40 - S'échapper

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Mon cerveau semble enfin se réveiller.
J'ai peur mais je ne suis plus tétanisé et je sais exactement ce que j'ai à faire.
J'attrape la main de Laura et on sort en courant du cabanon. Je défonce plus que je n'ouvre la porte de la buanderie. Je tire Laura à l'intérieur avant de claquer la porte vitrée puis de la verrouiller.

– On monte.

Le ton calme et posé de ma voix m'étonne moi-même.
Laura se contente de hocher la tête. Je lui reprends la main puis on traverse en courant le hall. On doit faire vite, retrouver Alix puis se cacher en priant qui ne soit pas déjà trop tard...
On grimpe l'escalier comme si nos vies en dépendaient quand soudain j'aperçois Alix au second.

– Foutue campagne, peste t'elle. On capte pas !

– Alix !

Mon cri la fait sursauter puis elle s'appuie sur la rambarde pour nous dévisager avec surprise. Je ne sais pas comment elle nous voit, je dois avoir l'air terrifié, mais soudain la peur remplace la surprise sur son visage.

– Il faut qu'on... commencé-je.

– COURREZ !

Mon sang se glace tandis que l'air semble se raréfier autour de nous. Sans savoir pourquoi, je me retourne. Quasiment sans surprise, je vois une silhouette longiligne dans la pénombre du hall, un long couteau scintillant dans sa main.

– MONTE !!

Je pousse Laura en avant puis j'attrape la bibliothèque branlante de maman pour la faire tomber en travers de l'escalier. L'intrus s'élance alors sur nous. Il porte une cagoule et je ne m'attarde pas assez pour l'examiner plus.
Je grimpe les escaliers aussi vite que je le peux sans parvenir à rattraper Laura. Alors que je m'apprête à appeler Édouard, l'homme m'attrape la cheville. Je chute lourdement dans les escaliers, mon menton heurte une des marches et un goût de sang envahit ma bouche.
Dopé à l'adrénaline, je me retourne sur le dos, assénant autant de coups de pieds que je le peux.
L'homme, car je suis certain de l'identité de notre agresseur, lève son couteau au-dessus de sa tête. Je vais pour hurler quand Alix entre dans mon champ de vision armée d'un gros vase.

– Lâche le ! hurle t'elle en l'abaissant brutalement.

L'homme met son bras en rempart mais ne peut esquiver le projectile qui vole en éclat en heurtant son crâne.
Sans trop savoir comment je me retrouve sur mes pieds. Je monte à reculons les marches, incapable de quitter des yeux l'intrus. Il se relève aussi. Il a perdu son couteau mais il bondit aussitôt sur Alix, la plaquant contre le mur. Ma sœur entoure ses bras autour du cou de l'homme et tente de le basculer sur le côté. Malgré sa maigreur, il est bien plus fort qu'elle et la lutte est violente.
Alix parvient alors à remonter sa cagoule l'aveuglant un instant. Elle recule, heurtant la rambarde, tandis que l'homme se débarrasse de son masque.
Je sursaute en découvrant le visage déformé par la haine de Hugues Tronier.
Il n'a plus cet air de vieillard généreux mais plutôt le regard fou d'un dérangé. Ses cheveux délavés sont en bataille et il aborde une coupure sur le front.

– Dégage ! Me hurle Alix sans le quitter des yeux.

Je grimpe une volée de marche avant de jeter un regard par dessus mon épaule. Avec horreur, je vois Hugues bondir sur ma sœur qui se défend comme elle peut. La lutte est violente et soudain Hugues parvient à attraper Alix puis à la soulever de quelques centimètres, juste assez pour la faire basculer par dessus la rambarde.
Je me tétanise sur place, attendant l'inévitable bruit.
Quand il se produit, après ce qui me semble de longues minutes, je me jette sur la rampe pour regarde en bas.
Alix a fait une chute de presque deux étages. Elle est tombée sur le dos, du sang coule derrière sa tête et sa jambe droite fait un angle bizarre.
Je n'entends plus que les battements anarchiques de mon cœur tandis que ma vision se brouille, mais soudain un rire s'élève, grinçant et déplaisant.
Je reporte mon attention sur Hugues qui regarde Alix en contre bas, un sourire aux lèvres. Il se tourne alors vers moi, récupère son couteau, puis monte l'escalier, marche par marche. Je comprends ce qu'il veut...
Il veut que je fuis devant lui.
C'est un tortionnaire. Un homme qui aime la peur qu'il fait naître chez ses victimes.
J'aimerai avoir le courage de ma sœur mais je ne suis que moi, Thomas, un garçon de treize ans complètement dépassé par la situation.
Je trébuche puis je monte les escaliers aussi vite que je le peux. Derrière moi j'entends Hugues rire.
Laura m'attend sur le pallier du second, les pupilles dilatées par la peur. Je lui attrape le bras alors que Hugues se met à fredonner tout en montant lentement l'escalier.
Je me fige en reconnaissant l'air de Hannah, celui qu'elle chantonne si souvent... L'horreur me tord le ventre en imaginant les sévices que ce fou lui a fait vivre à l'insu de tous.
Je voudrais partir encourant, hurler, m'enfuir, mais je ne peux que écouter.
Je sais déjà qu'on ne s'en sortira pas.

– Thomas ! Cri alors Laura en me tordant le bras. Cours !

Je sursaute, le cœur battant. Laura essaye de me tirer en avant et je mets un temps à me ressaisir. Je regarde vers l'escalier, Hugues est presque arrivé au palier.
Mon cœur bat si fort qu'il me fait mal à la poitrine mais alors je vois Édouard devant la bibliothèque que j'ai fait tomber. Il me dévisage avant de fixer Hugues.
Soudain ses yeux deviennent noirs et sa silhouette se déforme, comme pour Hannah... mais en pire.

– Alors tu ne fuis plus mon garçon, me lance Hugues presque avec gentillesse. T'as trop peur ? Dommage. Je vais donc devoir terminer le travail ici.

Il ricane tout en levant son couteau et Laura se glisse derrière moi en pleurant.

– NON !!

Édouard apparaît alors devant moi et son cri déchire le silence tandis que Hugues semble heurté par une chose invisible. Surprit, il recule, les yeux écarquillés.
Édouard me regarde par dessus son épaule et je frissonne face à son visage déformé et inhumain.
Dans sa colère, il est effrayant.

– Cours et sors de cette maison !

Je ne peux que hocher la tête tant Édouard me terrifie.
Je prends Laura par le bras et je l'entraîne avec moi vers sa chambre. On a presque atteint la porte quand Édouard pousse un hurlement d'outre-tombe et tout explose autour de nous.
Le parquet s'arrache tandis que les murs se craquellent et que les meubles s'envolent dans un fracas surnaturel.
Je bondis dans la chambre de Laura qui semble épargné par cette vague de puissance fantomatique.
Laura me lâche la main et claque la porte avant de reculer jusqu'à son lit.

– La clé ? Hurlé-je en tâtonnant la porte.

– L'ai pas !

Je pousse un juron en reculant à mon tour. Laura va alors à côté de sa commode et essaye de la pousser vers la porte. Je la rejoins et en combinant nos forces, on parvient à la mettre devant la porte.
Le silence est oppressant. J'entends juste la respiration haletante de Laura et les battements frénétiques de mon cœur. La maison est calme, sans bruit.
A pas mesuré, je me rapproche de la porte. J'hésite puis je fais signe à Laura de ne plus faire de bruits puis je colle mon oreille contre le bois.
Rien... puis un gémissement.
Je bondis en arrière, effaré. Laura me lance un regard apeuré avant de désigner le mur.
Je le regarde avant de secouer la tête, je n'ai aucune envie d'aller là dedans. Laura vient alors se planter devant moi. Avec un air sérieux, elle me prend les mains.

– Édouard a dit sortir. Faut faire confiance.

Je la dévisage un instant puis je hoche la tête. On doit faire confiance à Édouard, il est venu à notre secours, il est de notre côté.
En essayant de faire le moins de bruit possible, je vais vers le mur. J'appuie de toutes mes forces mais ça ne suffit pas. Laura se joint à moi, elle pousse aussi fort qu'elle peut puis on parvient à faire coulisser le montant. Je suis surprit qu'on y soit arrivé, l'adrénaline je suppose.
J'entre le premier et Laura me suit sans hésiter.
La trappe est plus facile à fermer de ce côté et, plongé dans le noir, je suis content de ne pas avoir perdu ma lampe de poche. Par contre Laura n'a plus la sienne, elle se colle contre moi et on se dépêche d'avancer. On a fait que quelques mètres quand soudain un bruit sourd résonne, vite suivit par un autre.

–Et merde !

J'accélère le pas tandis que de la sueur me coule dans le dos. Hugues est toujours en vie, et en état de nous suivre.
On arrive vite à la grille. Je tente de l'ouvrir mais elle ne veut rien savoir. J'essaye de la défoncer mais à part me faire mal à l'épaule, je n'arrive à rien.
Haletant, j'ai l'impression d'étouffer entre ces mur. Je rebrousse alors chemin, attrape le pied de biche laissé sur la table puis je tente de forcer la grille, me moquant du boucan que je fais. Elle résiste un instant puis cède et je remarque que les gonds a été graissés récemment. Il est donc bien repassé par là.
J'ai le goût acide de la peur dans la bouche, peur qu'il nous rattrape, peur pour Alix... J'espère qu'elle est encore en vie...
Mon dieu, qu'est-ce qui nous arrive ?
Le faisceau de ma lampe éclaire alors un mur de pierre. Je me fige avant de remarquer un trou en bas. Je m'agenouille pour l'éclairer.

– Ça a été creusé, soufflé-je. C'est très étroit...

Laura se contente de hocher la tête, elle a l'air maintenant au bord de la panique. J'hésite puis je m'y engage le premier.
Au début je marche à quatre pattes mais rapidement je dois ramper. L'odeur de la terre humide et du renfermé me brûle les narines mais je continue. Le sol devient alors mou, sûrement à cause de la pluie de ces derniers jours. La boue est collante et j'ai de plus en plus de mal à avancer. On doit être pîle sous la flaque qui s'infiltre lentement. La peur me reprendre alors que je comprends pourquoi Hugues n'est pas rentré par la chambre : le tunnel est impraticable, affaissé par la terre rendue trop molle par les pluies.
Ma peur en devient presque douloureuse, j'ai peur qu'on s'embourbe et qu'on se retrouve bloqué ici...
Laura se met à pleurer et je l'encourage comme je peux, tout en évitant d'avaler trop de terre.
Des larmes se mettent aussi à couler sur mes joues alors que je peine à avancer de quelques centimètres. La boue me retient comme un étau, plus je me débats, puis je m'enfonce... C'est un enfer.
Ma lampe est aussi couverte de boue, je peine à éclairer devant moi. A ta-ton je gratte la terre, cherchant un appuie pour me tirer en avant. J'ai l'impression que les parois se referment sur nous, je manque d'air.
A bout de souffle, je m'arrête. Je lève le menton pour inspirer que de l'air chargé d'humidité et de poussière. D'une main, j'essuie ma lampe puis je braque le faisceau devant moi. Je frémis en voyant un mur de pierre à moins de deux mètres.
Je passe ma main libre devant mes yeux pour essuyer la sueur qui coule. Je tends le bras pour éclairer au plus loin, je distingue alors une pente puis un ensemble de bois.

Le Mas du LacOù les histoires vivent. Découvrez maintenant