Chapitre 6

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Les ancêtres de Séïra reposaient dans une ancienne léproserie. En examinant l'extérieur du cimetière éclairé par des feux follets, je constatai qu'il était mal entretenu. Des petites branches jonchaient le sol et la façade du bâtiment, fissurée à certains endroits, n'avait pas encore été rénovée.

L'intérieur de l'édifice était aussi en mauvais état : des fresques et des tapisseries endommagées recouvraient les murs.

Dans la grande salle semblable à une crypte, des goules déposaient des fleurs jaunes sur des sarcophages disposés autour d'un monolithe. Le jaune repoussait les maitis, des rongeurs au puissant odorat. Attirés par les cadavres, ils n'avaient peur que de cette couleur.

Je repérai un balai adossé à une stèle sculptée dans la pierre. Décorée d'ourobos, elle rappelait la promesse du génie d'accorder l'immortalité au premier duc et à ses descendants. Le djinn n'était pas obligé d'exaucer ce souhait, puisqu'il avait déjà accordé trois vœux au fondateur de Qualissa avant de lui promettre la vie éternelle.

Je m'emparai de l'objet et cherchai du regard le maître des lieux. Je finis par le localiser au fond de la salle, assis en tailleur sur une tombe. Le génie de feu répondant au nom de Faraguar baillait et ne faisait pas attention aux goules. Je ne savais pas grand-chose à son sujet, car il se fermait comme une huître dès qu'on le questionnait sur ses origines.

Je commençais à balayer le sol tout en écoutant deux goules se chamailler près d'une table, sur laquelle était posée une momie :

— Bella, s'exclama la première en désignant le corps, je dois changer ses bandages ! Alors, s'il te plaît, arrête de jouer avec le tissu et donne-le-moi! Si tu t'ennuies, aide les autres goules.

— Siya, je n'ai pas envie de travailler ! Pouvons-nous nous en occuper plus tard ?

— Non, refusa sa sœur plus raisonnable, nous devons terminer notre tâche.

—D'accord, céda Bella. En fin de compte, je vais plutôt bander le défunt moi-même. Qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi as-tu placé son bras droit à la place de sa jambe gauche ?

—Tu insinues que je ne sais pas m'occuper d'un cadavre? Se fâcha Siya. Je suis la meilleure embaumeuse du cimetière. De plus, je connais parfaitement le corps humain.

— Grande soeur, tenta d'expliquer Bella en désignant un bras, ce membre n'est pas une jambe... Attends, s'écria-t-elle subitement, ne pulvérise pas sa jambe droite! Lâche-le!

— C'est bon, bougonna Siya, je ne le touche plus... Mais Bella, ce n'est pas si grave si je mets ses prothèses au mauvais endroit. Regarde : le pauvre homme a été amputé des quatre membres avant sa mort à cause d'un grave accident selon sa plaque commémorative. Alors, si je mets ses faux bras à la place de ses fausses jambes, qu'est-ce que ça change ?

— Tu as raison, concéda Bella. Continue comme ça alors. Mais à l'avenir, tâche de manipuler doucement le cadavre. Les momies sont très fragiles.

— Promis, assura Siya, je serais très délicate avec les prochains corps. Sinon, une fois le mort bandé, nous pourrons nous divertir avec une partie de jeu de quilles. Qu'en dis-tu?

—Bonne idée! Mais nous jouerons avec quoi?

Oubliant le défunt sur la table, les deux sœurs cherchèrent autour d'elles des objets pouvant remplacer les quilles.

«Décidément, les goules ne pensent qu'à se distraire» pensai-je avec un sourire amusé aux lèvres.

Bella trouva un ballon abandonné aux pieds d'une tapisserie représentant un médecin soignant des lépreux. Sa sœur dénicha quant à elle un boulet de prisonnier au milieu de torchons sales précédemment jetés par terre par ses collègues.

Près d'elles, une démone plus âgée, qui frottait péniblement le sol avec une brosse, leur ordonna de laisser leurs trouvailles par terre. En lâchant le boulet, Siya le fit accidentellement tomber sur le pied de Bella, qui gémit de douleur.

— Ne fais pas attention à leurs bêtises, dit la vieille goule en me remarquant. D'ailleurs, que fais-tu à la nécropole à cette heure? Vu ton bracelet, tu dois être une esclave. Pourquoi tu ne t'entraînes pas avec les autres Élues ?

— La duchesse m'a ordonné d'aider les lavandières après que j'ai lu un conte à Aènne.

— J'espère que ce petit diablotin n'a pas encore détruit un livre, déclara la démone en posant sa brosse dans un sceau. Une fois, j'ai recollé les morceaux d'une encyclopédie de cinq cents pages qu'il avait entièrement déchiré. Autrement, changea-t-elle de sujet, j'ai entendu dire qu'un homme avait encore disparu. Il se trame quelque chose, alors sois prudente.

— Comment ça des gens ont disparu ? Demandai-je sur un ton inquiet.

—Tu n'étais pas au courant ? S'étonna la goule. Au cours des dix derniers mois, des serviteurs se sont mystérieusement volatilisés, dont le mari de mon amie Quina. Raige a enquêté discrètement, à la demande de Séïra, mais les disparus n'ont toujours pas été retrouvés ... Tiens, te voilà Faraguar !

Le génie s'approchait de nous en boitant à cause de sa chaîne. En le regardant, je remarquai un motif sur son cou en forme de lampe. Puis, je ne pus m'empêcher de me demander quel serait son vœu s'il était libre. Je supposai qu'il voudrait sans doute partir loin d'ici.

Après, il leva les mains. Une fumée grise s'échappa de ses paumes tournées vers le ciel et enveloppa doucement mon balai, qui s'anima. « Ne raconte pas à Raige ce qui s'est passé ! », exigea Faraguar. « Je ne veux pas de problèmes ».

Quand les goules se rendirent compte que le balai balayait le cimetière tout seul, elles se regroupèrent autour du génie. Le djinn refusa de les aider et ignora leurs protestations.

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