31 - Visite nocturne

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Il fait froid mais le ciel est dégagé de tous ses nuages.
J'enfouis mes mains dans mes poches et je descends les marches du parvis avant de prendre la direction de la chapelle.

– Tu vas où, Thomas ?

Je me retourne pour voir qu'Édouard est apparut sur le parvis.

– Je vais jeter un coup d'œil à la chapelle. J'ai un truc à vérifier.

– Je t'accompagne. Enfin, tant que je le peux...

Il disparaît pour réapparaître à côté de moi.

– Elle est où ? Demandé-je en reprenant ma route.

– Dans les bois, elle est très énervée.

– Sincèrement, je pensais pas m'accommoder aussi bien à cette situation, avoué-je. C'est quand même assez inédit...

Moi, je suis content d'avoir quelqu'un à qui parler.

Je souris, sa solitude a du être si longue.

– Ça du être dur de rester seul.

– Le plus difficile c'est le fait de ne pas être vu, surtout par mes sœurs. Je ne comprenais pas, j'avais aussi très peur, j'étais devenu invisible...

– Je peux même pas imaginer ça...

Édouard me sourit puis il s'arrête.

–Je suis à ma limite, je ne peux pas aller plus loin. Fais attention à toi, Thomas.

J'essaye de prendre un air détaché.

– C'est juste une petite ballade.

Je joue l'assurance mais je suis mort de peur. Édouard me sourit à nouveau mais je le sens inquiet. Je lui fais un signe de la main avant de me diriger vers le pont.
J'allume ma lampe torche avant de m'engager sur les planches de bois sombre. J'éclaire juste devant moi et les eaux me paraissent noires. J'entends aussi de drôle de bruit et je m'imagine la fillette noire flotter à la surface, prêt à m'attraper.
Je frissonne et je dois raffermir ma prise sur ma lampe pour qu'elle arrête de trembler.
Je marche aussi vite que possible mais le bruit de mes pas me fait penser au roulement d'un tambour montant crescendo.
J'arrive enfin de l'autre côté. Ma lampe éclaire la première pierre tombale du cimetière qui m'apparaît alors comme une enfant recroquevillée sur elle-même. Je sursaute avant de me ressaisir.
Je déglutis alors que de la sueur perle sur mon front malgré le froid de la nuit.
Je m'approche à pas mesurés du cimetière. Je vois la tombe d'Édouard, né le 1er juillet 1963, décédé en 1975. Il n'y a même pas de date précise.
J'ai du mal à m'imaginer un cercueil plein sous cette dalle. C'est bizarre...
A côté, il y a celle de Hannah, afin celle qu'on lui a dédié. Je me demande qui a été enterré à sa place ? La fillette noire peut-être ?
La pierre tombale est plus abîmée que celle de son frère, j'arrive difficilement à lire les inscriptions. Née le 4 décembre 1966, je crois, et décédée en 1975.
Derrière il y a celle d'Octave, leur père, et d'Agathe, leur mère. Les quatre tombes sont entourées par une petite barrière représentant des croix. J'imagine que c'est censé les protéger et leur apporter la paix, sauf qu'ils ne l'ont pas encore trouvés.
Je vais devant la chapelle où la porte est bloquée par un échafaudage et des planches. Je transpire à grosses gouttes alors que j'ai froid.
Je fais rapidement le tour de l'édifice en éclairant les vitraux mais je ne sais pas lequel est l'Arbre de Verre. Par contre la chapelle est entourée de petites croix rudimentaires plantées à intervalles réguliers, c'est assez flippant.
J'arrive derrière et soudain la lampe éclaire une forme toute en longueur appuyé contre le mur de pierre. Je sursaute tandis que mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je mets un temps à comprendre qu'il ne s'agit que d'une vieille pelle et d'un amoncellement de bois, qui d'ailleurs me rappelle un peu trop la forme d'un cercueil...
Il y a aussi des croix, c'est vraiment bizarre.
J'éclaire l'imposant vitrail qui s'étend sur tout l'arrière de la chapelle. Il représente l'arbre de la vie dans la scène d'Adam et Eve. C'est peut-être lui l'arbre de Verre ? C'est en tout cas celui qui ressemble le plus à un arbre.
Du coup je regarde en dessous mais je ne vois rien de particulier. Mais si Hannah a été enterrée ici, la tombe n'est peut-être plus visible ?

– Hannah, soufflé-je tout bas.

Si elle est ici, elle devrait m'entendre mais j'ai surtout peur d'attirer la fillette noire...
Puis je ne sais même pas si elle est « restée » comme Édouard.
Soudain j'entends un bruit d'eau vers le lac. C'est sans doute qu'un simple poisson mais je suis terrorisé. Je donnerai chère pour qu'Alix soit là, j'aurais peut-être dut l'attendre ?
Je repense alors à Sébastien. Une fillette dans la chapelle...
Est-ce que...
Aussi vite que je le peux, je retourne à l'avant de la chapelle. L'échafaudage est complexe et les planches sont placées pour dissuader les curieux.
Je les teste une à une. Soudain j'en trouve une branlante, puis une autre. Je les pousse sur le côté me dégageant juste assez de place pour passer.
Avec quelques difficultés j'arrive à me glisser derrière l'échafaudage. Je pousse alors la porte qui fait son poids.


L'intérieur est sombre et ça sent un peu le renfermé. Comme dans toutes les chapelles je suppose, il y a des figures religieuses qui semblent me dévisager avec hargne. Elles me mettent mal à l'aise... J'avance sur la pointe des pieds, comme si je craignais de les réveiller.
Ma lampe éclaire le sol de pavés irréguliers où je vois des tâches sombres que mon esprit agité interprète comme des tâches de sang.
J'ai déjà envie de ressortir...
J'entends alors un battement d'ailes d'un quelconque oiseau au-dessus de moi. Je lève les yeux mais je ne vois rien, le plafond est bien trop haut, par contre je suis à la limite de la panique. Je balaye les alentours du faisceau de ma lampe, éclairant toutes sortes de choses, bénitier, feuilles mortes... Je commence à paniquer.
Soudain la lune fait son apparition. Elle éclaire le grand vitrail du fond et alors je comprends mieux son nom. Le dessin prendre des allures d'un arbre démesuré qui projette une douce lumière verte dans toute la chapelle. C'est juste magnifique.
Je reste un instant à regarder tous les détails de l'œuvre puis j'essuie la transpiration qui me coule du front avant de m'avancer vers l'autel. Il est en sale état, c'est le moins que je puisse dire, partiellement couvert de graffitis.
Je passe derrière où il y a un espace d'environ un mètre mais hormis des gobelets en plastique et quelques paquets de chips, il n'y a rien.
Je prends quand même le temps de tâter toutes les pierres mais je ne trouve rien. J'essaye alors de bouger la plaque recouvrant l'autel mais elle est bien trop lourde, scellée par son propre poids.
Je regarde alors la salle de la chapelle plongée dans la lumière verte. Les bancs ont été repoussés sur les côtés, ce ne sont plus les gros en bois massif, ils ont été vendus par le père d'Édouard et remplacés par de simples banquettes légères, mais j'arrive à m'imaginer Hannah et sa mère en train de prier toute la journée en espérant qu'elle guérisse.
J'ai de la peine pour elle, elle était tellement incomprise et elle a du en souffrir...
Ça me fait penser à Laura. C'est une chouette gamine, je ne veux pas qu'elle vive tout ça. Même si les choses ont changées, les gens malades sont toujours mis de côté.
Je regarde encore un instant la chapelle, elle est moins inquiétante de ce côté, c'est un peu comme si j'étais un prêtre prêt à faire son sermon.
Je souris avant de contourner l'autel. Il n'y a rien ici.
Je retourne vers les portes. Je suis un peu déçu, je ne savais pas ce que j'allais trouver mais j'espérais vraiment trouver quelque chose.

– Hannah, tu es là ? Soufflé-je au milieu de l'allée.

Pas de réponse.
J'arrive déjà devant les lourdes portes. Déçu, je pose ma main sur le montant de bois.

– Mais où tu es ?

Résigné, je tire sur la porte.

–  Qui es-tu ?



Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant