12 / 十二

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Misha frottait en riant le parquet avec sa collègue Lin Xin, qui effectuait un décompte entre deux fous rires. Elle lui avait confié que Tian Seng Shan lui avait donné rendez-vous pour pratiquer la danse et la soubrette s'était proposée pour monter la garde au cas où leur maîtresse de maison voulait intimider après ses heures de travail.  

- Plus vite! Moi j'ai déjà terminé! déclara Lin Xin tout en poussant son seau vers l'étrangère afin de l'aider à terminer son côté du plancher. 

Misha lui lança un sourire reconnaissant avant de redoubler d'ardeur à sa tâche. Cinq minutes plus tard, elle se remit sur ses pieds et se dégourdit les jambes en poussant un soupir de soulagement. Lin Xin l'imita, jetant son torchon dans le seau d'eau sale. 

- N'oublie pas, passe par la fenêtre pour revenir...

- Oui oui oui, je ne l'oublierai pas. Je transpire déjà et je ne suis même pas partie, s'inquiéta Misha en épongeant son front d'une manche. 

- Tu devrais peut-être te rafraîchir avant d'aller le rejoindre, il a clairement le béguin pour toi! 

- Le béguin pour moi? Impossible. 

- Je te le dis, il t'aime bien! Pourquoi accepterait-il de te rencontrer pour ta performance alors qu'il a d'énormes responsabilités. 

- Pour mieux garder un oeil sur moi... Il travaille pour le prince, tu te rappelles? 

- Eh bien justement, le premier prince ne sera pas content d'apprendre qu'il t'aide à séduire son frère! 

- Séduire?! 

Lin Xin rit de la réaction de sa collègue, amenant cette dernière à se détendre. Misha ne lui avait pas dit que Tian Seng Shan était son mari... Enfin, était le sosie de son mari. Donc en réalité, la supposition de Lin Xin ne venait que remuer la confusion qu'elle ressentait lorsqu'elle pensait à sa vie "d'avant". Était-ce un hasard qu'il était la première personne qu'elle avait vu dans ce monde? Et comment ces différents mondes fonctionnaient-ils?

Misha suivit le conseil de sa collègue et poudra rapidement ses aisselles de talc, le seul désodorisant qu'elle pouvait se mettre sous la main, et se glissa par la porte pour retrouver le garde du corps. Elle arriva tout de même essouflée au point de rencontre, ayant cherché à éviter les lanternes qui éclairaient les chemins de pierre. La jeune femme retira ses sandales pour en retirer les grains d'herbe. 

- Prête? 

Elle se retourna, ne voyant pas Seng Shan dans le gazebo. Celui-ci se matérialisa derrière l'une des colonnes, se faufilant à l'intérieur du gazebo pour y déposer son instrument. Misha inspira longuement puis répondit: 

- Prête. 

- J'ai aussi apporté des rubans et des éventails pour danser. Si tu le veux. 

- Merci, je vais y jeter un coup d'oeil. 

Elle retrouva les accessoires sur le banc le plus près, prenant instinctivement un éventail. Elle l'ouvrit d'une main experte. 

- Tu es une habituée à ce que je vois. 

- Je crois que oui... Dis-moi, quelle est l'ambiance de la soirée lorsqu'il y a un spectacle donné pour le prince? 

- Ambiance? 

- Oui, euh... triste? Joyeux? Sérieux? 

Tian Seng Shan rit doucement aux mimes de Misha pour chaque émotion. 

- Je te comprends maintenant. Ça peut être sérieux (il fronça les sourcils brièvement pour lui aussi mimer l'émotion mais ne put garder son sérieux bien longtemps) ou encore mignon ou joyeux. Je te suggère de faire une danse joyeuse, rythmée. 

- Pourquoi? dit-elle en souriant. 

- La dernière fois, chez l'empereur, tu as dansé plus calmement, donc cette fois-ci tu pourrais montrer une autre côté de toi. 

- Donc les éventails, ça fera trop sérieux? 

- Très très sérieux, insista-t-il, les faisant rire tous les deux. 

Misha reprit son sérieux, s'éventant quelques secondes avec l'éventail. Le garde surprit son regard mélancolique en admirant les dorures sur le manche avant de le redéposer. 

- Veux-tu me montrer votre danse sérieuse? 

Elle leva un regard inquisiteur sur lui. Le garde glissa ses doigts sur la corde de son guzheng, l'invitant de son autre main à commencer à danser. Misha saisit les deux éventails et s'avança d'un bond vers le milieu du gazebo. Elle se surprit en ne se départissant pas de son sourire de toute son improvisation, utilisant ses éventails tantôt comme des ailes, tantôt comme un masque, ou encore comme des baguettes de chef d'orchestre, en les refermant d'un bruit sec et d'un port de bras dramatique. Tian Seng Shan improvisait lui aussi au gré de ses mouvements, troquant rapidement pour une cadence plus enjouée et rythmée, tapant même de sa paume la caisse de résonnance en guise de percussion. 

Quand Misha s'affaissa dramatiquement sur le banc, éventant furieusement son visage de l'un des éventails, le garde du corps s'empressa de la rassurer: 

- Tu étais fantastique! 

- Toi aussi! Où un garde trouve-t-il le temps de jouer de la cithare? 

- À vrai dire, je viens d'une famille de musiciens. J'ai d'abord été embauché au château comme musicien mais puisque je n'étais pas très utile, on m'a fait le porteur d'armes du prince et son compagnon de jeux. 

- Vraiment? Si jeune? 

- 8 ans? C'était un bon âge pour commencer, ni trop tôt ni trop tard. 

- Ton dur labeur a porté ses fruits... merci pour cette répétition, je devrais y aller avant que quelqu'un ne te voie...

Il posa la main sur son avant-bras, la poussant gentiment à se recoucher. Il lui prit les éventails des mains et les agitèrent vers elle. Il fit taire ses murmures de protestation en rétorquant: 

- Tu es déjà assez doué avec tes éventails, c'est à moi de pratiquer...Toi tu te pratiques à danser depuis combien de temps? 

- Combien de temps? Oh, j'ai dansé pendant quinze ans puis j'ai quitté pour me concentrer sur l'école. 

- L'école? Tu es érudite? 

- Hum... je crois? 

- Mais ça veut dire... tu dansais dans le ventre de ta mère? 

- Non, non... Mais ma mère disait cela, que je bougeais tout le temps dans son ventre quand elle écoutait de la musique. 

Et pour la première fois depuis son arrivée en ces contrées anciennes, Misha se représenta sa mère: Une petite femme à la peau un peu plus claire qu'elle, à la démarche enjouée et la parole facile. La jeune femme posa ses mains sur son coeur. 

- Elle te manque? 

Misha sortit de sa torpeur, croisa le regard de Seng Shan. Les yeux ronds, celui-ci reprit d'une voix douce: 

- Ta maman te manque? 

Elle opina du chef. Le garde du corps déposa les éventails puis l'aider à se lever. 

- Tu la retrouveras bientôt. Le huitième prince sera là dans quelques jours à peine, et je suis sûr que tu es destinée à rencontrer sa femme. Folle ou pas, elle doit savoir quelque chose sur ton monde. 

- Je préfère me concentrer à leur plaire à travers ma danse. 

- Elle leur plaira, sois sans crainte, ah? 

- Hum, acquiesça Misha. 

Elle insista pour l'aider à porter son guzheng jusqu'à son entrepôt, puis il insista pour la raccompagner jusqu'à la demeure des servantes. Là il lui fit la courte échelle pour atteindre la fenêtre que Lin Xin, fidèle accolyte, avait déverouillé pour elle. 

- Merci encore, au revoir. 

- Au revoir, chuchota-t-il en agitant la main avant de disparaître dans un couloir obscur. 

Misha l'imita et disparut à son tour dans sa couche comme si de rien n'était. 

Avant que tu ne partesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant