41 - Un brin de courage

6 2 0
                                    

Le bruit de nos pas sur le ponton en bois résonne comme des coups de tambour.
Mêlé à nos respirations haletantes, ça fait un sacré concert.
La pluie de ces derniers jours a rendue les planches glissantes mais on n'a pas le choix. J'ai prit la direction du lac car je pense que c'est notre seule chance de semer Hugues et surtout de ne pas tomber sur la fillette noire.
Le ponton me paraît dix fois plus long que d'habitude. Sans lampe, on court dans la noirceur de la nuit et le lac me paraît être un abysse.
On arrive à bout de souffle près du cimetière. Les tombes sont ravagées, celle d'Édouard cassée en deux et celle de Hannah tombée sur le côté. Elle a vraiment tout détruit.
Je n'en peux plus, alors je ralentis. Laura peine à reprendre son souffle et moi j'ai un sévère point de côté.

– Faut continuer, soufflé-je en la tirant en avant.

Soudain elle se débat et sa main glisse de ma paume moite. Hébété, je la regarde courir vers la chapelle. Je n'ai même pas le temps de l'appeler qu'elle s'est déjà glissée derrière l'échafaudage.
Je reste un instant à cligner bêtement des yeux avant de réaliser, mais j'hésite.
Je pourrais m'enfuir... Je suis presque sûr que Hugues va fouiller le cimetière puis la chapelle, ça lui fera perdre du temps et moi en gagner. Je pourrais en profiter pour fuir.
Oui, je pourrais me sauver.
Au fond, Laura n'est que ma demi-sœur, le fruit de l'infidélité de mon père et la graine qui a fait germer la discorde entre mes parents...
Je sais qu'elle n'y est pour rien mais est-ce que je peux vraiment lui pardonner la situation ?
Mon hésitation m'écœure mais un étrange sentiment, peut-être un instinct de survie, me souffle de la laisser là et de m'en aller.
J'avale ma salive avec difficulté, elle a un goût acide : celui de la lâcheté !
Comment je peux penser ça ? Comment je pourrais continuer à me regarder en face si j'abandonne Laura ?
Je suis horrible, détestable.
Soudain je pense à Édouard, lui qui s'est condamné à errer sur terre afin de retrouver sa sœur. Il vaut tellement mieux que moi...
Je secoue la tête avant de me coller une gifle. La douleur chasse la peur, m'offrant une seconde de lucidité. Laura reste ma famille, et elle a besoin de moi.
J'accours vers l'échafaudage de la chapelle. Je ne peux pas la laisser.
Alors que je m'arrête en dérapant devant les portes, j'entends un bruit, comme des pas rapides sur le bois du ponton. Je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est juste l'écho de mon cœur affolé mais je me glisse sans attendre derrière l'échafaudage.
Il fait très sombre dans la chapelle bien plus que dehors. Je laisse mes yeux s'habituer à la pénombre avant de m'avancer dans l'allée centrale. Certains bancs ont été renversés ou jetés sur le côté. Hannah devait être furieuse.

– Laura, soufflé-je aussi bas que possible.

J'avance pas à pas en jetant des regards affolés tout autour de moi. Je vois alors Laura recroquevillée contre un banc au second rang.

– C'est moi, fis-je en la rejoignant. Il faut partir, on est...

Laura secoue la tête, projetant ses larmes. Elle tremble et pleure en silence. Je pose ma main sur son bras mais elle a un mouvement de recul.

– Laura, c'est moi, Thomas. Écoute, je sais que tu as peur mais il faut qu'on parte d'ici et vite.

Laura lève la tête vers moi, ses yeux brillent dans la pâle lumière qui entre par les vitraux de la chapelle. J'essaye de lui adresser un sourire rassurant mais je dois sûrement faire une horrible grimace.

– Viens on doit...

Je me tais, tendant l'oreille. J'ai crut entendre un bruit devant les portes. Laura est aussi en alerte que moi et on écoute le silence, tendus.
Soudain je reconnais le léger grincement de la porte puis des pas résonnent dans la chapelle. Des larmes coulent à nouveau sur les joues de Laura et je lui serre la main. Elle n'est pas seule, je suis là, même si je doute que ça change grand chose...

– Je sais que vous êtes là, clame Hugues avec calme. Vous avez laissé de belles empreintes...

Je frissonne en regardant mes vêtements et mes baskets couvertes de boue.
Tout à coup un fracas explose l'air immobile de la chapelle. Le bruit est assourdissant, je sursaute tandis que Laura plaque ses mains contre sa bouche pour étouffer ses gémissements. Hugues vient d'envoyer valdinguer un des petits banc qui s'est fracassé contre le mur.
Laura sanglote, elle est terrorisée et moi aussi.
Je ne sais pas quoi faire : si on reste ici il va nous trouver, mais si on s'enfuit...
La nausée me retourne l'estomac.

– Sortez de votre cachette, les enfants, reprend Hugues presque avec gentillesse. Si vous venez à moi je ferais vite, vous ne soufrerez même pas. Par contre, si c'est moi qui vous trouve...

Ce type est un vrai psychopathe, il se régale de notre frayeur. Il nous sait coincé et il adore ça...
Lentement, j'enlace Laura qui se serre contre moi. On ne va pas s'en sortir... enfin pas tous les deux. J'enfouis mon visage dans ses cheveux en bataille, l'odeur de son shampooing à la pomme mêlé à celui de la boue me chatouille les narines.

– Je... je vais faire diversion, soufflé-je dans son oreille. Toi, tu vas ramper derrière les colonnes. Tu vas jusqu'à la porte puis tu cours jusqu'à la maison. Édouard te protégera de la fillette noire et... tu n'auras plus qu'à appeler la police.

Laura se décolle aussitôt. Elle me dévisage, le visage marqué par la terreur, avant de secouer la tête. Elle refuse mais on n'a plus le choix.

– C'est notre seule chance, murmuré-je en collant mon front au sien. Ta seule chance. Je.. J'aurais aimé être un super grand frère, qui t'aurait comprise et protégé mais... Laura, je... je t'aime vraiment comme ma petite sœur.

Laura tique et s'écarte pour me regarder. Elle m'offre un tel sourire que durant une fraction de seconde j'en oublie l'horreur de notre situation. Puis je me reprends.

– Tu dois partir.

Le cœur brisé et le corps secoué de soubresaut, je la repousse aussi loin que je le peux, puis je me lève.
Mes jambes tremblent tellement que j'ai du mal à me hisser puis à garder l'équilibre.
Je concentre tout ce qui me reste comme courage pour défier Hugues du regard.
Je veux qu'il voit ma détermination et mon absence de peur, même si c'est complètement faux.

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant