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Tian Seng Shan avait joué de son cithare toute la soirée dans l'espoir que Misha l'entende de la maison des servantes. Mo Yihuai s'était assuré de le garder occupé toute la journée, le faisant courir de gauche à droite comme un valet. Le premier prince ne manqua pas non plus d'apprendre à son garde du corps son mécontentement: 

- Tu es mon homme de confiance et tu cours sans mon commandement au secours de qui? Une étrangère, un esprit des eaux? 

- Et si elle était une déesse? Et que nous devons bien la traiter pour ne pas nous attirer son courroux? 

- Elle ne serait même pas notre déesse, pourquoi éprouverait-elle la vertu d'un peuple étranger? 

Seng Shan se plia donc docilement aux quatre volontés du prince, mais prit la fuite dès que Qu Pan'er vint s'enquérir de son mari pour qu'ils rencontrent le père de cette dernière. 

- Garde Tian ? 

Seng Shan leva les yeux de son guzheng pour les poser sur ceux de la servante, celle qui s'était liée d'amitié avec l'étrangère. Aussitôt il délaissa son instrument pour prendre des nouvelles de Misha. 

- Vous ne le savez pas? Elle a disparu! 

- Quoi?! 

- Je ne sais pas, je l'ai cherché toute la soirée mais elle n'est nulle part dans la résidence du premier prince. Et personne ne l'a vu au village... 

- Le premier prince sera bientôt de retour de la résidence de son beau-père, nous devons la retrouver avant son retour...

- Et celui de Qu Pan'er...

- Comment se portait-elle ce matin? Allait-elle mieux? 

- Qu Pan'er l'a fait appeler à elle donc elle a dû travailler comme tout le monde, je crois. Personne ne sait ce que Qu Pan'er lui a demandé de faire. 

- J'en ai assez entendu... Merci de m'avoir prévenu, je ferai le nécessaire pour la retrouver. Tu peux retourner te coucher. 

- Merci, merci beaucoup. 

Tian Seng Shan prit le temps de la raccompagner jusqu'à la maison des servantes en remarquant que Lin Xin avait les yeux rougis par les larmes. Il lui promit que Misha elle-même viendrait la réveiller le lendemain matin pour la consoler avant de lui souhaiter une bonne nuit. Il se rendit ensuite aux écuries et ordonna aux portiers de veiller pour l'étrangère. Puis il traversa les portes au grand galop. 

Il traversa d'abord le village en s'attardant sur les places publiques: Personne n'avait vu l'étrangère dans les parages au cours de la journée. Puis il retourna à la résidence pour interroger quelques serviteurs, ayant soudain pensé que Misha avait peut-être été emmené avec sa patronne chez la maison familiale des Qu. Un garde de la consort lui offrit finalement une information qui le mit sur la bonne piste: 

- La consort lui a demandé de demeurer à genoux devant elle sous la pluie pour la punir de... Je ne suis plus sûr de quoi. 

- Combien de temps? 

- De cela non plus je ne suis pas sûr, nous l'avons perdu de vue quand la consort est partie avec sa mère vers sa calèche...

- La calèche de l'épouse de Monsieur Qu? 

- Oui c'est exact. 

- Serait-ce possible que l'étrangère soit montée à bord du carrosse. 

- Non, garde Tian. J'ai aidé la mère de la consort à monter dans sa calèche et l'étrangère n'y était pas. Mais personne ne l'a aperçu depuis. 

- Évidemment, elle devait souffrir terriblement sous cette pluie...

Tian Seng Shan se tut, venant de penser à un détail. 

- Je sais où elle est, déclara-t-il avant de repartir à la course. 


Les hautes herbes fouettaient son visage, balayées par le vent glacial, tant et si bien que le garde faillit ne pas voir la femme qu'il cherchait. Il l'aperçut enfin en remarquant un de ses rubans coincée dans la branche d'un arbre. 

Tian Seng Shan courut jusqu'à la lisière de la forêt en criant son nom. Elle était debout au milieu du lac, ses beaux cheveux recouverts d'algues et de nénuphars. 

- Misha! Reviens ici! 

La jeune femme se retourna, les yeux rougis par les larmes. Seng Shan retira ses chaussures  et plongea dans l'eau vaseuse pour la retrouver. 

- Misha... Misha, prends ma main. 

Elle grelottait dans l'étang, avançant à petits pas. 

- Je vais venir à toi, ne bouge plus! déclara Tian Seng Shan. 

Il se fraya un chemin vers Misha à travers les quenouilles et les algues puis la prit par les coudes pour la faire revenir sur la berge. Elle tremblait toujours autant mais au moins, quand ses pieds s'enfonçaient dans le sable, le garde la retenait solidement, l'empêchant ainsi de perdre pied. 

- Le temps est mauvais, tu vas te rendre malade si tu restes ici plus longtemps...

Misha se débattit soudainement pour lui échapper. Confus, Seng Shan reprit: 

- Je suis à cheval, nous serons revenus rapidement! 

Mais la jeune femme se mit à pleurer à chaudes larmes, cherchant toujours à le faire lâcher prise. 

- Je ne veux pas y retourner... S'il te plaît repars sans moi, je ne veux vraiment pas les revoir! 

Tian Seng Shan ne perdit pas son temps à lui demander qui elle ne voulait plus revoir. Il la relâcha donc pour retirer le pardessus de son hanfu et il l'en enveloppa pour la réchauffer. Il la noua à sa taille avec des gestes lents tandis que Misha retirait ses détritus de ses cheveux entre deux sanglots. 

- Laisse tomber, on peut retirer cela plus tard... Allons trouver un refuge pour la nuit, d'accord? 

- Un refuge... 

- C'est exact. Je connais une grotte pas loin d'ici. 

Misha regarda la clairière autour d'eux avant de balbutier: 

- Mais ils t'attendent...

- Je repartirai demain à l'aube.  Je ne leur dirai pas où tu es. 

- Mais si quelqu'un d'autre me retrouve? Elle va me...

Tian Seng Shan la serra dans ses bras pour la consoler, se mordant la lèvre inférieure pour ne pas pleurer à son tour. Sa décision de fuir la résidence du premier prince ne tarderait pas à se rendre jusqu'à l'empereur mais le garde du corps n'avait pas le coeur à la revoir au service de la cruelle Qu Pan'er, qui affligeait de la sorte même sa demi-soeur Qu Tan'er. 

- Je veux rentrer chez moi, sanglota Misha contre sa poitrine. 

- Je sais, je sais... Tout va s'arranger. Je ne laisserai plus personne te faire du mal. 

- Promis? 

- Promis, dit-il sans hésitation. 

Son coeur fit un salto arrière dans sa poitrine quand Misha le serra un peu plus fort. Il resserra à son tour ses bras derrière son dos mais la relâcha brusquement en l'entendit gémir entre ses dents serrées. 

- Tu vas bien? Tu es blessée? 

Il se souvint alors de sa punition de la veille puis de celle l'ayant suivi cet après-midi même et déclara: 

 - J'ai emmené de l'onguent pour soulager tes blessures. 

- Merci...

- Allons nous mettre à l'abri avant que tu ne tombes tout à fait malade. Viens! 

Il siffla sa monture, qui broutait de l'herbe non loin, et fit monter Misha en selle. Puis il tint sa jument par la bride pour la diriger dans la forêt.  





Avant que tu ne partesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant