XXIX

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La douleur est le dénominateur commun à toute l'espèce humaine. Ceci est un fait. Seulement, dans mon état actuel, j'ai l'impression de subir les souffrances de toute l'humanité. Je suis en train de mettre au monde un enfant.

C'est un garçon. Il s'est présenté par le siège. Imaginez la sensation d'être déchirée en deux. De sentir vos os se disloquer. De sentir son utérus se dilater. D'être dans cette situation depuis deux jours, car oui, je suis en travail depuis deux jours. Deux jours que je souffre atrocement dans ma chair. Cette chose dans mon ventre m'envoie des signaux pour m'informer qu'il veut sortir, mais il refuse de se montrer. Deux jours que je sens mon vagin s'écarteler. Et lorsqu'il daigne enfin sortir, il se présente par le siège. L'obstétricien devait donc envoyer sa main dans mon appareil reproducteur et changer la position de l'enfant. Tout ceci à vif. Je hurlais à en faire trembler les murs. Je beuglais comme un animal qu'on égorge. Je pensais qu'après la torture que j'avais subis, j'étais immunisée contre la douleur. J'avais tout faux.

J'ai maudit le ciel, blasphémé de toutes les façons possibles, insulté la pauvre sage-femme alors qu'elle ne faisait que son travail. J'ai pleuré, crié, saigné, vomi. Quand le médecin a sorti sa main de mon vagin, et que cette chose a dévoilé sa tête, la douleur m'a électrisé le cerveau. Je gémissais, j'agonisais. C'est la chaleur de mes larmes coulant sur mon visage, leur salinité quand elles entraient dans ma bouche, qui me rappelait que je suis encore en vie. Que je suis encore une humaine. Que j'ai encore de la substance.

À un moment donné, je ne sentais plus le bas de mon corps, j'étais comme paralysée. Je ne sentais plus la douleur. J'étais épuisée. D'ailleurs, je n'avais même pas conscience que la délivrance était terminée. En sueur, sale à cause de mon vomi, de mon urine, de mon sang répandu sur les draps et le sol, j'entendis un cri. Le cri d'un bébé. Je venais de donner la vie.

Tout le monde autour de moi semblait en extase devant cet être. Le "miracle de la vie" comme l'appelle. Mais qu'il y a-t-il de miraculeux là dedans? Cette expérience était atroce. Mon appareil génital est complètement déchiqueté. J'ai perdu des litres de sang. Alors pourquoi ont-ils l'air si heureux?

Après l'avoir nettoyé avec une serviette, une des femmes présentes dans la salle me tendit l'enfant en me disant: "Félicitations! Vous avez accouché d'un magnifique petit garçon." Je n'ai pas eu le temps de m'en rendre que cette phrase sortit de ma bouche: "Eloignez cette chose de moi!!" Le temps suspendu son envol dans la pièce. Tout le monde se retourna, choqués par ce que je venais de dire. Choqués par toute l'amertume qu'il y avait dans mes paroles. Offusquée par mes dires, l'infirmière manqua de se heurter sur la table derrière elle.

- Dans- Dans ce cas, le père de l'enfant est-il là? Le bébé a besoin du peau à peau.

- Je suis le père. Donnez-le moi.

Mon cœur manqua un battement lorsque j'entendis la voix de Namjoon. Sa voix rauque, profonde, chaude. Je refusai de lui lancer ne serait-ce qu'un regard. Qu'ils aillent tous au diable!

J'entendais les pleurs du chiard s'éloigner pour disparaître complètement. En me retournant dans l'oreiller, je le vis, de l'autre côté de la vitre, sur le torse nu du stripteaser. Il avait l'air fasciné par ce truc rose à la peau fripée. Cet enchantement me dépasse. Même cet enfoiré de stripteaser a l'air subjugué. Tel père, tel fils; les deux se sont mis d'accord pour me détruire la vie. L'un n'ayant pas réussit, il a mandaté son engeance pour qu'elle finisse le boulot!

L'obstétricien m'a dit qu'il faudrait une année entière à mon corps pour récupérer complètement de l'accouchement. Comment ma mère a fait pour avoir deux enfants? Elle a accepté de subir cette torture deux fois de suite? Pourquoi les femmes doivent-elles subir un supplice pareil? En quoi est-ce une grâce de donner le vie?

***

Pour l'assaut final, les dominants avaient réunis tous leurs soldats d'élite. Les inquisiteurs les plus barbares et cruels, capable d'endiguer l'insurrection des dominés.

Certains d'entre eux ont infiltré les miliciens restés sur le continent rouge pour les affaiblir depuis l'intérieur. Etant donné que le trône était vide, de petites factions ont vu le jour dans le but de le revendiquer. C'était eux la cible des inquisiteurs. Ils ont ravitailler ces terroristes en armes et ont rejoint leurs rangs. L'objectif des inquisiteurs n'était pas de les aider à s'emparer du pouvoir, mais plutôt de déstabiliser la milice pourtant engagée sur le front de Pemba.

Cette manuvre a marché car l'une des choses que les pauvres et les riches ont en commun est l'avidité: le démuni voulant la gloire et le nanti voulant plus gloire.

Une guerre civile a éclaté inéluctablement. Les terroristes, avec l'aide des inquisiteurs parvinrent à soumettre tout Red Soil ainsi que ses habitants. Mais au moment de leur passer la couronne comme convenu dans leur accord morbide, les inquisiteurs les tuèrent, tous, sans exception, jusqu'au dernier.

Les dominants avaient réussi à récupérer un de leur territoire. Au tour de Blue Soil maintenant. Ils enrôlèrent de force les miliciens qui avaient survécu ainsi que d'autres hommes et femmes capables de se battre. Les voilà maintenant obligés de tuer leurs semblables, leurs anciens frères d'armes. Les colons qui avaient été envoyé sur le continent bleu, malgré leur bravoure et leur abnégation, n'ont pas pu tenir contre cet assaut, de part leur infériorité numérique et le manque d'entraînement.

Les inquisiteurs eux, sont des chiens de guerre, des machines à tuer. Des monstres capables d'éviscérer un nourrisson sans ciller. Lorsqu'ils rencontrent des soldats mal entrainés comme les miliciens, il n'en font qu'une bouchée. Le plan Babylon n'avait fonctionné que grâce à l'effet de surprise il faut le rappeler.

Voilà donc les deux territoires des dominants récupérés grâce au sang des miliciens mobilisés pour tuer leurs propres frères, leurs fils, leurs femmes et leurs enfants pour certains. La bêtise et la vanité humaine sont vraiment sans pareils. L'inutilité et la gratuité de cette guerre, de ces meurtres, de ces sacrifices, de cette violence dépassait mon entendement.

***

Intérieurement, je me suis résignée. Je me fichais de savoir à quoi ressemblerait le nouveau maître qui m'asservirait. Je vivais en attendant ma mort.

Mes ongles jadis arrachés étaient en train de repousser. C'est la cicatrisation des plaies qui était un vrai supplice. Les blessures me démangeaient horriblement , me brûlaient par moment. Je ne portais plus aucun bijou. Moi jadis, constamment recouverte de parures, je n'étais plus que l'ombre de moi-même. J'ai essayé un nombre incalculables de fois de tuer l'enfant dans mon ventre et moi par la même occasion. J'étais condamnée à vivre. J'appelais la faucheuse toutes les nuits pour qu'elle emmène avec elle, mais rien. Le nombre indécent de produits chimiques que j'ai ingéré pour me libérer de ce fœtus n'ont pas eu l'effet escompté. Bien au contraire, ils ont contribué à me rendre plus malade et à rendre ma grossesse difficile.

J'étais devenue amère après tout ce que j'ai traversé. Me sentir trahie par tous, même par ma propre famille m'a fait perdre le peu d'espoir qu'il me restait en la race humaine. L'Homme est le monstre le plus effroyable de tous les mythes, contes et légendes qu'on m'ai raconté.

The stripteaser Où les histoires vivent. Découvrez maintenant