1 - Treizième anniversaire

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     Je n'ai jamais été superstitieux. Les chats noirs, les échelles, le chiffe treize... que des fabulations pour moi. J'écoute, j'acquiesce mais intérieurement j'en ris.
Pourtant je dois avouer que ma treizième année commence mal, très mal...
Aujourd'hui on aménage dans notre nouvelle maison qui, pour ma mère, est le paradis sur terre.
Je ne suis peut être pas très objectif, à moins que ça ne soit l'ambiance « brouillard en campagne », mais ça ressemble plus à un décor de film d'horreur qu'au paradis.
Comme quoi tout est relatif...
Bref, on est parti de nuit de Lyon, ma ville natale et le berceau de ma courte vie, direction le fin fond de la campagne à Verny-sur-Mont, autrement dit un village complètement paumé.
A peine descendu de la voiture, je me suis senti oppressé par le ciel gris, la terre grise et cet air grisâtre.
Grisaille et silence... Génial.
Ma mère, aussi jeune d'un point de vu physique que mental, a insisté pour qu'on termine le chemin à pied afin de profiter au maximum de son « cadeau » comme elle l'appelle.
Nous voilà à marcher sur un chemin terreux plongé dans la pénombre par d'immenses arbres, le tout dans un silence de mort. Au loin je vois enfin de la lumière, la fin du tunnel...

– La poisse, on capte rien ici !

Ça, c'est Alix, ma charmante sœur. Elle est aussi enchantée que moi et le fait bien savoir.
Je me tourne vers elle alors qu'elle replace d'un geste agacé une mèche brune derrière son oreille. Je me demande toujours pourquoi elle fait ça étant donné la franche qui lui couvre les yeux...
Du haut de ses presque seize ans, c'est une fille plutôt sympa sauf quand elle râle, ce qui est très souvent le cas.
A côté d'elle se trouve un garçon plus âgé qui a aussi l'air de se demander ce qu'il fait ici. C'est Jonathan, dit Jo, notre demi-frère. Il est issu d'une première union de ma mère alors qu'elle n'avait que dix huit ans. Jusqu'à peu, il vivait avec son père. Il ne venait qu'un week-end sur deux et durant les vacances ce qui m'allait très bien, mais après une énième dispute avec son paternel, il a décidé de venir vivre chez sa mère. Chez nous donc.
Enfant, il m'a traumatisé, je n'ai que de mauvais souvenirs de lui. Alors que je n'avais que cinq ans il s'est amusé à mettre de l'essence sur mon bras gauche puis à craquer une allumette pour voir ce que ça pouvait bien faire. Sa petite expérience m'a laissée une marque indélébile.
Autant dire que je ne suis pas ravi de sa présence.
Je jette un regard par dessus mon épaule pour voir mon père qui nous suit, épaules basses, tel un condamné à mort. Je trouve que ses tempes sont de plus en plus grisonnantes, au moins que ça ne soit qu'une illusion d'optique dut au brouillard ambiant.
A ses côtés marche Laura, une cousine qui est chez nous depuis peu suite à la mort de ses parents, un accident de voiture je crois. Elle regarde tout autour d'elle, l'air émerveillée.
Je n'ai rien contre elle, mais elle est bizarre... Mon père dit qu'elle a juste un retard de développement mais être incapable de faire une phrase à neuf ans, je trouve ça vraiment... anormal.
Soudain la lumière se fait plus intense.
Je me retourne et je vois enfin notre « demeure ».
Le chemin se poursuit, passant à côté d'un grand tilleul isolé où une antique balançoire oscille dans la brise, pour rallier une grande battisse toute en longueur.
Derrière l'arbre s'étend un vieux verger qui se perd dans la brume et quasiment en face se trouve ce qui ressemble à une maison quasiment en ruine et recouverte par la végétation.

– On est plein Est là, fait ma mère enthousiaste. La cuisine est très lumineuse le matin, c'est génial. Là, c'est la dépendance, elle a besoin d'un petit coup de neuf mais elle est super, avec une bonne surface.

Je regarde la ruine d'un œil sceptique.

– Dans le verger, il y a des pommiers, des poiriers et même des cerisiers, continue ma mère sur sa lancée. Vous verrez cette été, ça sera génial !

J'aimerai avoir hérité de son optimisme...
Je suis Alix et Jo qui continuent le chemin. La battisse devant nous est aussi immense que vieille. Ses fenêtres crasseuses ne laissent rien apercevoir alors que je passe sur son devant qui donne plein Sud.
Je dois avouer que le parvis surélevé de quelques marches avec ses colonnes carrées qui donnent sur une double porte en bois massif, ça en jette. On dirait presque l'entrée d'un manoir.
La maison est un rectangle monté de deux étages en pierre claires et surmonté d'un toit en ardoise.
Elle fait vraiment penser à un manoir.
Je grimpe les marches pour examiner la vue qu'on a du parvis.
Le verger s'étend de ma gauche jusqu'en face de moi puis une sorte de lande prend le relais jusqu'à un lac alimenté par une rivière traversée par un vieux pont en bois. De l'autre coté des eaux reflétant le ciel de plomb, j'aperçois une petite construction perdue dans le brouillard.

– C'est quoi ça ? Demande Jo en l'indiquant.

Ma mère, tout sourire, nous rejoint.

– C'est une petite chapelle, elle fait parti du domaine.

– C'est un cimetière que je vois devant ? questionne Alix perplexe.

– Ça se faisait beaucoup à l'époque, répond ma mère comme si c'était un simple détail. Vous voulez voir l'intérieur ?

– Pourquoi tu nous as amenée ici ? Explose Alix. C'est carrément flippant !

– Grave, on pourrait louer pour tourner des films d'horreurs, enchérit Jo.

Je me sens moins seul d'un coup.

– Vous exagérez, soupire ma mère. Vous verrez la qualité de vie qu'on va avoir, ici. Ça sera autre chose que la périphérie de ville.

– Ouais ou comment vivre seule et perdue ? maugrée Alix en croisant les bras.

Je souris quand un rire nous parvient. Il est tellement en décalage avec l'ambiance que je me retourne. Laura est en train de jouer avec la balançoire du vieil arbre.

– Elle est trop bizarre cette fille, reprend Jo. Elle va rester longtemps ?

– On pourrait aussi te poser la question ? Réplique Alix mécontente.

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant