26 - Discutions hospitalière

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Ma journée a été difficile et le trajet de retour est pire que je n'avais osé l'imaginer.
Outre les moqueries, l'avalanche de boulettes de papiers mouillés et les commentaires des uns et des autres, on fait tomber par deux fois mon sac et pour terminer je me prends du jus de fruit alors que je me lève pour enfin sortir à mon arrêt.
En plus, il pleut...
Je n'ai pas de capuche, alors je rentre la tête autant que je le peux dans mes épaules. Alix marche en silence à côté de moi, elle a pensée à prendre un imperméable, elle.
Pour une fois, je suis content que les arbres bordants notre allée soient si dense, ils occultent presque entièrement la pluie. Bon, en échange on marche dans la pénombre mais on ne peut pas tous avoir...

– Qu'est-ce qu'elle fait ici ? Souffle alors Alix.

Je me tourne vers elle, elle a l'air songeuse mais elle reprend.

– J'ai beau imaginer tous les scénarios possibles, je ne comprends pas ce qu'elle fait ici...

Je saisis qu'elle parle de la fillette noire. Ça doit l'intriguer autant que moi.

– J'avais pensé que c'était peut être une enfant disparue mais je n'ai rien trouvé, avoué-je.

– Savoir d'où elle vient nous aiderait à savoir ce qu'elle veut, enfin autre que nous tuer... C 'est pas un but ça.

Je rigole devant la désinvolture de ma sœur. Une rafale de vent agite alors la cime des arbres qui laissent passer une bonne partie de la pluie. Je frissonne sous les gouttes froides qui s'abattent sur nous.

– Tu crois que Laura connaît son nom ? Continue Alix indifférente à la pluie.

– Je n'y avais pas pensé... Peut-être ? Édouard m'a dit que Laura les avait vu dès notre arrivée et elles semblent en bon terme.

– Oui, jusqu'à ce qu'elle essaye de la tuer...

Alix a raison et je ne peux qu'acquiescer. On marche en silence dans la pénombre de l'allée qui paraît s'être allongée.
Alors que je secoue la tête pour chasser les gouttes qui dégoulinent de mes cheveux, un sanglot s'élève. Je me tourne vers Alix qui a la même réaction que moi, ce n'est donc pas elle qui pleure. Aussitôt je sens les poils de ma nuque se hérisser et un nouveau sanglot s'élève devant nous. Je vois alors une silhouette pâle assise au pied d'un arbre. J'avance de quelques pas en plissant les yeux. Une vague de soulagement m'envahit quand je reconnais Édouard.
Rassuré, j'avance vers lui. Il est assit au pied d'un grand arbre tordu, la tête baissée et les genoux relevés sur sa poitrine. Un nouveau sanglot le secoue et je n'ose pas m'approcher davantage.

– Édouard ? Ça va ? Bredouillé-je.

Il relève le tête, dévoilant de pâles larmes qui roulent sur ses joues.

– Qu'est-ce qui se passe ? Demande Alix en s'arrêtant à côté de moi.

– Vos parents... ils se sont disputés, très fort...


– Ça arrive souvent, tu le sais bien, soufflé-je peiné. Tu les as déjà entendu.

– Là, c'était pire que les autres fois. Jo s'en est mêlé, il a dit pour Laura. Il a dit qu'il savait qu'elle était votre demi-sœur puis des choses horribles... ils... en sont venus aux mains...


– Quoi ? S'exclame Alix choquée. Ils se sont tapés dessus ?

– Oui, et ça a réveillé... Je ne voulais pas.... je ne voulais pas m'en souvenir.


– Te souvenir de quoi ? Lancé-je en m'agenouillant devant lui.

Je tends les mains vers lui bien que je sais que je ne peux pas le toucher. Il tend aussi sa main puis se ravise.

– Je... Je me suis souvenu d'une dispute entre mes parents. C'était très violent, Père renversait des meubles et hurlait comme un damné... Je suis monté voir Hannah, j'avais peur pour elle. Puis... la porte qui claque, un bruit sourd, du verre qui se casse... Des pas lourds, un nouveau bruit sourd puis des pas dans l'escalier. Hannah qui a très peur...


