28 - Escapade

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Ma mère arrive si fort qu'elle heurte le trottoir me faisant bondir sur mon siège.
Secoué, je saute hors de la voiture sous ses cris. Ellefait alors un demi-tour sauvage au milieu de la route, peu fréquentée à cette heure ci, puis nous laisse comme des chiens abandonnés sur le trottoir.

– Là, ça craint vraiment... soupire Alix.

Il pleut bien à présent et on accélère le pas pour se mettre à l'abri sous le préau.
Alix me salue puis s'éloigne rapidement vers son bâtiment, elle déteste être en retard. Pour ma part, je ne me presse pas. Je n'ai aucune envie de retrouver les moqueries, menaces et gestes obscènes. Je marche à allure modérée dans les couloirs déserts, j'apprécie presque l'école comme ça.
J'arrive devant ma classe et j'entends déjà des éclats de rire, je sais qu'ils ne sont pas pour moi mais je m'arrête quand même.
J'ai plein de trucs en tête, des questions sans réponses, alors pourquoi aller perdre mon temps dans cette classe infernale, entouré d'idiots ?
J'hésite un moment, puis je regarde autour de moi. Il n'y a personne. C'est peut être la meilleure occasion de ma vie...
Je fais demi-tour et je repars sur la pointe des pieds bien que je sais que personne ne m'a vu.
Je ressors en trombe du collège. Il ne pleut presque plus et je file voir les horaires des bus desservant Verny-sur-Mont. Il n'y en a qu'un le matin et un le soir. Vive les petits villages.
Je m'approche au bord de la route et à mon grand étonnement, je me mets à faire du stop.
C'est inédit, surprenant et grisant.
La peur de me faire prendre par mes parents se bat avec le sentiment de liberté de faire ce que je veux pour une fois.
Je me demande si c'est cette sensation que Jo cherche tout le temps ?
Un break gris ne tarde pas à s'arrêter devant moi.

– Tu vas où mon bonhomme ? T'as pas de cours ?

C'est un homme d'âge mûr au visage rond et sympathique. Je remarque sa carte de commercial posée négligemment à côté du levier de vitesse. Ce n'est pas quelqu'un du village, tant mieux il ne pourra rien colporter sur moi.

– Je dois vite aller à Verny-sur-Mont, ma sœur a eut un accident et mes parents doivent me prendre là-bas.

Mon mensonge m'étonne autant que mon assurance.

– Alors monte, bonhomme.

Je grimpe sur le siège passager et mon chauffeur attend que je boucle ma ceinture pour repartir.

– J'espère que c'est pas trop grave, lance t'il sans quitter la route des yeux.

– J'espère aussi.

– Tu as beaucoup de frère et sœur ?

La question me surprend mais je sens mon chauffeur tendu, il a sûrement besoin de parler pour évacuer.

– Un grand frère, une grande sœur... et une petite demi-sœur.

– Ho, famille recomposée ?

– Plus ou moins...

– Moi aussi j'ai vécu ça, j'étais le petit demi-frère... c'est pas simple comme situation, on se cherche constamment une place, à se faire accepter par le reste de la fratrie. Elle a quelle âge ta demi-sœur ?

– Neuf ans.

– Qu'est-ce qu'elle a ?

Je suppose qu'il prend mon hésitation à propos de Laura pour de l'émotion.

– Épilepsie.

L'homme m'adresse un regard en biais mais ne dit rien de plus.

– T'as rendez-vous où ? Reprend t'il alors qu'on dépasse le panneau signalant l'entrée du village.

– A la bibliothèque mais arrêtez vous à la place de l'église, c'est tout près.

– Sûr ?

Je hoche la tête avec un sourire, sa gentillesse me touche autant que son inquiétude. Je m'en veux un peu de lui mentir mais déjà on se gare.

– Merci beaucoup, lancé-je en détachant ma ceinture.

– Tiens bonhomme, prends ma carte. Je tourne dans le coin cette après-midi, si tu as besoin d'un taxi appelle moi.

Je suis si surprit que je mets un temps à me ressaisir. Comment on peut-être aussi gentil ?

– Merci, soufflé-je en prenantl a carte qu'il me tend.

Je sens une vague de culpabilité m'envahir alors que je referme la porte. Mon chauffeur, qui se nomme Henry Porore selon sa carte, me fait un signe de la main avant de s'en aller. Je le regarde partir avant de rebattre autant que je le peux ma capuche sur mon visage, puis je prends la direction de la rue commerçante désertée.
Alors que je remonte la suite de bâtiments à vendre ou à l'abandon, je me demande comment c'était du temps d'Édouard, quand le village était prospère et fleurissant ?
Se promenait-il dans cette rue, main dans la main avec Hannah ou entouré de ses amis ? Contemplait-il ces vitrines de son air enjoué ?
A t'il été pleuré par ces mêmes commerçants ?
Je m'arrête devant une antique confiserie, j'imagine sans peine Édouard arpentant cette rue. Maintenant il n'est plus qu'un souvenir, comme moi je le serais aussi un jour, le plus tard possible mais un jour quand même...
Je reprends ma marche mais plus vite car il se remet à pleuvoir. J'arrive quelque peu trempé à la bibliothèque.
Je pousse l'antique porte qui me fait penser à celle d'un manoir d'un grand monarque. L'intérieur est identique à ce que je m'imaginais, boiserie, meuble massif et cette odeur de bois caractéristique des vieux bâtiments.
Devant moi, dans un hall sur dimensionné, se tient un long comptoir. Derrière il y a une dame souriante qui paraît toute petite.

– Bonjour, fait-elle de sa voix pimpante. Je peux vous aider ?

– Heu... j'ai des recherches à faire.

– Alors vous êtes au bon endroit ! Quelle type de recherches ?

– Sur les environs et l'histoire de... des environs.

– Le rayon « histoire de région » devrait être votre éden.

Son sourire est si grand que je ne peux que lui rendre. Elle me fait signe de la suivre et je suis bien content qu'elle ne se demande pas ce que fait un gamin ici à une heure où il devrait être à l'école.
Je suis sa démarche lourde sur ses jambes potelées tout en regardant ses cheveux bruns se balancer. Elle me mène dans un rayon désert de la bibliothèque déjà peu fréquentée.

– Je pense que tu trouveras ce que tu cherches ici, au pire si tu ne trouves pas tu peux utiliser un des ordinateurs là-bas pour avoir accès à l'inventaire des livres disponibles. Tu sais t'en servir ?

– J'arriverai à me débrouiller, Melle Chenay.

Je viens de lire son nom sur le badge qu'elle porte sur sa poitrine.

– D'accord, si tu as besoin de quelque chose viens me voir.

Je la remercie puis j'attends qu'elle parte pour commencer mes recherches. Je débute par le plus important pour moi : l'arbre de vert.
Je commence par des livres sur les lieux remarquables de la région. J'épluche le sommaire de plusieurs dizaines d'ouvrage mais en vain. J'apprends juste des trucs assez bizarre, comme le Trou des Bergers à quelques kilomètres de Verny-sur-Mont où pas moins de quatre bergers, dont le père et le fils d'un même famille, sont tombés durant un hiver particulièrement neigeux. Leurs corps n'ont été retrouvés qu'au printemps et les autopsies ont révélés qu'ils étaient tous morts de froid...
Ou bien l'histoire de Théophile Marquez, un artiste espagnol venu s'installer à Verny-sur-Mont pour fuir les sollicitations des nobles des villes et qui a attrapé une infection en peignant avec les doigts alors qu'il avait une plaie à la main. Malgré les amputations, rien n'arrêta la gangrène qui l'emporta à l'âge de quarante sept ans.
Charmant...
Hormis toutes ces histoires morbides, aucune mention de l'Arbre de Vert. Quand j'émerge il est déjà midi.
Je profite d'avoir un peu de monnaie sur moi pour aller me prendre un truc à grignoter au distributeur automatique. Mademoiselle Chenay me demande alors de manger dans la zone prévue à cette effet et indiquée par des lignes bleues au sol.
Je mange en me demandant si Alix me cherche dans le réfectoire. Elle va sans doute exiger des explications mais je ne sais pas si je dois lui dire la vérité. La connaissant, elle va me cuisiner jusqu'à avoir des aveux complets...
Je retourne à mes recherches que j'oriente cette fois vers la période de la mort d'Édouard : les années soixante quinze. Comme Alix me l'avait dit, la bibliothécaire est une adoratrice des vieux journaux et je me régale à fouiller dedans.
On apprend vraiment beaucoup de choses en fouillant dans le passé. Qui savait que l'élection municipale de 1971 avait fini en bagarre générale sur la place de l'église ou qu'il y avait eu une invasion de visons en 1976 suite à l'accident d'un camion transportant les mustélidés en vue d'en faire de la fourrure ?
Je suis si pris dans les affaires diverses et variées des journaux que j'arrive aux années 2000 sans m'en rendre compte, mais hormis une mention dans la page nécrologie du journal de décembre 1975, je n'apprends rien de nouveau sur Édouard et sa famille.
Il est simplement marqué que Octave Hans de l'Outrière, 38 ans, son épouse Agathe, née Wesler, 37 ans et leur deux jeunes enfants Édouard, 12 ans, et Hannah, 9 ans, sont décédés dans leur demeure sur la route de Saint-Paul-des-Monts.
Édouard était plus jeune que moi d'un an et Hannah avait le même âge que Laura.
Ça fait bizarre de savoir leur âges. Édouard pourrait être mon père, et surtout ça fait plus quarante ans qu'il est coincé dans la maison.
Quarante ans... Le monde a bien du changer depuis, mais pas lui. J'ai de la peine, il aurait dut grandir, devenir un homme, un père, un grand-père... Mais au lieu de ça il n'est qu'un fantôme sans souvenirs qui ne sait pas pourquoi ni comment il est mort.
C'est horrible.

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant