La semaine se passe sans heurt et mon vendredi en devient même idyllique. On m'ignore, je suis enfin un élève comme les autres.
Je suis quand même content que le week-end arrive enfin. Je fais une bonne grasse matinée pour récupérer de mes nuits devenues mouvementées.
Aujourd'hui le temps est clair, j'espère même un peu de soleil dans la journée.
Alors que je prends mon petit déjeuner, une voiture arrive dans l'allée. Curieux, je vais voir à la porte vitrée et je reconnais la voiture rouge vif de Sébastien.
Je me demande ce qu'il vient faire ici de si bon matin ?
Alix vient à sa rencontre rapidement suivit par ma mère. Sébastien lui parle et ils semblent essayer de se mettre d'accord.
Ma sœur ne tarde pas à rentrer puis ressort avec un magazine. Je me retiens d'appeler Édouard pour lui demander d'aller écouter, puis je remarque que la voiture de mon père n'est plus là. Il a dut partir tôt pour l'hôpital.
La mystérieuse discutions se termine enfin et ma mère rentre laissant Alix et Sébastien.
Je m'éloigne de la porte pour retourner à mes céréales, je n'ai pas envie qu'on me prenne pour un voyeur. Pourtant je suis dévoré par la curiosité.
Je termine mon petit déjeuner puis je remonte dans ma chambre en prenant garde de laisser ma porte ouverte pour voir ma sœur passer.– Qu'est-ce que voulait Sébastien ? Demandé-je alors qu'elle retourne à sa chambre.
Elle me dévisage, l'air inquiète.
– Tu l'as vu ?
– J'ai reconnu sa voiture, sa couleur passe pas vraiment inaperçue.
– C'est tout ce que tu as vu ?
Je ne sais pas ce qu'elle veut dire mais j'acquiesce.
– Qu'est-ce qu'il voulait ? Repris-je après un temps.
– M'inviter au cinéma ce soir. Il a fallut négocier dur mais maman a acceptée.
Elle a l'air ravie et je suis content pour elle. Elle m'adresse un charmant sourire avant de repartir.
Je la regarde s'en aller avec surprise, je l'ai rarement vu aussi heureuse.
Je retourne à mes bandes-dessinés jusqu'à ce que ma mère m'appelle pour mettre la table. On dirait que je suis bon pour faire toutes les corvées de la maison.
On mange dans un quasi silence ce qui est en passe de devenir une nouvelle habitude.
– Tu sais, Alix, je trouve que t'es un peu jeune pour avoir un petit ami, lance alors ma mère.
Ma sœur lève la tête en s'empourprant.
– J'ai pas de petit ami, se défend t'elle. Sébastien est un ami rien de plus.
Ma mère la dévisage, sceptique. Je dissimule mon sourire en mangeant une pleine cuillère de petits pois tandis que Jo fait qu'on si on était pas là.
Après avoir débarrassé la table, je retourne à ma chambre où je trouve Édouard, assit sur mon lit, en train de se tordre les doigts. Il a l'air aussi amusé que mal à l'aise.
– Tu ne devineras jamais ce que j'ai vu, s'agite t'il alors que je referme ma porte.
– Quoi ? M'enquis-je curieux.
Édouard se lève d'un bond avant de prendre un air gêné.
– J'ai vu un truc que je n'aurais pas dut...
– Aller, dis !
– J'ai vu Alix et l'autre garçon avec la voiture rouge se faire un bisou... sur la bouche.– Sérieux ?
Je suis aussi surprit qu'amusé.
– Oui, je voulais dire à Alix de ne pas rester trop longtemps dehors quand soudain...
Édouard rigole comme un gamin ayant fait une bêtise.
– J'en reviens pas ! Et elle qui dit que c'est qu'un ami, elle ment avec un de ces aplombs. Elle t'a pas vu au moins ?
– Je crois qu'elle n'avait pas la tête à ça...
On se met à rire tous les deux, tel des amis.
Édouard a prit une réelle place dans ma vie, il est mon ami, mon confident et mon ange gardien.
Je reprends mon calme alors que lui continu à rire. Ça l'amuse beaucoup et je m'en réjouis pour lui.
– Tu sais, Édouard, j'aurais adoré t'avoir comme frère.
Il arrête de rire et me dévisage alors que je rougis. Ça m'a échappé, j'ai pensé à voix haute.
– C'est gentil. Moi aussi j'aurai aimé t'avoir pour frère, même si je préfère mon époque. La tienne est bizarre... vous avez plein de trucs étranges.
Je rigole franchement.
– Je peux pas m'imaginer vivre sans un ordinateur ou un téléphone, avoué-je. Je m'ennuie trop sans.
Comme pour conforter mon aveu, j'allume mon ordinateur puis je me rappelle que j'ai plus internet.
– Mince, je voulais faire une recherche, soupiré-je en m'appuyant sur le dossier de ma chaise.
– Sur quoi ?
– En fait, c'est pas l'arbre de Vert mais l'arbre de Verre, expliqué-je. Un truc d'un artiste local.
– Un tableau alors ?
– Aucune idée, j'ai même pas le nom de cet artiste.
– Ta mère a plein de livres sur l'histoire d'ici, si un artiste est passé elle doit le savoir.
Édouard a l'air si convaincu que je hoche aussi la tête. Il faut que je parle à ma mère. Hier c'était clairement pas le moment mais peut-être que ça sera mieux aujourd'hui ?
– Je vais la voir, toi tu peux continuer à espionner ma sœur si tu veux.
Édouard m'adresse un sourire radieux avant de faire mine de se mettre au garde à vous. Je rigole puis je sors de ma chambre.
Ma mère est au premier. Prudent, je décide de tâter la terrain.
– Je peux t'aider ? Demandé-je de mon ton le plus innocent.
– Oui, si tu veux. Je dois déplacer quelques meubles, on ne sera pas trop de deux.
Je lui souris puis je la rejoins.
– Je suis contente qu'on passe un peu de temps ensemble, reprend t'elle après que l'on ait trimballé une petite table d'une chambre à l'autre. On a peu de moment où l'on se voit seul à seul depuis l'aménagement. Le... le prends pas mal mais tu as un comportement étrange depuis notre arrivée ici.
Je sens l'hésitation et le doute dans sa voix, elle cherche ses mots pour ne pas me blesser. Du coup, je m'en veux.
– J'ai du mal à me faire à cette vie, avoué-je. J'essaye mais c'est dur... je vais faire des efforts, promit.
Ma mère me sourit avant de me caresser les cheveux.
– Ça j'en suis sûre, Thomas. Tu es un bon garçon, sensible et aimable mais tu n'as jamais beaucoup aimé le changement.
– C'est vrai, mais il faut faire avec.
– Je te le fais pas dire... mais si quelque chose te tracasse n'hésite pas à m'en parler, d'accord ?
Maman, comment te dire que cette maison est hantée et qu'un de ses fantômes veut nous tuer ?
Comment te dire que je suis terrorisé par une chose que je suis quasiment le seul à voir ? Et que mon seul ami ici est mort il y a une quarantaine d'année ?
Je ne peux pas te dire ça. Je suis désolé...
Alors je fais ce que je sais faire de mieux, je souris, je fais semblant.
– Ça va, maman. Je vais bien, je t'assure.
Ma mère me dévisage quelques secondes avant de me sourire. Elle me croit.
– Alors tant mieux, répond t'elle. Ça te dit que j'aille nous chercher des boissons bien méritée ?
– Grave... pardon, oui, ça me dit.
Ma mère rigole avant de déposer un doux baiser sur mon front. Je la regarde partir puis j'effleure la trace chaude laissée par ses lèvres. Je donnerai chère pour qu'on redevienne comme avant, une famille heureuse.
Je m'assois sur une vieille chaise qui grince sous mon poids puis je remarque un vieux tableau accroché au mur. Il représente un paysage morne où trône un moulin près d'un lac sombre.
La vue de ce tableau me rappelle la raison de ma venue ici.
J'attends que ma mère revienne avec deux canettes de soda. J'ouvre la mienne, j'en bois une gorgée avant de me tourner vers elle.
– Ça te dit quelque chose l'Arbre de Verre ? Demandé-je aussi innocemment que possible.
Une ride apparaît entre les sourcils de ma mère, lui donnant un air inquiet.
– Je te rappel que tu ne dois pas aller dans la chapelle, Thomas. Elle risque de s'effondrer, c'est dangereux. Je ne peux pas faire venir les experts pour l'instant, j'espère qu'on le pourra au plus tôt, cette chapelle est vraiment un atout pour mes futurs chambres d'hôtes.
– Pourquoi tu me parles de la chapelle ? M'étonnai-je en buvant une nouvelle gorgée de mon soda.
Ma mère se détend aussitôt.
– Désolée, j'ai encore tirée des conclusions hâtives, rigole t'elle. L'Arbre de Verre est le nom d'un des vitraux de la chapelle, du coup j'ai crut que tu y étais allé. Il a été créé par Théophile Marquez qui était bon ami des aïeuls des anciens propriétaires.
– C'est pas le peintre qui a attrapé la gangrène en peignant avec les doigts alors qui avait une coupure à la main ?
– Si c'est lui, d'ailleurs pense bien à te laver les mains, surtout si tu as une blessure.
Je range son conseil dans un coin de ma tête car je viens d'avoir un déclic. La chapelle !
Édouard n'y a pas accès mais Laura aurait très bien put y aller en cachette.
Soudain le téléphone fixe sonne. C'est tellement rare que l'on met un temps à réagir.
Ma mère décroche.
– Allô ? Allô ? Il y a quelqu'un ?
Elle attend quelques secondes puis raccroche.
– A quoi ça sert d'appeler si on parle pas, peste-elle en reprenant sa canette. Je ne savais pas que tu t'intéressais à l'art ?
– Quelqu'un en a parlé dans un exposé à l'école mais je savais pas ce que c'était, ni où c'était.
– C'est dommage, j'avais un livre sur Théophile Marquez mais Laura a dessinée dedans... Promets moi juste que tu n'iras pas dans la chapelle, même pour le voir.
– Promit. Je suis pas suicidaire.
Enfin, je crois...
Le téléphone sonne à nouveau mais cette fois maman décroche dés la seconde sonnerie.
– Allô ? C'est qui ? C'est vraiment pas drôle.
Elle repose le combiné en soupirant. Je souris devant son air exaspéré et elle m'adresse une grimace.
Un rayon de soleil orangé apparaît alors entre nous. Je regarde un instant les grains de poussière voler dans les airs puis on se remet au travail.
Au fond, j'apprécie d'aider ma mère même si on déplace souvent les mêmes meubles pour finalement les remettre à leur place initiale.
– Voilà une bonne chose de faite, fait ma mère alors qu'on pousse une dernière commode. Mince, la nuit est déjà en train de tomber, il faut que j'appelle ton père.
Je la regarde récupérer nos cannettes vides puis je la suis dans le couloir. Alors qu'elle descend les escaliers, le téléphone sonne à nouveau.
– Allô, fis-je en décrochant.
Au début je n'entends qu'un bruit de fond, comme une respiration, puis une voix étrangement déformée s'élève.
– Tu es seul ?
La voix éraillée me glace le sang.
– Non, répondis-je aussitôt. Maman !
J'ai presque crié mais j'ai trop peur pour m'en faire. Ma mère remonte en vitesse mais déjà ça a raccroché.
– Qu'est-ce qui a ?
– Quelqu'un a rappelé, c'était une voix trop bizarre, ça a demandé si j'étais seul...
J'ai le souffle court comme si je venais de courir un cent mètres.
– C'est bizarre, reprend ma mère. Si ça rappelle il faut noter le numéro. C'est sans doute des gamins qui font des farces.
J'acquiesce mais je ne suis pas convaincu. J'ai vraiment eut la frousse, je crois que je ne décrocherai plus jamais ce téléphone.
Je remonte en courant au second. J'arrive sur le pallier quand Alix sort de la salle de bain.
– Tu devineras jamais ce qui vient de se passer, lancé-je en allant vers elle. Quelqu'un a appelé plusieurs fois pour raccrocher quand c'était maman mais quand ça a été moi ça m'a demandé si j'étais tout seul.
J'ai parlé d'une traite, preuve de mon angoisse.
– C'est flippant, me répond Alix. Je crois que je décrocherai plus le fixe...
Je hoche la tête mais soudain je remarque qu'elle est bien coiffée et semble assez pressée.
– Bon désolée, c'est intéressant mais j'ai un truc à faire.
Elle me laisse plantée dans le couloir et je la regarde retourner dans sa chambre sans rien dire.
Je mets un temps à reprendre mes esprits.
– Édouard, soufflé-je en entrant dans la salle de bain.
Je regarde vers le miroir et je sursaute en le voyant déjà dans mon dos.
– Désolé, j'étais juste à côté...
– Pas grave... Dis, t'es toujours ok pour espionner ma sœur ?
– Avec plaisir.
– Alors tu peux aller discrètement dans sa chambre voir ce qu'elle fait ?
Édouard a l'air gêné tout à coup.
– Je... je ne peux pas rentrer dans la chambre d'une fille.
Il se tord les doigts avec un air si mal à l'aise que ça m'attendrit.
– Je veux juste savoir ce qu'elle fait. Tu entres et tu ressorts de suite, rien de plus.
Édouard fait la moue puis il hoche la tête. Je le remercie d'un sourire puis je le regarde traverser le couloir avant de passer à travers la porte.
A le voir faire, ça donnerait presque envie d'être un fantôme.
Édouard ressort quasiment aussitôt. Il a un air si soulagé que ça me fait rire.
– Alors ?
– Elle parle à travers l'ordinateur avec le garçon de tout à l'heure, celui à la voiture rouge.
Je ricane.
– Elle le voit ce soir...
On rigole tout en prenant la direction de ma chambre.
– J'ai put parler à ma mère, fis-je en m'asseyant sur mon lit. Elle m'a dit que l'Arbre de Verre est le nom d'un des vitraux de la chapelle.
– Laura a dit : sous l'Arbre de Verre... alors ma sœur serait sous ce vitrail ?
– Ça serait possible ? Je veux dire, la chapelle est vieille, non ?
– C'est mon arrière-arrière-grand-père qui l'a fait construire, elle était là bien avant la naissance de mon père. Mais ma sœur ne peut pas être en dessous.
– Il n'y a pas un sous sol ou de fondations accessibles ?
– Non, elle est faite à même la terre, c'est pour ça qu'elle bouge et que les murs sont fragiles.
Je hoche la tête bien que je ne sais pas quoi en penser.
J'aurais bien envie de jouer à l'ordinateur pour me détendre et me changer les idées mais je suis toujours puni. Du coup, je discute à voix basse avec Édouard. On échange des hypothèses puis la conversation dérive sur un peu tout, comme avec un ami.
Oui, Édouard est vraiment mon seul ami.
Alix part un peu avant le dîner. Ma mère lui fait la leçon mais la laisse sortir quand Sébastien arrive. Je lui adresse un salut à travers la porte vitrée de la cuisine et il me répond avec un appel de phare. C'est trop cool.
Je suis toujours de corvée alors je mets la table.
Le repas est très calme, en même temps on est que trois, maman, Jo et moi.
– Maman, t'as put joindre papa ? Demandé-je, gêné par ce silence oppressant.
– Oui, Laura devrait rentrer lundi.
Le silence retombe. On termine nos assiettes puis ma mère m'autorise à partir sans débarrasser.
N'ayant rien d'autre à faire, je remonte dans ma chambre. Je n'arrête pas de penser à Laura et la chapelle, il y a un truc qui m'échappe.
J'essaye de m'en souvenir mais je ne l'ai vu qu'à notre aménagement, je m'en rappelle pas vraiment. Soudain, et sans raison logique, je repense à Jo trifouillant sa moto, et surtout de ses paroles ; il m'avait dit qu'il avait vu Laura près du lac et de la chapelle. Ça n'avait aucune importance à ce moment là, mais maintenant...
Laura a peut-être vu Hannah à ce moment là ?
Ça correspondrait au moment où elle a découvert la boite à musique dans le bureau de papa.
Oui, ça pourrait coïncider.
Je me lève de mon lit et je retourne au rez-de-chaussée. Ma mère est dans la salle à manger devant une quantité de papiers disposés en éventail devant elle.
Je traverse le hall sur la pointe des pieds puis, sans bruit, je prends ma fidèle lampe torche et ma grosse veste kaki. Je remonte ma fermeture éclaire au ralentit de peur que ma mère ne l'entende puis, tout aussi lentement, j'ouvre la porte et je me glisse dehors.
Je dois en avoir le cœur net. Je dois aller dans cette chapelle.
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Le Mas du Lac
Misterio / SuspensoSuite à un déménagement, Thomas, treize ans, change radicalement de vie. Il quitte l'étroitesse d'un appartement de sa ville natale pour une grande maison isolée en campagne. Le changement n'est pas simple surtout que le Mas du Lac, sa nouvelle deme...