– Est-ce que c'est... tes derniers souvenirs ? Demande Alix le souffle court.

Je crois... mais je ne comprends pas...

– Je pense que... comme tu n'as pas compris ta mort, tu ne peux pas t'en rappeler complètement.

Je tourne la tête vers Alix alors qu'un nouveau sanglot agite Édouard. Ma sœur semble réfléchir à quelque chose qui m'échappe. Alors que je la regarde, j'aperçois une forme noire zigzaguer entre les arbres et arriver à toute allure vers nous.

– Attention !

Alix se retourne et pousse un cri alors que la forme noire se déploie devant nous : masse sombre et indistincte.

Laisse les !

Je sens Édouard me passer au travers, me glaçant jusqu'à la moelle. Alors qu'il se dresse à côté de moi je vois son image se brouiller. Ses traits se déforment ainsi que sa voix, tout à coup il est effrayant. Des émanations noires s'échappent de lui tandis qu'il semble se transformer en un monstre de cauchemar.
Soudain l'arbre derrière nous émet un horrible craquement. Je me retourne pour voir une onde de choc l'arracher de la terre puis le faire léviter en un équilibre précaire. Alix m'agrippe alors par les épaules, me retourne puis me pousse en avant.

– Cours ! Me hurle t'elle.

On déguerpit alors que l'arbre se fracasse au sol, projetant des éclats de bois tout autour de nous. On sort du couvert des arbres aussi vite que si on était poursuit par une horde de chiens enragés.
On arrive à toute allure sur le parvis alors que mes parents sortent à peine de la maison.

– Qu'est-ce qui se passe ? Lance mon père avec inquiétude.

Je vois qu'il a une marque qui vire au violet sur la joue, Jo ne l'a pas raté.

– Un arbre est tombé, répond Alix haletante. On a eut très peur.

Je ne peux que hocher la tête, je viens d'avoir la peur de ma vie.

– Vous n'êtes pas blessé ? S'enquit ma mère en s'avançant.

– Non, on a rien, soufflé-je.

A vrai dire, je crois qu'Alix m'a arrachée la peau des épaules en me retournant mais je m'abstiens de le dire. Mes parents échangent alors un regard mais j'ai plus l'impression qu'ils s'accusent mutuellement.

– L'arbre est tombé sur le chemin ? Demande mon père en déviant le regard.

– En partie, je crois, répond Alix tout bas.

– Il va falloir faire venir quelqu'un pour...

– C'est bon, je sais ce que j'ai à faire, le coupe ma mère.

Comment ils peuvent s'engueuler dans un moment pareil ?
Mon père soupire en secouant la tête avant de se détourner. Incrédule, je le regarde se diriger vers sa voiture. Une alerte agite mon esprit.

– Tu vas à l'hôpital ? Demandé-je en redescendant les marches du parvis.

– Oui, je dois encore voir les médecins, et...

– Je peux venir ? Tu m'avais promis.

C'est bas mais je n'ai pas le choix, les choses dérapent et j'ai besoin de savoir ce que sait Laura. Mon père a l'air mal à l'aise. Il adresse un regard interrogateur à ma mère qui s'en va sans un mot.
Le ton est donné et je n'ai aucune envie de rester à la maison.

– Thomas a attendu ça toute la journée, me soutient Alix en descendant du parvis. Puis ça fera vraiment plaisir à Laura.

– Aller, monte.

Je me retiens de crier de soulagement. Alix s'approche et me prend mon sac à dos.

– Essaye d'avoir le plus de renseignements possibles, me souffle t'elle. C'est notre seule piste et franchement j'ai la trouille. Les choses dégénèrent trop.

Je ne peux que hocher la tête. Je m'installe à l'avant puis je regarde Alix nous faire un signe de la main depuis le parvis.
Je frissonne alors qu'on passe lentement à côté de l'arbre qui ne laisse le passage plus que pour une voiture. Il n'y a plus rien, ni Édouard, ni la fillette noire mais je ne suis pas prêt d'oublier ce que j'ai vu.
Édouard effrayant et un arbre qui lévite, ça laisse des traces...

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant