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- N-J Je t'aime !!!

Je suis sous les néons du club de striptease le "Ruler". Les filles y viennent soit pour les enterrements de vie de jeune fille, soit pour tenir des paris qu'elles ont fait, soit pour se saouler et regarder de beaux garçons se déshabiller, soit pour rechercher un peu de consolation après une déception amoureuse, et pleurer dans les bras d'un de mes collègues qui m'en a rien à faire d'elles si ce n'est de leur portefeuille.

Le club a la forme d'une sphère : les tables pour les clients, la piste de danse au milieu de la salle, et le dôme est transparent permettant de refléter les néons et d'admirer le ciel par la même occasion. La musique à fond, les cris d'extase de la foule en délire, les lumières tamisées qui se découpent tantôt en filets, tantôt en cercles, l'odeur des liqueurs mélangée au parfums de ces filles pour la plupart tristes et en manque d'affection. Les corps en sueur de jeunes garçons qui dansent et se dévêtissent sensuellement au rythme de la mélodie... Et moi au milieu de cette euphorie.

J'ai commencé au club à 18 ans d'abord pour pouvoir payer les trois doses de vaccins pour ma mère qui avait contracté la fièvre noire. Elle travaillait comme femme de ménage dans un hôtel pour s'occuper de moi et payer notre logement. Quand elle est tombée malade, son patron l'a directement mise à la porte sans aucune indemnité. On s'est rapidement retrouvé submergés de factures et la vue de ma mère dépérissant dans son lit m'était insupportable. Je faisais de petits boulots de droite à gauche mais ils ne rapportaient pas suffisamment pour pouvoir prendre en charge tous nos besoins... J'ai expliqué la situation à un de mes collègues de la supérette qui m'a parlé d'un boulot de stripteaser. Le salaire en lui même n'est pas conséquent mais les pourboires sont astronomiques si on sait s'y prendre avec les clientes. À l'époque, j'étais maigrichon et je savais même pas aligner deux pas de danse correctement. Il s'est proposé pour m'aider à apprendre le métier contre 1/3 tiers de mon salaire. J'en ai bavé durant cette année, déjà que j'arrivais péniblement à bâcler les fins du mois mais là... On se retrouvait dans un vieux théâtre abandonné pour les leçons de danse et je me suis mis à faire de l'exercice pour avoir un physique plus attrayant. Je ne saurais dire comment j'ai fait pour tenir le coup... Peut-être est-ce l'amour pour ma mère, peut-être est-ce la colère contre cette société qui suce une partie de la population pour en engraisser une autre... De toutes les manières, l'objectif a été atteint et j'ai décidé de me présenter aux auditions du Ruler. C'est en rentrant du boulot une nuit que je suis tombé sur l'affiche collée à la vitre d'un magasin de friperie. Après avoir relevé l'adresse, je les ai contacté pour prendre rendez-vous.

C'est une cinquantenaire qui détenait le club: Ilda la rouge qu'elle s'appelait. Son surnom lui viendrait de l'assassinat de ses cinq maris. Elle a eu des jumeaux avec le troisième, une fille et un garçon. Des rumeurs disent qu'elle couche avec son fils... Sa fille quand à elle, gère le business familial avec sa mère.

Depuis que je travaille ici, je me suis fait beaucoup d'argent, argent que je réinjectais dans la traitement de ma mère qui à ce moment était alitée à l'hôpital. Ce que les toubibs véreux ont omis de mentionner était que, la maladie était déjà à un stade avancé impliquant que les vaccins ne lui sauraient plus d'aucune utilité. Naïvement, je continuais d'y verser des sommes astronomiques même si je voyais que son état empirait de jour en jour et finalement l'inévitable s'est produit : elle est décédée dans mes bras. J'ai hurlé, pleuré, maudit ces médecins corrompus jusqu'à la moelle... J'étais inconsolable... Et dans un accès de colère j'ai mis le feu à cet hôpital. C'est ainsi que j'ai ouvert la boîte de Pandore...

J'ai arrêté complètement de travailler à la supérette, changé de ville, abandonné toutes les valeurs morales que ma pauvre mère avait passé 18 ans à m'inculquer pour me consacrer entièrement au monde de la nuit.
Parce qu'on se le dise, les bons sont toujours traités comme des cons et meurent en misérables. Ma génitrice qu'avait-elle fait de mal? Elle qui n'était qu'amour et tendresse... À quoi bon s'excuser d'être devenu un monstre ? Les autres se sont-ils excusés de l'avoir été vis-à-vis de moi, ou de m'en avoir fait devenir un à mon tour? Je ne veux pas finir comme elle, ça jamais.

Toutes nuits au club, je dansais et séduisais des femmes brisées psychologiquement. Elles se servaient de moi et de mon corps pour faire disparaitre leur tristesse et d'autres pour combler leurs fantasmes et moi je les appâtais pour me remplir les poches: un échange équivalent avec des gagnants dans les deux parties. Certaines venaient me voir pour m'inviter à passer chez elles, dans ce cas la facture était plus salée. Des jeunes étudiantes naïves qui venaient étancher leur libido aux femmes que leurs maris trompaient. C'était les pires... Je me souviens d'une Angèle, la quarantaine qui me donnait toujours rendez-vous à un hôtel de la place. Son époux était un politicien véreux très riche, envers qui elle ne ressentait absolument rien; et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Après le sexe, elle aimait me raconter ses déboires ce qui avait le don de m'exaspérer. Chaque fois que je voyais son numéro s'afficher sur mon portable, je repensais aux liasses de billets qu'elle me donnait pour trouver la force de répondre à ses appels en faisant semblant de m'intéresser à elle.

Pour l'heure, je me demande comment j'ai atterri dans cette maison... Je me souviens m'être fait agresser par trois hommes qui m'ont poignardé après plus rien... Le noir complet.

- Est-ce que je peux avoir mes vêtements ?

- Ils ne ressemblaient plus à rien. Je les ai jetés.

Elle dépose les couteaux, s'essuie les mains à l'aide d'un chiffon et se dirige vers moi. Peut-être est-ce la fièvre qui me donne des hallucinations... Mais en sortant derrière le rideau de vapeurs provoqué par les casseroles qui mijotent, j'entrevus une petite femme, d'à peu près le même âge que moi, d'une beauté indescriptible...

The stripteaser Où les histoires vivent. Découvrez maintenant