Vingt-six

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Vingt-six (1103 mots)

Pdv de Benjamin Pavard

J'essayais de penser à autre chose, mais à chaque pas que je faisais, la même image apparaissait dans ma tête. Une brune aux cheveux bouclés. Je n'ai vu d'elle que ces cheveux - bougeant dans tous les sens quand elle dansait - et une partie de son visage, mais j'étais sûr de savoir la reconnaître entre mille. Il fallait déjà que je la recroise un jour, ce qui était possible, mais peu probable malgré tout. Et punaise, je ne sais même pas pourquoi je la trouvais belle. Après tout, elle n'avait rien d'exceptionnel. Dire qu'elle n'avait rien de plus que les autres était mentir ; si j'avais autant d'attirance pour elle, il y avait bien une raison. Ou alors je la perdais, la raison. Probable aussi. Après tout, j'étais pas mal alcoolisé et elle m'a peut-être juste tapé dans l'œil. Alors pourquoi est-ce que je pense toujours à elle ? Étrange, mais je ne trouve pas de réponse à ce phénomène. Page blanche.
La journée passait comme une fine pluie du Nord : rapide et passagère. Il faut dire qu'être dans mes pensées m'avait aidé à passer le temps.
Il est 19h50 et je chipote avec les aliments qui se trouvent dans mon assiette.
Jade -Tu manges pas ta purée, Benji ?
Je lui fis signe de tête que non.
Jade -Je peux la prendre ?
Je lui tendis mon assiette et je la voyais manger dedans. Elle picorait comme un petit moineau. On ne dirait pas, au premier abord, mais elle mange quand même beaucoup. Elle s'arrêta, semblait réfléchir, et me tendit l'assiette de retour.
Jade -Prends quand même de la force pour ce soir.
-C'est gentil, ne t'inquiète pas pour moi.
Jade -Je le suis ! T'étais absent ces derniers temps... C'est inquiétant, surtout juste avant le match de ce soir.
-Je vais bien. Je suis distrait, mais je sais être professionnel. Mon jeu ne sera pas perturbé.
Jade -Parfait alors, dit-elle en me souriant.

Il restait une dizaine de minutes avant de rentrer sur la pelouse et d’entendre la France chanter la Marseillaise. Le coach donnait ses derniers conseils dans une ambiance de concentration.
Je vis du coin de l'œil Kylian discuter avec Jade, de quelque chose qui semblait assez sérieux comparé au reste de la bande qui se demandait dans combien de temps ils finiraient ensembles. D'ailleurs c'était bizarre. Je veux dire qu'ils sont tout le temps collés et ils s'entendent bien, même très bien à vrai dire, mais eux deux… Je sais pas, dans mon cerveau ça colle pas. Évidemment, j'y réfléchis sérieusement, pas comme les pervers de la bande qui parlent de comment va se passer leur première fois. Des idiots quand ils s'y mettent, mon dieu.
Il ne restait plus que cinq petites minutes avant de monter sur le terrain.
Didier -Hum, LES GARS !
Un silence approximatif se fit.
Didier -Jade a demandé de prendre la parole.
Elle souriait et avança vers nous. Tremblante, je sentais qu'elle hésitait encore à dire ce qu'elle voulait. Les yeux paniqués, elle cherchait probablement du réconfort. Elle tourna la tête pour tous nous détailler et, en voyant qu'elle m'observait, je lui souris amicalement pour l'encourager. Elle me remercia en me rendant mon sourire avant de nous adresser la parole à tous, et de détourner ses yeux de moi.
Jade -Vous êtes doués, et ça, tout le monde le sait. Certains malins se mirent à bomber le torse. Vous avez gagné il y a quatre ans, mais c'est du passé car, vous le savez, le titre est remis en jeu. Les sourires s'évanouissèrent d'une traite. On ne veut pas voir un match préparatif. C'est un match digne d'une finale qu'on veut là. Du beau jeu, de l'esprit d'équipe... Je veux retrouver la France de 2018 ce soir, sur ce terrain même. Et c'est maintenant !
Elle tapa sur la table, accompagnée par Piochi - AKA Pogba.
Chacun était très attentif à son speech. Ça a beaucoup touché certains, d'autres ont juste ressenti l'excitation du match. Mais l'esprit et le cœur y sont, et ça compte pour chacun d'entre nous. Elle fit le tour du vestiaire pour nous checker tous un par un, en chuchotant un petit mot à chacun. Elle arriva à mon niveau.
-Beau discours, Madame la Présidente, dis-je en riant.
Jade -Bon match, Tuche, dit-elle pour riposter.
Elle souriait de toutes ses dents et il me semblait avoir déjà vu ce rayonnement quelque part. Ou peut-être était-ce son sourire qui me rappelait le soleil d'été…

J'étais sur le banc, accompagnés de plusieurs de mes camarades. Avec moi, on retrouvait Aurélien Tchouameni, Lucas Digne et Clément Lenglet - entre autres. Une minute de silence fut accordée en commémoration des attentats et puis le match commença.
À peine au bout de 6 minutes, le premier but était marqué par Kylian. Sur le banc, c'était déjà la fête ! Encore six minutes plus tard, l'esprit d'équipe fit rage. Une magnifique passe en profondeur de Koundé atterrit dans les pieds de Coman, et Mbappé qui finissait ce geste en beauté pour marquer le deuxième but de la soirée. Quel beau jeu ! J'entendais Jade crier derrière moi à chaque belle passe, j'allais finir par devenir sourd au bout de ces 90 minutes, à coup sûr.
Jade -Encore une magnifique passe de Coman ! Il est en forme.
-Kylian aussi, magnifique tête...
Pendant la mi-temps je discutais avec Jade et elle me raconta son quotidien, parce que je lui avais demandé. En fait, c'est une fille qui a la vie dure, mais on ne l'entend jamais se plaindre. C'est dingue ce qu'elle est positive ! Elle doit enchaîner deux boulots sans jamais râler et elle a des horaires fous. Elle se lève à 6h pour aller à la boulangerie et part du magasin après 19h. À peine ai-je le temps de lui demander si ce n'est pas trop dur que Didier nous annonce que la pause est finie. Elle me confirma qu'elle me répondra après.
La seconde mi-temps était à peine lancée que Karim Benzema marqua au bout de 10 minutes d'entrée sur le terrain.
Jade -Encore Théo en passe décisive, fit-elle remarquer à voix basse, de manière à ce que je sois le seul à pouvoir l'entendre.
Je ne répondis rien, me contentant de sourire. Je décidais de me lever pour courir rejoindre mes camarades dans leur câlin improvisé. J'étais si fier d'eux et 4 minutes plus tard, il était déjà à son deuxième but.
-À cette allure là, je vais plus compter !
Je voyais Jade, mise à l'écart pour ne pas attirer l'œil des caméras, lever les yeux au ciel face à ma remarque.
Jade -Jamais dans l'exagération ! répondit-elle.
-Jamais, lui assurai-je en riant.

Cheveux bouclésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant