Chapitre 9

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Point de vue d'Aya

J'avais rencontré Zédo pour la première fois lors d'une nuit pluvieuse il y a cinq ans. Soigneusement bridé et scellé, il était sorti de la Forêt Sanglante au pas.

Cette nuit-là, je m'étais rendue au cimetière pour y déposer des offrandes choisies par le duc à l'occasion du Jour des Fantômes (16), qui tombait le lendemain. J'étais épuisée, car j'avais acheté plus tôt deux vaches dans un village éloigné de ma ferme.

Zédo s'était approché de moi et m'avait laissé le caresser. Voulant profiter de l'occasion, j'étais montée sur son dos. Cependant, il était soudainement parti au galop et avait essayé plusieurs fois de me jeter à terre en se cabrant violemment. Il s'était calmé uniquement quand je l'avais menacé de manger son âme. Une fois rentrée chez moi, je l'avais installé dans une grange.

Ensuite, Zédo, qui s’était avéré être un familier, m'avait raconté son histoire. Il avait appartenu à un haras où il donnait des spectacles à un rythme insoutenable. Il s’en était échappé quand son cavalier, plus intéressé par le profit que par son bien-être, l’avait mal attaché à une barrière.

Les années suivantes furent paisibles. Le Frison devint mon ami et ne laissa personne le monter à part moi. Malheureusement, il y a huit mois, Zédo fut piqué par des scorpions. Pour le sauver, je dus échanger ma voix contre une potion illégale au marché noir. Depuis, je communiquais avec les autres goules en écrivant mes pensées sur une ardoise.

Puis, la semaine dernière, je reçus une lettre de mon cousin Pietro. Journaliste à Lëinna, il écrivait sur son temps livre des contes pour enfants. Sa dernière histoire, "Le Rossignol et le Moineau" (17), avait été particulièrement bien accueillie.

Selon Pietro, le roi avait encore refusé d'envoyer des mercenaires tuer le dragon. Ce dernier le menaçait en brûlant des villages autour de sa grotte. Mon cousin aidait quant à lui des commerçants généreux à distribuer de la nourriture aux réfugiés de plus en plus nombreux dans la capitale.

Il m'encouragea également à consulter Déxi pour ma voix et à rencontrer Nami, un ami muet résidant à Qualissa. Il pensait que cela me ferait beaucoup de bien.

Alors que je réfléchissais à tout cela, une humaine entra dans la nécropole. Anna, ma meilleure amie, me demanda si l'humaine était une esclave. J'hochai la tête car la captive portait un bracelet bleu brillant impossible à manquer. Atteinte d’une maladie qui la rendait progressivement aveugle, Anna rêvait de devenir ministre et préparait le concours de la fonction publique.

Elle allait me dire autre chose quand des objets se fracassèrent soudainement contre des tombes et quand Zédo déboula dans le cimetière. La scène était assez comique : Raige, qui courait derrière lui, le suppliait de s'arrêter. J'appelai alors le Frison et lui demandai de rentrer à l'écurie. Heureusement, il obéit et repartit sagement.

Ensuite, Faraguar calma les esprits frappeurs par magie et s'adossa contre un menhir. L'intendant soupira en remarquant les dégâts causés par les fantômes et demanda à Siya et Bella de replacer la momie dans sa tombe. Enfin, il nous exhorta à nettoyer le cimetière. Je ramassai donc des fleurs avec l'aide de l'esclave, tandis que des démones râlèrent.

16. Le Jour des Fantômes est un jour férié tombant le 13 septembre. Ce jour-là, le soleil ne se lève pas. Les Siléniens brûlent des offrandes pour apaiser les esprits malicieux et honorent Mélinoé, déesse des fantômes et des cauchemars.

17. Conte "Le Rossignol et Moineau " :

Il était une fois, un rossignol né muet qui rêvait depuis son plus jeune âge de chanter. L'oiseau malheureux passait ses journées à rêvasser. Il s'imaginait en train de triller à l'aube en compagnie de ses amis. Un jour, alors qu'il fixait le ciel depuis son nid, un aigle se posa sur une branche près de lui.

L'aigle prétendit posséder des pouvoirs magiques et lui proposa un marché : en échange de ses ailes, il lui accorderait le don de chanter. Le rossignol réfléchit et finit par refuser. Il préférait rester muet plutôt que de perdre ses ailes. Elles lui garantissaient en effet un minimum d'indépendance.

Un mois plus tard, un faucon vola au-dessus de son arbre et lui demanda s'il souhaitait toujours acquérir une voix. Quand le rossignol acquiesça d'un signe de tête, le faucon lui suggérera de rendre visite au moineau vivant dans la forêt voisine. Ce moineau connaissait, selon le faucon, les solutions à tous les problèmes.

Le rossignol voyagea donc jusqu'à l'antre du moineau. Arrivé à destination, il découvrit un oiseau aveugle. Le moineau, qui était télépathe, demanda au rossignol pourquoi il souhaitait tant une voix. Son interlocuteur ne répondit pas à sa question et lui demanda à la place pourquoi il ne voyait pas. Le moineau déclara qu'il a toujours été ainsi. Puis, il affirma qu'il préférait rester aveugle et ne percevoir le monde qu'avec son cœur. Selon lui, il valait mieux être un aveugle compatissant qu'être un voyant indifférent.

Il raconta au rossignol qu'il avait donné à son frère malade tout son stock de médicaments. Quand son frère se rétablit, il disparut sans le remercier et ne demanda jamais de ses nouvelles. Le moineau affirma avoir aidé son frère ingrat par bonté alors que ce dernier n'avait eu que des pensées méprisantes à son égard.

A la fin de son récit, il demanda au rossignol de lui décrire le paysage environnant. Le rossignol accepta de bon cœur et s'attela à la tâche. Quand il termina de dépeindre le panorama, le moineau lui proposa de lui tenir compagnie. En échange, il chanterait pour lui tous les jours. Le rossignol s'installa donc dans le repaire du télépathe et y vécut paisiblement jusqu'à sa mort.

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