenait le téléphone puis regarda sa propre main sans comprendre.
- Ça doit être une blague, raisonna-t-elle, secouant la tête d'incrédulité.
Elle reprit ses recherches, retint de justesse un autre cri. Elle fixa son écran plusieurs secondes sans savoir que penser. Finalement, elle zooma sur le visage de la personne qui lui tenait la main sur la photo.
- Oh mon Dieu... Oh mon Dieu ça ne fait aucun sens...
L'homme sur la photo ressemblait pile poil à Tian Seng Shan.
***
La première journée de Misha au service de la consort du premier prince fut assez tranquille: La jeune femme n'eut qu'à suivre une de ses collègues pour se familiariser avec les tâches, et elles se contentèrent de récurer les planchers de la maison de Qu Pan'er pendant que la consort et son mari visitaient le huitième prince. Misha fit donc connaissance avec Lin Xin alors qu'elle lui expliquait quoi faire.
- On raconte que tu viens de très loin d'ici, souffla la servante une fois certaine que Misha pouvait effectuer deux tâches à la fois.
- Oui, c'est vrai.
- Tu ne resteras donc pas ici longtemps?
- Je... Je ne sais pas encore.
- À ce qu'il paraît tu connais Qu Tan'er.
- Qu... Mademoiselle Qu, la consort du huitième prince? Je ne l'ai jamais rencontré.
- Pourtant, vous parlez de la même façon?
- Qu Tan'er est une étrangère elle aussi?
- Non, non, elle...
Lin Xin se redressa sur ses genoux, tourna la tête pour vérifier les entrées de la maison, puis se pencha par-dessus le seau d'eau et poursuivit à voix basse:
- La consort du huitième prince a eu un accident il y a quelques semaines, et depuis elle se comporte bizarrement. Ma soeur travaille chez ses parents et m'a dit qu'elle a demandé une brosse à dents à Jingxin... Jingxin est sa demoiselle de compagnie. Or, dans votre pays aussi on peigne les dents parce que vous avez demandé la même chose ce matin.
Misha rit d'abord de ce malentendu mais fronça rapidement les sourcils en réfléchissant à cette découverte sur la consort de Mo Liancheng, et l'ancienne flamme de Mo Yihuai. Ce dernier avait-il remarqué quelque chose du même genre? Est-ce que cela lui porterait préjudice de sembler être à l'origine de la "folie" de Qu Tan'er, ou au contraire comptait-on sur elle pour délivrer la pauvre femme?
- Je l'ai peut-être oublié, car je ne me souviens pas avoir parlé à Qu Tan'er, finit-elle par répondre à sa collègue.
- Et pas plus tard que la semaine dernière, continua Lin Xin, n'ayant pas remarqué la méfiance grandissante de l'étrangère à son égard, un des gardes de Mo Liancheng a raconté que Qu Tan'er s'est fait remettre le sceau impérial par son mari, mais qu'elle est partie le mettre en gage en échange de bijoux et de lingots d'or. En plus, elle était censée le remettre à Mo Yihuai, le père de Qu Tan'er l'avait promis au premier prince.
- Je n'ai rien laissé en gage!
- Oui bien sûr, vous n'êtes pas mariée à un prince, mais vous aussi vous ne redoutez pas l'empereur.
- Oh non, je le redoute, je le redoute vraiment!
- Mais alors comment vous présentez-vous dans son royaume sans égard pour son autorité? Vous ne saviez même pas où vous placer dans la salle d'audience de l'empereur!
Seuls le ton amical et le regard curieux de la servante poussèrent Misha à baisser ses gardes. Est-ce que tous les domestiques étaient des commères? Est-ce que Mo Yihuai la faisait surveiller et interroger par ses servantes, ou celles-ci étaient-elles simplement curieuses et voulaient être les premières à partager un ragot croustillant? À condition qu'elle tienne bien sa langue et ne parle jamais en mal de ses employeurs, Lin Xin et ses collègues ne trouveraient rien de compromettant et dangereux à rapporter à Mo Yihuai, se rassura Misha. En plus, elles paraissaient très bien informées des derniers potins de la cour, et Seng Shan n'avait-il pas dit que son smartphone pourrait avoir quelque chose à voir avec la condition de Qu Tan'er? Un peu plus d'information sur son sujet ne lui ferait donc pas de torts.
- Non, en effet, je n'ai pas été instruite sur ces choses dans mon monde. Lin Xin, tu veux bien m'apprendre?
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Avant que tu ne partes
Romance*Eternal Love/双世宠妃 fanfiction* Lorsque Misha (蜜莎) se retrouve de manière inexplicable au milieu d'un étang et que deux hommes l'en sortent, elle n'a d'autre choix que de s'en remettre à eux pour survivre dans un monde dont elle ignore tous les codes...