Le Mas du Lac

45 - Lily

J'ai de nouveau très froid. Je titube, me séparant de Hannah, avant de tomber sur les fesses. Sous sa forme squelettique, elle me dévisage.
Je tourne la tête pour voir que je suis à nouveau dans la chapelle devant les portes défoncées. Hugues gît inconscient au sol et Laura me fixe avec des yeux écarquillés.
En fait, je n'ai pas bougé d'ici, seul mon esprit était parti.

– Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? Demandé-je en me retournant vers Hannah.

 – Je l'ignore. Je ne comprends pas pourquoi Édouard est mort, ni pour le reste... Mais elle, elle doit en connaître une partie.

 Je me retourne dans la direction qu'elle m'indique. Lily sanglote accroupit au sol. Elle aussi a son histoire.
Je me redresse en grimaçant, j'ai mal de partout. Je sors de la chapelle mais Lily recule en glapissant et rampe jusqu'à la tombe de Hannah, enfin sa tombe.

 – N'ai pas peur, soufflé-je alors qu'elle s'y recroqueville. Je te ferais pas de mal, plus personne ne t'en fera. Je veux juste savoir, comprendre comment toi tu es arrivée ici.

 Lily se redresse puis lève ses longs cheveux de devant son visage mutilé. C'est horrible à voir. Hugues l'a lacéré du front jusqu'au menton, rendant son visage impossible à identifier.
Je réprime un frisson puis je tends les mains vers elle. Lily grogne mais je ne bouge pas.

 – Montre-moi.

 Elle me dévisage mais je suis bien incapable de savoir ce qu'elle pense. Lentement, elle avance vers moi. On dirait qu'elle ne veut plus m'effrayer. Elle a sa forme enfantine et, avec des gestes lents, elle me prend les mains.
Je n'hésite plus, je dois comprendre comme elle est arrivée ici.

Je me retrouve dans une rue assez fréquentée. J'ai l'impression d'être dans une reconstitution des années soixante-quinze.
Une fillette est collée contre la vitrine d'un magasin de jouet. Une femme la tire doucement en arrière.

 – Lily, vient là, fait-elle avec douceur. Si tu te tiens bien, tu auras un jouet.

 La fillette sourit puis s'accroche au bras de la femme.
 La ressemblance avec Hannah est assez troublante. Elle est bien plus jeune mais fait à peu près la même taille et ses cheveux sont à peine plus foncée. De loin je pourrais très bien me tromper.
Je les suis jusqu'à un parc où jouent plusieurs enfants. Les mères se rassemblent et discutent entre elle en jetant de temps à autres des regards à leurs progénitures.
Lily joue sur le toboggan. Elle grimpe l'échelle, glisse en riant puis remonte aussitôt.

 – Lily, fait alors sa mère en s'approchant. Je vais vite au kiosque à journaux, tu restes sur le toboggan.

 – Oui, maman, répond la fillette en remontant déjà.

 Je regarde sa mère s'éloigner vers un kiosque à quelques mètres à peine. Il fait froid, la neige ne va plus tarder. La femme commande un thé et je l'écoute échanger quelques banalités avec le commerçant quand je remarque un homme qui marche droit vers Lily. Il est bien et chaudement habillé mais je le reconnais sans peine : Hugues Tronier.
Je sens mes poils se hérisser alors qu'il passe à côté de moi, sans me voir bien sûr.

 – Dis donc, t'as une très jolie robe toi, fait-il en s'arrêtant tout près du toboggan.

 – Merci, répond simplement Lily en se laissant glisser.

 – Elle est si jolie ta robe que je vais t'offrir un bonbon. T'en veux ?

 Lily s'arrête juste devant l'échelle. Elle hésite, jette un regard vers sa mère puis hausse les épaules.

 – S'il vous plaît.

 Hugues rit. Je suis certain qu'il se moque de la naïveté de Lily, elle est si innocente...
J'ai bien envie de lui crier de s'enfuir, de partir rejoindre sa mère mais c'est peine perdue. Lily prend délicatement le bonbon que lui tend Hugues. Elle ôte ses moufles, le sort de son emballage puis le mets dans sa bouche.

 – Merci, fait-elle avant de remonter à l'échelle.

 – Dis, tu aimes bien les animaux ? Les chiots surtout ?

 – Oui, beaucoup.

 Le sourire de Lily est si joyeux que mon cœur se serre. La pauvre, elle est loin d'imaginer ce qui va lui arriver... Mais qui le pourrait ?

 – Moi j'en ai plein. Tu veux venir les voir ?

 – Oui ! Se réjouit Lily avant de froncer les sourcils. Mais je dois d'abord demander à ma maman.

 Hugues tend le bras pour l'empêcher de glisser sur la rampe du toboggan.

 – Elle va refuser, fait-il la voix tendue. C'est dommage mais les mamans refusent toujours les choses qui sont amusantes. Tan pis, je vais trouver une autre petite fille plus courageuse et qui aime plus les chiots.

 Hugues fait demi-tour tandis que Lily se pince la lèvre inférieure.

 – Attendez, fait-elle finalement. Je viens avec vous.

 Hugues lui sourit puis lui tend la main. Lily dévale le toboggan et accourt, joyeuse.

 – C'est loin ? Demande t'elle souriante.

 – Non, juste à côté. On sera vite de retour.

 – Chouette !

 Lily est si joviale, c'était vraiment une petite fille pleine de vie.
La mort dans l'âme, je les suis. Ils sortent du parc et s'approche d'une voiture un peu à l'écart.

 – C'est dans cette voiture, reprend Hugues en regardant autour d'eux.

 Personne ne les regarde. Lentement, scrutant la rue et le parc, il ouvre le coffre. Crédule, Lily s'y penche. D'un geste, il lui attrape les jambes et la pousse sans ménagement avant de rabattre le coffre.
J'entends Lily crier et frapper mais les sons sont trop étouffés pour que les passants ne les entendent.
Avec horreur, je vois Hugues s'appuyer contre sa voiture pour y fumer tranquillement une cigarette.
Il est calme, sûr de lui. Il n'éveille aucun soupçon puis monte dans sa voiture comme n'importe qui d'autre.
Je me retrouve dans le noir au côté de Lily qui sanglote dans le bruit de la voiture qui roule.
Elle roule un long moment, des heures peut-être.
Quand le coffre se rouvre enfin, il fait nuit. Hugues attrape Lily qui cri de frayeur. Il la bâillonne puis lui arrache ses vêtements, mettant à nu son petit corps. Avec des gestes brusques, il lui enfile une autre robe, un de celle de Hannah.
Il lui tire les cheveux en arrière, faisant redoubler ses pleurs, puis se penche sur le visage de Lily avant de sourire, ravi.

 – T'es comme une sculpture, fait-il amusé. La base est bonne mais il manque quelques détails.

 Hugues relâche Lily qui chute sur le sol recouvert d'une croûte de neige. Elle est si terrifiée qu'elle n'ose pas bouger, elle reste étendue à sangloter.
Les larmes aux yeux, je regarde Hugues mettre des gants puis prendre un large couteau identique à celui qu'avait Hannah.

 – Je suis désolé, petite, ça risque de piquer un peu.

 Lily lui jette un regard effrayé mais déjà Hugues s'empare de son visage. D'une main il la maintient et de l'autre il lui lacère la peau.
Horrifié, je détourne le regard. Je ne peux pas regarder ça, mais les hurlements étouffés de Lily me vrillent les tympans. Ils résonnent en moi semblable à des coups de tonnerre.


 A nouveau Lily se retrouve dans le noir. Elle sanglote, les mains sur son visage mutilé.
La voiture roule encore un peu puis s'arrête. Lily se remet à pleurer alors que le coffre se rouvre.
Hugues lui arrache le bâillon avant de la jeter au sol. Sous le choc, Lily roule sur les graviers gelés. La voiture s'en va alors doucement, tout feu éteint.
Lily se met à crier et je pleure avec elle, c'est horrible.
Incapable de se lever, elle rampe jusqu'à l'arbre à la balançoire. Elle se pelotonne au pied de son tronc noueux, puis lentement tout devient noir.


 Elle se retrouve sur la balançoire alors que des gens arrivent, puis la police. On passe devant elle mais elle ne fait aucun mouvement, elle demeure auprès de son petit corps meurtri.
On sort trois corps de la maison, tous tués par une arme blanche. On prend aussi son corps et là Lily s'agite, elle cri, essaye de repousser les policiers mais sans succès, personne ne la voit. Elle n'est qu'un fantôme.
Je vois alors Maryse et Louisette, les sœurs aînées d'Édouard et de Hannah. Elles pleurent se tenant l'une l'autre.
L'enterrement attire beaucoup de curieux mais personne ne voit Lily marteler son cercueil. Elle ne veut pas rester là, ce n'est pas sa place.
Je regarde les gens en deuil, je passe à leurs côtés alors qu'ils murmurent que Hannah a tuée toute sa famille.
Le plan de Hugues a fonctionné. Personne n'est allé chercher plus loin, c'était une évidence pour tous.

 – C'est ça, fait alors la voix de Hannah. Les fous ont toujours tort, j'imagine...

 Je tourne la tête, elle est à mes côtés. Elle me tient la main et on est de retour devant la maison.
Hannah me sourit, un sourire sincère et chaleureux, en fait c'est une jolie fillette.
Son image devient alors floue. J'ai de nouveau très froid mais le monde retrouve sa netteté. Je reviens à moi.
Je suis toujours devant la maison mais c'est Laura que je tiens par la main. Aussitôt je l'enlace.

 – Laura, soufflé-je soulagé. Tu... Tu n'as rien ? Et... je t'aime... comme ma sœur.

 Laura me repousse doucement puis me sourit, un sourire sincère et chaleureux.
Je l'enlace à nouveau quand soudain une voiture arrive en trombe. Je me redresse d'un bond pour lui faire signe. Elle dérape puis s'immobilise sur les graviers. Même dans la pénombre je reconnais sa couleur rouge pétard.

 – Sébastien ! m'écriai-je alors qu'il sort de sa voiture.

 – Vous allez bien ? Répond t'il en accourant vers nous. J'étais inquiet. J'ai appris pour Jo et Alix
ne répond pas à son téléphone, alors je...

 Je tressaute en me souvenant d'Alix. La réalité me heurte mais je ne cède pas à la panique.

 – Sébastien, appelle les pompiers et les gendarmes aussi.

 Il s'arrête devant moi, me dévisageant avec des yeux ronds.

 – Qu'est-ce qui se passe ?

 J'inspire, la vérité est dure à dire mais il le faut.

 – On a essayé de nous tuer.