Chapitre 3

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Nous prîmes une pause vers vingt-et-une heure pour nous restaurer. Lakan ne montrait jamais le bout de son nez avant vingt-deux heures, ce qui nous laissait un moment de tranquillité.

Un groupe de fantassins apporta le dîner: un ragoût de boeuf, de pommes de terre et de carottes accompagné d'un quignon de pain et d'une pomme. Il escortait une charette tirée par un âne qui contenait des marmites, des bols et des cuillères. Les soldats détenaient des lances à deux lames accrochées dans leurs dos.

Le chef de file était l'officier Pontik, un homme brun aux yeux vairons, bien bâti et équipé d'une armure aux couleurs de son régiment : du noir rayé de rouge. Réputé dans le duché pour son intégrité, il possédait un familier (10), un perroquet grincheux connu pour son penchant prononcé pour la bière. L'oiseau, nommé Tiki, était perché sur son épaule gauche.

Je m'avançai vers Tiki et lui demandai de récupérer la robe en lambeaux. Le perroquet accepta de m'aider même s'il me jeta un regard noir. Par conséquent, il s'envola en râlant et se posa sur la cime de l'arbre. Puis, il tira le vêtement avec son bec et le jeta dans le vide.

En soupirant, je recouvrai la robe qui avait atterri dans un sceau rempli d'eau et l'essorai tout en constatant les dégâts causés par Doquirès. La manche droite était trouée, le corsage n'avait plus de boutons et la jupe était déchirée.

Puis, j'étendis le pauvre vêtement en ignorant les jérémiades du familier, qui demandait depuis son perchoir pourquoi il devait déployer tant d'efforts pour un haillon. Ensuite, je rejoignis les lavandières, qui étaient assises en cercle à quelques pas des fils.

Je m'installai sur un rocher à côté de Loïa, qui me tendit un bol rempli de ragoût et une cuillère. Sa servante distribuait des morceaux de pain. Près de nous, les fantassins planifiaient de se rendre à la taverne après leur mission.

Ma voisine de droite, une jeune apprentie nommée Lira, regardait leurs lances avec curiosité. Générant une étrange énergie et recouvertes de symboles, elles foudroyaient l'ennemi sur le champ de bataille.

Pendant que je mangeais, des lavandières partagèrent les dernières nouvelles diffusées dans le royaume par le biais d'un journal.

Le roi imposait aux trafiquants de vérage (11) une taxe afin de financer la rénovation de son vieux palais, dont la moitié était inhabitable. Les tours les plus anciennes tombaient en ruine, tandis que les toits endommagés s'effondraient quand il pleuvait. Il résidait dans des résidences secondaires en attendant les réparations.

Ensuite, la corporation des nécromanciens recrutait des apprentis. Ils pratiquaient leurs enchantements dans des zones inhabitées depuis la Marche des Squelettes (le 16 juin 1300, de puissants spirites malintentionnés ressuscitèrent cinquante mille défunts dans le nord de Silène en quelques jours seulement).

Pour terminer, le festival annuel des Métamorphes se tenait depuis le dix juillet à Quarsone, la deuxième ville la plus importante de Silène.

Darna, la lavandière la plus âgée, avait grandi dans cette cité. « Quarsone», nous dit-elle sur un ton nostalgique, « est dotée de nombreux parcs à la végétation luxuriante. La cité, entourée de remparts, abrite un marché animé regorgeant de curiosités: des serpents venimeux domptés par un joueur de flûte, des artistes itinérants venus des quatre coins du monde capables de réaliser des voltiges à une vitesse impressionnante, des tapis volants venus d'Orient, des instruments de musique européens, des objets étonnants comme des crachoirs ou encore des coquillages géants, ... ».

Lira, entre deux bouchées de pain, pria Darna de lui donner des détails à propos du festival des Métamorphes. « Ce festival », expliqua cette dernière, « se déroule pendant dix jours. Le premier jour, les métamorphes se rassemblent sur la place principale de Quarsone, pour se peindre le visage en bleu en l'honneur de Méta, leur déesse protectrice. Le lendemain, ils fréquentent le temple de cette divinité pour consulter son oracle et recevoir sa bénédiction. Ensuite, le maire de la ville leur distribue de l'or en leur souhaitant une bonne santé. Cet or est dépensé par les festivaliers en écumant les tavernes et en achetant des amulettes».

Sa petite soeur, Dima, confia malicieusement que les plus malins buvaient une potion contre la gueule de bois. Puis, Darna reprit son récit. « Les métamorphes se transforment en leur animal préféré et s'affrontent dans une arène durant quatre jours. Les gagnants reçoivent un mètre de brocart, un lingot d'or et un sachet de diamants. Enfin, les participants assistent à des concerts mêlant musique et danse ».

Les parents de Dima et de Darna, un sculpteur et une lavandière, s'étaient installés à Qualissa afin de trouver du travail.

A vingt-et-une heure trente, les lavandières empilèrent les bols et couverts avant de les poser sur la charrette à côté des marmites. Ensuite, elles finirent de nettoyer le linge. N'ayant plus de vêtements à étendre, Loïa me chargea d'assister Lira. Cette dernière essayait tant bien que mal d'effacer les tâches d'un tablier. Les sourcils froncés, elle le frottait énergiquement contre sa planche.

Je m'agenouillai à côté de sa pile de linge et m'emparai d'une lourde robe à traîne violette en laine. Étonnée, je demandai à ma voisine qui pouvait bien porter un tel vêtement en été. L'apprentie haussa les épaules. Dima, installée en face de nous, supposa qu'il s'agissait d'un déguisement. Elle présuma que la tenue appartenait à la troupe de comédiens de Séïra. Cette dernière leur envoyait régulièrement des tenues étranges, comme des toges romaines ou des costumes de dindons.

Ensuite, je lavais des robes en lin et des ensembles inédits composés de pierres lumineuses. Pour les superstitieux, ces pierres portaient chance à leur propriétaire.

Quand il commença à faire sombre, les fantassins allumèrent les torches fixées aux piliers de part et d'autre du lavoir.

Puis, Raige refit son apparition après le coucher du soleil. Il annonça que Doquirès était entre les mains de Déxi, le médecin et savant fou du domaine, afin de lui servir de cobaye. Apparemment, le praticien prévoyait de la transformer en singe.

Enfin, les lavandières cessèrent de travailler quand un vent glacial se leva mystérieusement. Quand Raige avertit les guerriers de l'arrivée imminente de Lakan, les battements de mon cœur s'accélèrent à cause de l'inquiétude. J'espérais que le faucheur resterait loin de moi !

10. Un familier est un animal intelligent. Doté de pouvoirs magiques, il choisit son futur maître. Ici, le perroquet de l'officier Pontik est capable de se rendre invisible.

11. La vérage est une plante importée de l'empire Merkos dirigé par la tribu Saikun, une alliée de Silène. Elle donne des hallucinations et change temporairement l'apparence de la personne qui la consomme. Malgré sa popularité, elle a de nombreux effets secondaires, dont l'amnésie et la perte de libido.

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