16 - Ce que l'on dit

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Je ne sais pas si c'est la porte qui se referme ou le courant d'air froid qui me réveille. J'entrouvre les yeux pour voir ma chambre baignée de lumière et le ciel bleu azur derrière les vitres de mes fenêtres.
Je me serai bien levé pour admirer le spectacle offert par cette belle journée d'automne mais j'ai trop mal à la tête et je suis encore vaseux à cause des cachets. Je me retourne dans mon lit, face au mur, en repoussant mes couvertures.
Je peux venir ?
La voix résonne dans ma tête mais je la reconnais sans peine.

– Oui, Édouard.

A nouveau je sens un courant d'air froid. Je me retourne lentement et je vois Édouard au milieu de ma chambre. Il a l'air désolé pour moi. Il s'avance puis s'agenouille au bord de mon lit.

– Un jour, je me suis aussi fait frapper à l'école...


– Toi aussi tu étais un asocial sans amis ?

– Non, j'avais des amis. Enfin, je le croyais... mais quand ma sœur a commencée à être malade, ils m'ont tous fuis.


Soudain je me sens mieux éveillé et les questions se pressent à mes lèvres. J'ai de la peine pour Édouard et j'aimerai le questionner mais je n'ose pas.
En grimaçant, je me redresse pour m'asseoir.

– Qu'est-ce que ça fait mal, soupiré-je. Dis, tu pourrais pas faire voler le verre d'eau et les cachets jusqu'à moi ?

Édouard rigole.

– J'aimerai bien mais je ne peux pas. Je n'arrive à déplacer les objets que lorsque je suis surprit ou en colère.


Tout à coup je me rappelle de la porte qui claque et je fais le lien.

– C'était toi la porte ?

– C'était pas bien, je sais. Je vous ai fait peur mais j'étais en colère et triste aussi.


– Pourquoi ?

Édouard semble à nouveau peiné. Il va pour répondre quand soudain j'entends le téléphone fixe sonner, c'est tellement rare que ça me surprend. Des cris s'élèvent alors.

– C'est ma mère ? m'étonnai-je.

Je me hisse hors de mon lit avant de clopiner jusqu'à ma porte tandis qu'Édouard me regarde passer sans un mot. Je me traîne dans le couloir jusqu'à la mezzanine. Ma mère a décrochée au second et elle a l'air furieuse.

– C'est le minimum, vous pourriez être un peu plus strict ! Je m'en fiche de ce qu'ils pensent et si Madame n'est pas contente qu'elle vienne me le dire en face. Non ce n'est pas des menaces !

Je ne sais pas à qui elle parle mais elle est vraiment remontée. Édouard vient alors s'asseoir à mes côtés.

– Je me mettais souvent ici pour écouter mes parents, surtout quand ils se disputaient...

– Pour quoi tes parents se disputaient-ils ? Demandé-je alors que ma mère baisse d'un ton.

Pour un peu tout, l'argent, ma sœur, les dires des villageois...

J'acquiesce avant de reprendre.

– Mes parents s'engueulent souvent aussi.

J'avais remarqué...

Je ne peux m'empêcher de sourire. Ça fait bizarre de voir ce garçon pâle et à demi transparent juste à côté de moi mais il fait un peu partie des meubles de cette maison.

– Pourquoi tu étais énervé quand tu as claqué la porte ?

Édouard se pince les lèvres, il n'a pas l'air d'apprécier de revenir à ce sujet.

Vous disiez des choses fausses et méchantes sur ma petite sœur...

Je frémis. Je ne sais pas trop comment ça fonctionne mais si Édouard sait qu'il est mort, il ne sait peut-être pas qui l'a tué ? J'hésite. Est-ce vraiment à moi de lui dire ?
Qui d'autre sinon ?
Je n'aime pas ça mais je me dois d'être honnête envers lui. Il m'a quand même sauvé la vie...

– Je sais que ça va te paraître... horrible, mais on dit que c'est elle qui vous a tué. Tes parents et toi...

Soudain la lumière se met à grésiller et l'image d'Édouard se déforme alors qui tourne la tête vers moi. D'instinct, je recule, il me fait peur là !

– C'est faux,
souffle t'il avec calme. Jamais elle n'aurait fait ça... Que... Que dit-on d'autre ?

Sa question me met mal à l'aise mais je décide d'y répondre.

– On dit qu'elle était folle et que... un jour elle a prit un couteau et vous a tué. Tous les trois. Ensuite elle aurait erré dans le domaine avant de mourir de froid au pied de l'arbre à la balançoire, le visage lacéré...

Édouard n'a pas l'air d'en revenir. Ses yeux sont écarquillés et il secoue légèrement la tête.

– Ce sont des calomnies, ma sœur était bien malade mais elle n'a rien à voir avec la fillette qui erre dans le domaine.


Je tique puis je sens mes poils se hérisser.

– Tu veux dire que cette chose dehors c'est pas ta sœur ?

Alors c'est qui ?

– Thomas, m'interpelle alors ma mère.

Je sursaute en me cognant contre le rambarde de la mezzanine.

– A qui tu parles ? Continue t'elle.

Comment dire ? Je me mords la joue, incapable de trouver une excuse valable.

– Elle ne me voit pas,
me rappelle Édouard, ce qui ne m'arrange en rien.

Je ne sais pas quoi répondre mais je suis sauvé par le téléphone. Pour la deuxième fois depuis notre aménagement et dans cette journée, il se met à sonner. Ma mère me fait signe d'attendre avant de décrocher mais je m'empresse de filer. Je n'ai pas envie de passer pour un fou.
Je retourne dans ma chambre où Édouard m'attend déjà. Malgré mes douleurs, j'avale un comprimé posé sur mon bureau puis je me mets en vitesse au lit où je fais mine de dormir.
Ma mère vient quelques minutes après. Je l'entends m'appeler doucement puis plus rien.

– Elle est partie,
m'apprend Édouard après un temps.

Soulagé, je me retourne sur le dos mais le cachet fait déjà effet. Je me sens engourdi, je ne vais pas tarder à sombrer, déjà mes paupières se ferment d'elles-même.

– Si c'est pas ta sœur, c'est qui ?

Pas de réponse. Je me force à rouvrir les yeux et j'ai l'impression que je mets plusieurs minutes avant de voir claire. Ma chambre est vide.

– Édouard ? Soufflé-je tout bas.

Mais déjà je m'endors.



Je suis à nouveau réveillé par la porte qui s'ouvre cette fois-ci. Je me tourne avec lenteur puis je vois Laura qui me sourit dés qu'elle comprend que je suis éveillé.

– On va manger, fit-elle joviale.

Je regarde vers mes fenêtres pour constater que quelqu'un a fermé mes rideaux et allumé ma lampe de chevet.

– Il est quelle heure ? Demandé-je en me redressant.

– Vingt heure, je crois...

Laura s'avance et me tend son bras pour m'aider. Je n'ose pas refuser, surtout qu'elle semble ravie, mais je ne m'appuie pas sur elle. On descends lentement les escaliers.

– Pourquoi tu l'as réveillé ? Intervient maman alors qu'on arrive au rez-de-chaussée.

– J'étais déjà réveillé puis je meurs de faim.

C'est vrai, j'ai vraiment très faim. Ma mère fronce les sourcils mais ne dit rien de plus. Je me demande pourquoi elle s'en prend autant à Laura ? Elle n'a rien fait de mal, enfin pour cette fois.
Alors que j'arrive dans la cuisine, Alix lève la tête puis fronce aussi les sourcils, elle est mécontente.

– La vache, il t'a pas raté, fait-elle avec sérieux.

J'essaye de sourire mais c'est encore trop douloureux. Mon père me tire la chaise pour que je m'assois et je trouve bizarre toute cette attention à mon égard.

– Qu'est-ce qui t'a prit tout à l'heure ? Demande ma mère en me servant.

J'avais espéré qu'elle avait oubliée...

– C'était qui au téléphone ? Contré-je.

– Le premier appel c'était le collège. Jason Ters, la brute qui a frappé Thomas, a été renvoyé pour deux semaines. C'est pas beaucoup mais c'est déjà ça...

– Sérieux ? C'est un peu abusé, se moque Jo. Pour quelques pichenettes...

– T'as vu son coquard et sa mâchoire ? Rétorque mon père agacée.

– C'est rien ça, puis bonjour les représailles au collège.

Surprit, je laisse retomber ma fourchette. Comment ça des représailles ? J'ai rien fait.

– Arrête de dire des idioties, intervient mon père. Thomas, tu n'as rien à craindre. Jo, tu manges et tu te tais.

– T'es qui pour me dire ce que je dois faire ?

Mon père l'ignore mais Jo insiste. Le ton monte et ma mère est obligée de hausser la voix pour se faire entendre.

– Taisez vous ! C'est pas tout, j'ai aussi eu l'appel d'un monsieur qui est né et a grandit dans les dépendances. Il a vu notre photo dans le journal local et il souhaiterait revenir voir le domaine de son enfance. C'est génial vous ne trouvez pas ?

– C'est naze, répond Jo. Qu'est-ce qu'on s'en fiche de ce vieux !

– Parle pas comme ça ! Réplique ma mère. Et toi, Alix, qu'est-ce que tu en dis ?

– Tant qu'il ne vient pas dans ma chambre ça m'est égale.

– Si ça te fait plaisir invite le, propose mon père avec gentillesse.

Ma mère lui adresse à peine un regard avant de sourire.

– Je vais le rappeler pour convenir d'un rendez-vous.

Et mon avis à moi on s'en fiche ?

– Super, on va devenir un lieu touristique pour personnes du troisième âge, soupire Jo tout bas.

Je souris et Alix aussi. Ma mère ne dit rien, je ne sais pas si elle a entendu.
Le repas se poursuit dans un calme relatif, pour une fois personne ne cri. Laura est aussi plutôt calme. Je la dévisage discrètement et je la trouve un peu pâle. Je ne sais pas pourquoi mais soudain elle me fait penser à la sœur d'Édouard... J'en frémis.



Je mets bien cinq bonnes minutes pour remonter au second. J'ai mal partout, même à des endroits où Jason ne m'a pas cogné.
Arrivée dans ma chambre, j'entrouvre mes rideaux pour regarder dehors. La nuit est tombée mais la lumière de la maison éclaire l'arbre et je vois la balançoire qui oscille doucement. Peut-être le vent ? Ou la fillette noire ?

– Édouard ? Murmuré-je.

Pas de réponse, pas de courant d'air froid, il n'est pas là.
Je me questionne sur cette fillette noire, si ce n'est pas la sœur d'Édouard, qui est-ce ?
Une enfant morte jadis ?
Un autre assassinat ?
Je frémis à nouveau, il faut que je me sorte ça de la tête.
Je prends à nouveau un cachet avant de retenter d'appeler Édouard mais en vain. Soit il ne m'entend pas, soit il ne veux pas me parler.
Cette pensée me sert le cœur. C'est étrange, après tous les fantômes ne sont pas censés exister mais savoir qu'il y en a deux chez moi n'est pas aussi effrayant que ce que je pensais... Faut dire qu'Édouard est gentil, ça aide...
Ma maison est hantée.
Fallait que ça tombe sur moi, mais je souris, c'est plutôt cool d'avoir un ami fantôme.
Voilà que je divague, le cachet doit déjà faire effet. Je me mets en pyjama puis je me couche.
J'essaye de lire mais mes yeux se ferment tous seuls et je ne tarde pas à sombrer.
Juste avant de céder complètement au sommeil, j'entends des bruits de pas légers puis un courant d'air froid sur mon bras.
Je souris. Édouard est bien là.

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant