Bella me présenta Quoto, une poupée blonde aux yeux violets vêtue d'une robe verte. Quoto était selon elle une poupée omnisciente. Elle répondait soi-disant à n'importe quelle question.
— Quoto, comment puis-je devenir riche ? Demandai-je à la poupée pour la tester.
— Prenez l'épée de Tamo, instruisit la poupée.
— Qui est Tamo ? S'enquit Bella.
— Tamo Le Courageux, dit machinalement la poupée comme si elle récitait une leçon, est l'arrière-grand-père du duc Eraïm. Il était un guerrier et le beau-frère de l'empereur Nowoma de Merkos. Il protégeait la frontière sud de Silène. Il fut gravement blessé lorsqu'il combattit des trafiquants de familiers. Comme il ne pouvait plus se battre, il fit fortune en achetant un terrain dans lequel un gisement d'or fut découvert et en investissant dans le Gang des Larmes. A sa mort, il fut enterré avec l'épée que le roi silénien Dériko lui remit quand il remporta à tout juste vingt ans la bataille des Dix Jours. Il avait vaincu un noble qui avait tenté de se rebeller.
— Si je vends cette épée, demanda Bella, combien puis-je en tirer ?
— Vous gagnerez au moins dix mille semos si vous vendez également les bijoux cachés derrière la brique rouge.
— Où se trouve cette brique ? Demandai-je très curieuse.
— Vous la trouverez près de la tapisserie représentant la construction de l'ancienne léproserie.
Siya et Bella, qui connaissaient la nécropole comme leurs poches, surent tout de suite de quelle tapisserie elle parlait. Elles se précipitèrent donc vers elle.
— Va au menhir, me conseilla ensuite Quoto. C'est important, insista-t-elle en ne me voyant pas réagir.
Je me rendis donc au menhir pour lui faire plaisir.
— L'abomination est là ! Crièrent soudainement des voix qui émanaient de la pierre. Je faillis mourir de peur quand elles me prirent au dépourvu. Mon cœur battait la chamade. Heureusement, il était solide.
— Quelle abomination ? Demandai-je en cherchant de qui elles parlaient. Évoquaient-elles Quoto ?
— Toi, me désignèrent-elles contre toute attente.
Je ne fus pas blessée car j'avais entendu bien pire. En effet, Séïra avait un jour invité la marquise de Dolan à un spectacle de marionnettes. C'était une femme arrogante qui regardait les autres invitées de haut. Parée de ses plus beaux atours, elle s'était vantée d'être la mieux habillée.
Elle m'avait demandé de lui apporter une assiette de friandises lors de l'entreacte. Quand je lui avais amené des pâtisseries, elle les avait renversés en prétextant être maladroite. Puis, elle les avait écrasés avec ses chaussures. Enfin, elle m'avait regardé dans les yeux en m'ordonnant de ramasser les miettes. «N'oublie pas où est ta place !», m'avait-elle dit méchamment. «Tu n'es qu'une vermine. Les parasites de ton genre ne méritent pas de s'agenouiller devant moi». Une servante m'avait aidé à nettoyer le sol quand la marquise avait quitté la salle où le spectacle se déroulait.
Comme je ne connaissais pas les voix, je décidai de leur accorder une chance de s'expliquer.
— Pourquoi suis-je selon vous une abomination ?
— Tu as été maudite à ta naissance, accusa une voix grave.
— Tu n'aurais jamais dû naître, me reprochèrent ensuite ses complices.
— Nous savons, reprit la voix grave, que le destin a fait de toi une monstruosité car tu es concerné par une prophétie.
— Quelle prophétie ?
— Une abomination naîtra quand le monde sombrera dans les ténèbres, récitèrent mes interlocuteurs.
Abandonnée par la destinée et marquée par le voleur insaisissable, elle détiendra un pouvoir inégalé.
Les mortels ne devront pas découvrir son don avant le jour du sacrifice. Si elle révèle son talent trop tôt, le chaos régnera à jamais.
Pour se battre contre ses ennemis, elle devra rendre aux dieux ce qui leur a été dérobé et compter sur ses alliés.
Quand elle triomphera, le pêcheur aux yeux blancs se repentira et le corbeau vertueux s'élèvera.— Je ne comprends pas ce que vous essayez de me dire.
— Tu le sauras en temps voulu, dit un viel homme à la voix chevrotante.
— Fais attention, intervint une femme, car un grand malheur s'abattra bientôt sur le duché
— Il ne pourra pas être évité, renseigna fatalement une voix sourde.
— De quel malheur parlez-vous ?
— Nous ne le savons pas, admirent les voix.
— Nous sentons toutefois qu'il approche, ajouta la voix grave.
— Notre instinct ne s'est jamais trompé, affirma la femme.
— Le sang coulera, avertit le vieil homme.
— Des innocents mourront, alerta un enfant.
— Des gens souffrirons, prévinrent ses comparses.
— Tu affrontras ton pire cauchemar, prophétisa une voix claire et froide.
— Je ne sais même pas quelle est ma plus grande peur car je crains beaucoup de choses.
— Que redoute-tu ? Demandèrent les voix.
— J'ai peur de mourir, répondis-je honnêtement. Je tremble quand j'entends parler des marchands d'esclaves. Je crains qu'ils ne me tuent moi aussi avec l'une de leurs flèches. Je redoute d'être choisie au prochain tirage au sort. Je suis terrifiée à l'idée de me retrouver seule et d'être séparé des Élues. Je refuse de perdre mes alliées. Les autres esclaves me permettent d'espérer et de ne pas couler face à l'indifférence des hommes libres. Je ne veux pas être englouti par une mer de froideur.
— L'avenir est parfois difficile à prédire, reconnut la voix froide. Mais, il est certain que tu surpasseras tes maîtres.
— Tu sauveras ceux qui t'ont fait du mal, renchérirent ses acolytes.
— Nous verrons. Je tracerai mon propre chemin, ajoutai-je après un court silence. Personne n'a le droit de décider à ma place si je suis ou non une malédiction. Je forgerai ma propre identité.
Les voix se turent. En regardant autour de moi, je remarquai que les démones et le génie n'avaient pas fait attention à cette conversation, comme s'ils ne l'avaient pas entendue. Ils triaient les parfums utilisés par les embaumeurs et pliaient des draps mortuaires.
Plus tard, les goules installèrent des matelas dans la nécropole. Tandis que les démones dormaient, je réfléchissais à propos des voix et de la prophétie. Qui étaient-elles ? Et quels autres mystères le cimetière dissimulait ?
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Les Élues
FantasyLe royaume de Silène, situé aux confins de l'Europe, était prospère grâce à ses nombreuses mines de diamants. Un dragon attaqua en 1457 la capitale du pays, Leïnna. Il menaça de réduire la contrée en cendres. Le peuple consentit en échange de sa sur...