Chapitre 1

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J'ai une règle, je ne mélange pas travail et sexe. D'une, ce n'est pas bon pour le climat de travail, ça peut éveiller jalousie et envie et de deux, si je veux gravir les échelons dans la compagnie, je me dois d'être irréprochable. Je ne veux pas devoir un jour rendre service à un subalterne que je me serais tapé dans un bureau lors d'une fête de Noël, surtout si je suis fortement alcoolisée et que les seuls souvenirs que j'aurai de cet écart de conduite seraient ceux sur une photographie ou une vidéo partagée en ligne.

J'ai une autre règle, faire ce que me demande mon boss, Monsieur St-Laurent. Pourquoi ? Tout simplement parce que ma promotion passe par lui. Pas question de coucher ! Ce travail je le mériterais, à la force du poignet. Euh... non. Ça sonnait différemment dans ma tête. Il a beau être bien foutu avec sa jeune trentaine, du haut de mes vingt-cinq ans c'est im-po-ssi-ble !

Je travaille dur, je ne compte pas mes heures – enfin si, quand même, je ne travaille pas bénévolement, même si le Boss apprécierait j'en suis sûre-, je suis irréprochable... et enveloppée. Oh, j'ai parfaitement conscience du regard de certains de mes collègues. Je les entends murmurer contre une jupe un peu trop serrée. Et les allusions à peine déguisées lorsque l'on m'invite à les rejoindre à l'étage de la salle de sport. Eh oui, je mange parfois mes émotions, mais je ne le nie pas, je suis une gourmande. J'aime la vie, les séries télévisées, les potins et les sucreries. J'aime manger ce qui n'est pas bon pour moi, et alors ?!

Confortablement installée dans mon cubicule personnalisé, je répondais aux différents courriels et faisais des suivis de dossiers lorsque LE Boss, Monsieur St-Laurent, se plante devant mon bureau.

« Dites-moi Caroline, vous n'êtes pas trop occupée aujourd'hui ? »

Il se fout de moi ? Je croule sous les dossiers et il le sait très bien.

« Je devrais pouvoir trouver du temps Monsieur. Que puis-je faire pour vous ? » demandais-je en lui présentant, je l'espère, mon sourire de première de la classe.

« Je reçois des investisseurs cet après-midi. J'ai besoin que vous serviez le café et un en-cas. »

Jouer à la serveuse ? Il veut que je mette un uniforme en plus ? s'indigne ma petite voix.

« À vos ordres, Monsieur», répondis-je en ravalant ma fierté.

« Très bien, à seize heures alors, salle B-02. »

Seize heures ! Il sait pertinemment que je quitte le bureau à cette heure-là. Si j'arrive à six heures le matin c'est pour pouvoir partir à seize heures. L'enfoiré. Si j'étais plus leste et plus grande de vingt, allez, trente centimètres, et que je n'ai désespérément pas besoin de ce travail, je lui aurais dit ma façon de penser. Moi qui comptais les heures me séparant du week-end, je viens de me rajouter du temps de travail.

Comme je ne suis jamais montée à son étage, et que c'est probablement la dernière fois, j'en profite et je prends l'ascenseur un peu plus tôt, histoire de faire du repérage. En sortant, je remarque la moquette épaisse, si épaisse que j'ai envie de me mettre pieds nus pour marcher, les boiseries, les tableaux, les plantes. Le bureau du patron est à droite, au fond, à gauche les salles de réunion, la petite cuisinette et les toilettes. C'est chic, bien plus qu'à mon étage. Au niveau des employés remplaçables, les murs sont couleurs coquille d'œufs, je me demande s'il y a un message derrière ça, du genre, on ne fait pas une omelette sans casser des œufs, les œufs étant mes collègues et moi, bien évidemment.

À seize heures, je me présente avec du café frais, une collation commandée au traiteur habituel. Une commande express, à la dernière minute, ça leur a fait plaisir à eux aussi. Comme ils ne veulent pas perdre notre clientèle, ils ont fait un effort, mais le sourire n'y était pas.

J'ai refait mon maquillage dans la salle de bain. Rince-bouche, déodorant sous les aisselles et sous ma jupe, et hop, en piste. Certaine de faire bonne impression, je souffle un bon coup et j'ouvre la porte. Je découvre mon patron assis à côté de cinq hommes âgés de quarante à soixante ans, ainsi que leurs assistantes.

Je me demande sur quelles qualifications ils se sont basés pour les recruter. J'ai l'impression de feuilleter le catalogue de Victoria's secret. Je ne les dénigre pas, solidarité féminine oblige entre potiches.

Je pousse mon chariot et commence à faire le service. J'ai l'impression de faire tache dans le décor. Et, forcément, tous s'arrêtent pour me regarder. Il me semble percevoir un pouffement de rire étouffé. Au temps pour la solidarité féminine. Je suis certaine que toutes ces greluches ont le QI d'une huître.

Je dépose une tasse et verse du café à mon patron, puis je me dirige vers le quadragénaire à sa droite. Je dépose une assiette contenant quelques bouchées. Je vais verser le café quand Miss anorexique numéro un pousse la tasse au moment où je verse... Et arrive ce qui devait arriver, le café coule sur la table éclaboussant les documents s'y trouvant. L'anorexique me regardant en souriant. Elle se fout de moi ?

« Mademoiselle Lenovo !!! »

Il va m'engueuler en plus ?

« Oh désolée vraiment », minaude la potiche.

« Nettoyez ça, et plus vite que ça », s'insurge le quadragénaire.

J'éponge du mieux que je peux avec les serviettes en papier, le rouge aux joues. De colère, de honte.

« Désolé Henri », s'excuse mon patron.

« Ce n'est rien, il fallait servir convenablement », ose balancer l'anorexique.

« Les bons employés sont de plus en plus difficiles à trouver de nos jours », ose répliquer l'anorexique numéro 2.

Je me retiens de sauter par-dessus la table, euh... de courir, enfin de marcher rapidement, pour lui en coller une. Mais je me contente de lui lancer le regard le plus noir possible. Les autres potiches se tiennent tranquilles.

« Je peux vous conseiller un bon opticien », dis-je en regardant l'anorexique potiche numéro un.

« Pardon ?

— Si vous êtes incapable de voir où est la cafetière, vous devriez consulter. Des lunettes ne seraient pas un luxe.

— Henri ! Cette incompétente ose répondre », dit-elle dans son attitude toute végétale avec une voix évoquant la langueur d'un saule pleureur.

« Mademoiselle Lenovo !!! Sortez ! Dans mon bureau, demain matin neuf heures tapantes. »

Je me retourne et pars, redressant la tête. Je referme la porte hélas un peu trop brusquement, donnant l'impression de l'avoir claquée.

Et merde !

Je rentre chez moi en colère et me venge en sortant une pizza du congélateur. Je la regarde cuire et y ajoute une double dose de fromage. Il faut bien se gâter de temps en temps. Je me sers un grand verre de vin blanc que je vide d'un trait, avant de m'en servir un deuxième.

Je m'apitoie sur moi-même entre deux pointes de pizza. Je ne peux pas me permettre de perdre ce travail. Le salaire et les avantages sociaux sont trop bons.

Ce n'est pas parce que je suis toute en rondeur que je dois me laisser marcher sur les pieds.

Et, même si ça me pèse énormément – Ha Ha HA ! –, je vais devoir m'excuser pour mes paroles. J'ai conscience d'avoir placé mon patron dans une position délicate. Si les investisseurs se retirent, c'est directement la case chômage pour moi.

En attendant, je me console en regardant Cassie faire des miracles dans un soupçon de magie, une cuillère de crème glacée dans la bouche et la main dans une boîte de Pirouline, je suis sage, je ne les trempe pas dans du chocolat aux noisettes.

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Myka

It was always youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant