13 - Les Hans de l'Outrière

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– Franchement je suis mieux en moto que dans ce bus moisit, clame Jo en secouant sa fourchette. Au moins, j'ai pas à me coltiner les cas sociaux de ce trou paumé.

– Parle pas comme ça, le corrige ma mère sans grande conviction.

– C'est un peu vrai, enchérit Alix en haussant les épaules. Il y a pas mal d'attardés au collège et les activités extra-scolaires sont plus que limitées.

Ma mère soupire et j'en fait autant. J'ai passé une partie de ma journée dans le bureau de mon père à l'aider à ranger ce que Laura a mit en pagaille et je l'ai encore en travers. Je fusille la dénommée du regard mais elle semble ne pas me voir.
J'écoute d'une oreille distraite la dispute qui couve jusqu'à ce que ma mère hausse le ton.

– Vous devriez changer un peu votre mentalité, rétorque t'elle agacée. Vous ne vous ferez pas d'amis comme ça. Regardez Thomas, il s'en est déjà fait.

Je manque de m'étouffer avec mon yaourt tandis que Jo se met à rire.

– Super, une fille de boulanger qui le drague, se moque t'il. Quelle chance.

Je lance un regard noir à Jo mais il s'esclaffe de plus belle. Alix rigole aussi mais elle se passe de commentaire. Je prends mon assiette et mes couverts pour les mettre dans l'évier avant de quitter la cuisine alors que Jo rigole toujours.
Je monte lentement les escaliers. Je ressens des vagues de chaleur lorsque je passe devant les radiateurs sinon il fait plutôt frais dans la maison. L'hiver n'est pas loin.
Arrivée au second je m'étonne de voir ma porte entrouverte. Je pensais l'avoir refermé, mais je suis sorti si rapidement que je n'en suis pas certain. Cette pensée ravive la trahison de Laura. A nouveau, je suis en colère contre elle, elle n'a pas intérêt à venir me parler.
J'entre dans ma chambre en ruminant mais je me fige aussitôt.
La boite à musique est posée bien en évidence sur mon bureau et juste à côté trône la vieille photo de famille.
La panique m'envahit. Là, je suis certain de les avoir enfouit sous mes couvertures quand mon père m'a appelé.
Apeuré, je recule mais soudain je bute contre quelque chose. Je me retourne d'un bond, faisant sursauter Alix.

– Ça va ? S'enquit t'elle. T'es tout pâle.

J'hésite une seconde puis je me reprends, je ne veux pas qu'elle me pense fou. J'avance vers mon bureau, j'attrape la boite à musique et la photo avec la ferme intention de les ranger dans le coffre.

– C'est un cadeau de ton amoureuse ? Demande Alix amusée.

Je me retourne brusquement manquant de lâcher la boite.

– Fous moi la paix avec ça !

Alix paraît surprise puis désolée.

– Hé, détends toi, je plaisante, reprit-elle en levant les mains. Je te taquine rien de plus... C'est cool que tu te sois fait une amie puis son frère est... sympa.

Je comprends alors. Elle est venue pour parler de Sébastien.

– Ouais, il est sympa, répondis-je en me forçant à me détendre. Il n'est pas comme tous les autres villageois, il est plus... moderne.

– Je trouve aussi puis...

Elle se tait et le silence s'impose entre nous. Je vois alors ses yeux se poser sur la photo.

– Où t'as eu ça ?

– Chez Célia Tamy. Mon amie, mentis-je.

– C'est les Hans de l'Outrière, la dernière famille à avoir vécue ici. Me regarde pas comme ça, j'ai juste fait quelques recherches.

La curiosité chasse ma récente peur.

– Tu sais quoi sur eux ?

Alix me sourit avant de prendre la photo et de la déposer sur mon bureau.

– C'était des aristocrates, une famille aisée et réputée. Les deux aînées, Maryse et Louisette, étaient les filles les plus courtisées du village mais leur père, Octave, était très sévère et ne voulait que le gratin pour elles. Il les avait envoyé en ville dans l'une des écoles les plus prestigieuses. Lui, le petit mignon, c'était Édouard. Il était l'héritier de la famille et très apprécié au village, quant à la dernière... elle était déscolarisée, on la disait violente et méchante. Les médecins venaient souvent pour elle. Ils venaient discrètement mais tout le monde le savait. On dit aussi qu'elle se mutilait... puisqu'un jour elle a prit un couteau et elle a tuée ses parents et son frère avant de...

Tout à coup, ma porte claque avec une violence inouïe tandis que la température semble chuter de plusieurs degrés. Alix et moi sursautons à l'unisson avant de bondir vers la porte. La panique m'envahit à nouveau tandis que ma sœur force sur la poignée.

– C'est coincé, couine t'elle, pâle.

Je me joins à elle mais rien n'y fait la porte refuse de s'ouvrir. Dans le couloir, j'entends des pas et la panique a un goût métallique dans ma bouche. Je ne comprends pas ce qui se passe mais je pressens que ça n'a rien de « normal ».
Alors que je tire de tout mon poids sur la porte celle-ci s'ouvre brusquement. Je titube de quelques pas avant de parvenir à rétablir mon équilibre et je dévisage mon père qui a de nouveau l'air furieux.

– Ça ne va pas de claquer les portes comme ça ? Qu'est-ce qui vous prend ? Je vous préviens, refaite ça et je vous enlève les portes de vos chambres !

Surprit par sa colère, on se contente d'acquiescer. Il fulmine un moment avant de redescendre en marmonnant.

– Je ne sais pas ce qu'il a, mais je le trouve assez à cran en ce moment, soupire Alix quand notre père est hors de vue. En tout cas, j'ai eu peur... Cette maison me fait peur.

Je ne peux que la comprendre. Mal à l'aise, je piétine avant d'oser reprendre.

– T'as déjà vu des trucs... bizarres ?

Alix se mordille la lèvre, signe qu'elle est gênée par ma question. Elle vérifie qu'il n'y a personne dans le couloir avant de se pencher vers moi comme pour me faire une confidence.

– Je n'ai pas vu, mais parfois je sens comme une présence. J'ai l'impression d'être observé puis... j'ai peur de l'arbre à la balançoire. C'est idiot mais il m'effraye.

C'est à mon tour de me mordre la lèvre. J'aimerai lui dire ce que j'ai vu, ou ce que j'ai crut voir... lui faire part de mes angoisses mais je n'ose pas. Je me contente de hocher la tête. Alix me dévisage un moment puis s'en va, sans un mot.
Une fois seul dans ma chambre, je referme ma porte puis je mets la boite à musique et la photo dans mon coffre avant de les recouvrir d'affaire.
Malgré ça ma nuit reste très agitée. Je rêve, ou plutôt cauchemarde, d'Octave, le patriarche sévère de la photo. Je le vois me hurler dessus sans que je puisse répondre, ou encore mieux m'enfuir. Vient ensuite les bruits de pas. La porte qui s'ouvre lentement et Laura qui entre, armée d'un grand couteau de cuisine. Ses traits se brouillent et je crois reconnaître la dernière de la famille Hans de l'Outrière avant qu'elle n'abatte son arme sur moi...


Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant