Point de vue de Lysandre
Zédo s'arrêta devant moi alors que j'esquivai un plateau qui faillit m'assommer. Le Frison rusé essaya de m'attendrir en frottant doucement sa tête contre ma main gauche. Puis, il se cacha derrière moi quand un adolescent, qui tenait une selle, voulut le ramener à l'écurie.
Ensuite, l'intendant manifestement épuisé se demanda sur un ton découragé comment il fallait raisonner le Frison. Il le poursuivait apparemment depuis plus d'une heure. La vieille goule lui tapota l'épaule en le félicitant pour son endurance. « Dans ma jeunesse » déclara-t-elle, « j'étais capable de courir des heures sans m'essouffler. Maintenant, à cause de mes problèmes aux articulations, j'évite quand c'est possible les tâches pénibles».
Une autre démone appela le Frison avec un sifflet porté autour de son cou. Le petit instrument en forme d'oiseau n'émit curieusement aucun son. Seul l'étalon entendit le sifflement qu'il était censé produire car il se dirigea vers elle. Par la suite, le Frison quitta le cimetière quand la démone écrivit sur une ardoise « retourne à l'écurie ».
Plus tard, Raige désigna du doigt la momie tombée par terre à cause des esprits frappeurs et ordonna à Siya et à Bella de la replacer dans sa tombe après l'avoir correctement bandé. Puis, il leur reprocha de ne pas prendre soin du défunt.
Pour continuer, il prit une longue respiration et nous demanda de remettre rapidement en ordre le cimetière. Je pris donc l'initiative de ramasser des fleurs avec la maîtresse de Zédo. Nous fûmes ensuite aidées par la vieille goule qui râlait à cause de son mal de dos.
Je déposai un premier bouquet sur la sépulture d'un certain Tamo Le Courageux quand Faraguar réclama des experts pour expulser les esprits frappeurs du cimetière. Raige répondit au génie que la duchesse était consciente des dégâts qu'ils causaient depuis des années, mais qu'elle n'avait toujours pas les fonds nécessaires pour financer les chasseurs de fantômes agréés.
Cet argument me fit tiquer. Selon moi, il ne tenait pas la route. Effectivement, le duché ne manquait pas de semos pour acheter des esclaves. Visiblement, mes propriétaires étaient radins. Ils ne dépensaient leur argent que pour financer une main-d'œuvre à bas coût. Quelle hypocrisie !
Le génie sembla partager mon avis. En effet, il rappela à l'intendant que la duchesse avait refusé d'acheter une potion pour sauver Zédo quand il était mourant, soi-disant parce que les caisses du duché étaient vides. Pour le guérir, Aya avait dû perdre sa voix. Pourtant, Séira avait acheté le même jour une licorne pour tenir compagnie à Aènne.
Raige rétorqua alors que la duchesse dépensait l'argent hérité de sa mère comme elle l'entendait et qu'il était uniquement destiné à un usage personnel. Puis, il affirma qu'elle n'avait pas à justifier ses achats auprès du génie.
Par conséquent, Faraguar dit qu'il aurait chassé lui-même les esprits frappeurs s'il n'était pas enchaîné et privé de la majorité de ses pouvoirs. Il ne pouvait que jeter des sorts mineurs. Ainsi, il avait endormi les esprits frappeurs seulement pour quelques heures.
Après il insista, assurant que les fantômes empêchaient les goules de travailler. Ils provoquaient le désordre à chaque fois qu'elles tentaient de ranger le cimetière. Sur ce point, Raige ne put le contredire. Il promit de trouver rapidement une solution.
La démone la plus âgée proposa de s'adresser aux pleureuses. L'intendant indiqua qu'il ne pouvait pas les solliciter même si elles étaient compétentes. Effectivement, un décret du gouvernement ne les autorisait qu'à chasser les âmes en peine. Une goule remarqua alors que cette loi était absurde.
Puis, le roux ajouta que les pleureuses appartenant à la corporation des prêtres réclamaient des primes moins élevées par rapport aux chasseurs de fantômes. Ces célèbres traqueurs auraient soi-disant capturé les démons responsables de certaines maladies (ex: variole) et de catastrophes naturelles (ex: sécheresse). En définitive, l'intendant supposa que Séïra refusait d'embaucher des arnaqueurs.
Je plaçai un dernier bouquet dans un vase en terre cuite trouvé sur une étagère à côté de flacons vides quand une idée me vint à l'esprit:
— Faraguar, appelai-je le génie, que penses-tu d'invoquer Mélinoé comme lors du Jour des Fantômes et de lui offrir un présent pour qu'elle envoie les esprits frappeurs dans un autre lieu ?
— Ça peut fonctionner, convint le djinn, nous pourrons brûler de l'encens et donner à la déesse de l'eau de jouvence.
— Pour que Séïra accepte de nous en procurer, elle devra y trouver un avantage. Par exemple, nous pourrions organiser une loterie dont elle toucherait les bénéfices ?
— Bonne idée, approuva Raige. Je lui en parlerai demain. Sinon, comme le rituel ne peut être réalisé légalement que par le duc et qu'il est en ce moment à la capitale, nous recourons à son fils aîné. En tant qu'héritier du duché, il le représentera.
—La cérémonie devra être accomplie la nuit, précisa le génie.
— C'est noté, dit Raige en se massant les tempes. Finissez vos tâches puis rentrez chez vous.
L'intendant prit une torche et quitta la nécropole, toujours suivi par ses gardes du corps. Après, Faraguar me proposa de rester cette nuit au cimetière.
Je n'eus pas le temps d'accepter car Siya et Bella, qui prévoyaient de me montrer leur collection de poupées, m'entraînèrent vers le fond de la salle. La vieille goule cria «Bon courage !» pendant que je soupirai. La nuit allait être longue !
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Les Élues
FantasyLe royaume de Silène, situé aux confins de l'Europe, était prospère grâce à ses nombreuses mines de diamants. Un dragon attaqua en 1457 la capitale du pays, Leïnna. Il menaça de réduire la contrée en cendres. Le peuple consentit en échange de sa sur...