36 - La peur

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Sébastien nous dépose devant la maison.
Je m'empresse de sortir tandis qu'Alix reste avec lui. La voiture de mon père n'est pas là, il a du s'absenter, par contre Laura est assise sur les marches du parvis.
Elle a l'air fatiguée mais elle me sourit quand j'approche.

– Tu prends l'air ?

– Oui, répond t'elle. Il... fait pas trop froid.

Sa voix éraillée me manquait.

– Rien de notable aujourd'hui ?

Laura prend un instant de réflexion puis désigne la dépendance du doigt. Je me retourne ayant peur de voir la fillette noire, mais il n'y a rien.

– La flaque, précise Laura.

Je remarque alors l'énorme flaque entre la dépendance et la maison. On dirait que le terrain s'est affaissé.

– Effondrement ? soupire Laura.

– Je ne pense pas puis t'inquiète pas la maison n'est pas prête de s'écrouler.

Laura a un petit rire avant de secouer la tête, amusée.
Je lui ébouriffe les cheveux en passant puis je rentre. J'ai une mission : convaincre ma mère.
Je fais le rez-de-chaussée avant de m'attaquer aux étages. Je la trouve au second en train de récurer la salle de bain. Je la trouve fatiguée et négligée. Elle a attachée ses cheveux en un grossier chignon d'où s'échappe des mèches ternes et ses vêtements sont tâchés et troués par endroits.
J'hésite un instant sur le seuil mais elle me voit.

– Tu veux quoi ?

D'accord...

– Je... j'aurais besoin d'avoir accès à internet, j'ai un devoir à faire pour l'école.

C'est tout ce que j'ai trouvé, c'est déjà pas mal.
Ma mère me dévisage un instant avant de soupirer.

– Je te remettrai ça tout à l'heure.

Je suis surprit qu'elle accepte si vite mais je suis aussi peiné pour elle, elle a l'air si malheureuse.
Elle reprend son nettoyage comme si je n'existais plus.

– Maman, Laura n'y est pour rien, tu sais, soufflé-je mal à l'aise. Faut pas lui en vouloir...

Soudain elle jette son éponge dans le seau ce qui éclabousse les meubles autour.

– Le jour où j'aurais besoin de tes conseils, je te ferais signe !

Je recule, surprit par sa colère.

– Je... je suis désolé.

Je m'empresse de filer tandis que mes yeux me piquent de larmes.
Je me réfugie dans ma chambre, choqué par la colère de ma mère. Je laisse tomber mon sac au sol puis je m'adosse à la porte, le cœur battant. Je suis énervé et déçu, mais en même temps je la comprends.
J'entends alors une voiture sur les graviers de l'allée. Je vais à ma fenêtre et je vois que mon père est rentré.
Soudain je repense à la voiture qui nous a coupée la route ce midi et à Édouard. Maintenant ça me paraît être qu'une simple coïncidence, combien y a t'il de voitures beige doré en circulation ?
Des milliers sans doute...
Je retourne vers ma porte pour récupérer mon cartable quand Édouard apparaît. Je tressaute à peine, c'est en train de devenir une habitude.

– Ça va ? Demandé-je à voix basse devant son air triste.

– Je... j'ai entendu un truc, de la part de ton père.

Je tique et je l'interroge du regard. Édouard se tord les doigts comme à chaque fois qu'il est mal à l'aise.

– Il a parlé d'aller voir un avocat, et de revendre la maison.

La peur m'envahit brusquement. On ne peut pas dire que j'aime Verny, je serai même très content d'en partir, mais je veux d'abord aider Édouard.

– C'est pas possible, il peut pas faire ça, m'alarmai-je. On doit d'abord...

Édouard hoche la tête, il voit où je veux en venir. Je ne sais pas quoi dire, j'espère juste que c'était une idée comme ça, que ça va lui passer.
Édouard continue à se tordre les doigts mais en évitant de me regarder cette fois.

– Qu'est-ce qui s'est passé ? M'enquis-je inquiet.

Rien...

– Dis moi.

Édouard se mordille la lèvre inférieur avant de baisser la tête.

– La fillette noire me cause du soucis... Elle devient forte, j'ai du mal à la contenir. Elle cherche une faille puis... Elle n'arrête pas de tourner autour de Laura. Elle la suit de pièce en pièce et l'embête quand elle sort. Je ne sais pas pourquoi mais elle semble très attirée par elle.

Je frissonne, ce n'est pas de bonne augure.

– Je suis en train de faire des recherches sur des enfants disparus dans les alentours. Elle pourrait en faire partie et s'être retrouvé ici par hasard.

C'est une bonne hypothèse, admet Édouard. Ça serait tellement plus simple si on pouvait parler avec elle... et peut-être que son corps est ici ? Ma sœur m'a dit l'avoir entendu pleurer et taper près du cimetière.

Un frisson me secoue à nouveau et je ne parviens pas à le cacher à Édouard qui fronce les sourcils.

– Je suis vraiment désolé pour ce qu'elle a fait, s'excuse t'il l'air peiné. Je ne sais pas ce qui lui a prit, elle est en colère et a du mal à se contenir. Je lui ai demandé de ne plus intervenir dans vos affaires et de rester discrète.

Édouard s'approche tout près, je sens son souffle froid sur mon oreille.

– Je... j'ai peur... Peur qu'elle devienne comme la fillette noire à cause de sa colère.

La nausée me retourne l'estomac, moi aussi j'ai peur de ça. Je sens combien Édouard est bouleversé, je voudrais le rassurer mais je n'ai pas les mots.
Je le regarde, peiné mais incapable de l'aider, quand soudain un cri me fait sursauter. Édouard est déjà à la fenêtre, il secoue la tête l'air agacé. Je m'empresse de le rejoindre et je vois Laura assise en bas des escaliers du parvis. La fillette noire est là aussi, elle se balance de droite à gauche et semble même applaudir.

– Elle l'a poussée, souffle Édouard avec une once de colère.

Il disparaît puis réapparaît quelques secondes plus tard aux côtés de Laura. Aussitôt la fillette noire s'agite puis semble grossir tel un nuage qui s'emplit, prêt à exploser.
La peur me serre le ventre au point de me faire mal, on doit se dépêcher, Édouard ne fait déjà plus le poids face à elle.
Soudain Hannah apparaît aux côtés de son frère et de Laura. La fillette noire hurle, un cri qui me glace le sang, puis s'en va.
Édouard se tourne vers sa sœur qui s'agenouille près de Laura, elle semble lui parler avec douceur et Laura lui répond par un sourire. Mon père sort alors de la maison et Hannah recule de quelques pas en jetant un regard entendu à Édouard.
Je regarde mon père prendre Laura dans ses bras puis entrer. La scène a durée quelques secondes mais elle m'a semblé longue d'une bonne heure... Je n'ai même pas bougé de devant ma fenêtre.
Je secoue la tête puis je sors de ma chambre, dévale les escaliers et vais dans le salon.
Mon père a assit Laura sur une commode pour la mettre à sa hauteur. Son pantalon est déchiré au genoux et teinté d'écarlate.

– C'est rien, souffle t'il. T'as juste une écorchure. T'as encore des pertes d'équilibre mais c'est rien.

Laura hoche la tête avant de tourner le regard vers moi, mon père remarque alors ma présence.

– Surveille la, je vais chercher de quoi désinfecter.

J'acquiesce puis je le regarde partir avant de rejoindre Laura.

– C'est la fillette noire qui t'a poussée ? Demandé-je tout bas.

– Oui... tiré les cheveux aussi. Pourquoi moi ?

– Je sais pas, mais on va trouver une solution.

Laura m'adresse un pâle sourire puis regarde par dessus mon épaule. Mon père est déjà revenu. Je le regarde déposer du coton et la bouteille de désinfectant sur la commode avant de remonter le pantalon de Laura sur son genoux écorché.
Je retourne dans le hall puis je sors sur le parvis. Hannah et Édouard sont encore là, ils semblent discuter à voix basse. Je les rejoins alors qu'ils se taisent en me voyant.

– Merci, Hannah, soufflé-je. Je sais pas pourquoi elle te craint, mais merci.

– Elle a tout intérêt à me craindre.

Je ne sais pas quoi répondre tandis qu'Édouard secoue la tête, l'air exaspéré.

Je lui faisais part de ton hypothèse, reprend t'il en me désignant sa sœur.

C'est une bonne idée, le coupe Hannah en me fixant. Mais il y a juste un soucis. Avec le temps il va être difficile de retrouver son corps. Il peut avoir pourri dans la forêt, être au fond du lac ou même dans le grenier de la maison.

Mon estomac a un soubresaut en imaginant un corps desséché dans un grenier, pile au dessus de ma chambre.
Merci Hannah...
Soudain une porte s'ouvre à la volée. Je me retourne pour voir ma mère sortir de la cuisine. Elle dépose une caisse pleine de bouteilles vides avant de me remarquer. Elle s'avance vers moi en titubant un peu.

– Ça va ? M'enquis-je surprit.

– Très bien, me répond t'elle la voix rauque. Je t'ai remis internet pour tes recherches. Tu fais quoi dehors ?

– Je... Laura est tombée dans les escaliers, je regardais si elle ne s'était pas embronchée sur quelque chose.

Je m'en sors pas si mal.

– D'accord... prend pas froid.

Quoi ?
Incrédule, je regarde ma mère repartir vers la cuisine en chancelant sur la droite.

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant