La forêt semblait inerte à première vue, mais les loups géants hurlaient de temps en temps. L'intendant de Séïra, qui ouvrait le chemin, avançait rapidement sans se laisser distraire par leurs cris stridents. Ses gardes éclairaient quant à eux le sentier à l'aide de leurs torches.
Le plus volubile évoqua sa fille âgée de sept ans. Maldar aurait raconté à cette dernière, pendant qu'ils jouaient ce matin près de l'étang du domaine, que les grenouilles vivant dans les alentours étaient des princes charmants. Ils auraient été maudits par une sorcière jalouse de leur beauté.
La petite fille avait capturé une grenouille avec l'aide de sa nourrice. Ensuite, elle l'avait ramené à son père en lui annonçant que l'animal était un prince et qu'elle souhaitait l'épouser. Le garde lui avait alors demandé d'attendre quelques années avant de reparler du mariage et de relâcher l'animal dans la nature.
Il se tut soudainement quand son supérieur, qui était arrivé à une intersection, leva sa main droite.
Des chasseurs transportant des pièges s'approchaient de nous. Le groupe, composé essentiellement d'elfes noirs (12), était dirigé par Villor, le frère jumeau de Raige. Le chasseur expérimenté, vêtu d'un pourpoint noir et d'une cape assortie, portait un carquois et un grand arc. On le distinguait physiquement de son frère grâce à une cicatrice barrant sa joue gauche.
Villor salua rapidement son frère d'un hochement de tête et rentra dans la forêt, suivi de ses subordonnés.
Un chasseur se sépara du groupe. Il s'agissait de Boinor, le parrain de Lira.
— Salut Raige, comment vont les lavandières? Demanda le drow aux yeux brillants de malice. J'espère qu'elles ne sont pas devenues des fantômes !
— Rassure-toi, elles vont bien, répondit l'intendant. Le faucheur a retrouvé une vue correcte, alors il ne risque plus de confondre les vivants et les morts. Comment va Maya?
— La grande sœur de Lira deviendra une musicienne dans quelques semaines. Je lui prépare sa diyara (13). Je suis ruiné, se lamenta l'elfe noir en nous montrant sa bourse vide, car la couturière me réclame cent cinquante semos pour son accorade !
— Quelle tragédie, ironisa Raige. Je suis sûr que tu as encore dépensé tout ton argent dans des paris. De plus, tu dois aussi payer le tavernier pour les pichets de bière que tu as si généreusement offerts à Tiki.
— Le perroquet, contrairement à toi, est de bonne compagnie. Il ne refuse jamais un concours de beuverie.
— La prochaine fois, conseilla le roux, dit à Pontik de payer la consommation de son familier si tu veux économiser de l'argent. Sinon, je peux te demander de conduire Lysandre au cimetière ? Je dois vérifier si les chevaux ont été ramenés aux écuries.
— Tu peux compter sur moi ! En route vers le cimetière, déclara Boinor en me faisant signe de le suivre.
— Merci. Quant à toi, j'inspecterai ton travail dans une heure, m'indiqua Raige avant de se diriger vers les écuries avec ses gardes.
Par la suite, Boinor illumina le sentier, qui menait au cimetière, en faisant apparaître des libellules.
La magie m'inspirait de la répulsion autant qu'elle me fascinait. En regardant mon bracelet, je me remémorai le moment où le sorcier Zatran l'avait enchanté.
J'avais rencontré ce vieil homme étrange dès mon arrivée à Qualissa. Le magicien aveugle et barbu, qui ne communiquait qu'en chuchotant, avait murmuré une incantation en versant trois gouttes de mon sang sur le bijou. A la fin du processus, il m'avait averti de ne pas essayer de l'ôter, au risque d'être blessé. Je ne l'avais écouté que quand ma main avait commencé à pourrir.
—Si tu veux, proposa le drow en remarquant mon air morne, je peux faire apparaitre autre chose. Que veux-tu voir?
— J'ai toujours rêvé de rencontrer une hydre, confiai-je après un soupir. Ce serpent, contrairement à moi, ne craint pas la mort. En effet, si on lui coupe une tête, deux autres repoussent à la place.
— Il existe une hydre au Royaume Souterrain, se souvint Boinor avec nostalgie. Il s'agit de Banïa, le familier polyglotte de mon roi Quolios.
— Comment est-elle ?
— Je ne l’ai jamais vu. Mais selon la légende, chacune de ses têtes est dotée du don de parler une langue différente.
On raconte qu’une guerre éclata entre deux clans, les Ardros et les Tsïtos, quand ces derniers refusèrent d’enseigner aux premiers le Limaralien, une langue sacrée utilisée par mon peuple pour prier notre désse Dyphara.
La paix fut restaurée lorsque Banaïa traduisit le Baitora, un recueil de prières écrit en Limaralien, dans la langue commune.
Sur ces mots, il remplaça en un claquement de doigt les libellules par une hydre transparente et brillante. La créature se baissa vers moi pour que je la caresse. Puis, elle ronronna comme un chat et rampa vers le cimetière. A ma plus grande déception, elle disparut quand elle atteignit la porte principale de la nécropole.
12. Originaires du Royaume Souterrain, les elfes noirs, aussi connus sous le nom de drows, travaillent à Qualissa en tant que chasseurs. Ils considèrent qu'exercer un métier dangereux est un honneur.
13. La diyara est une fête durant laquelle les apprentis deviennent officiellement des professionnels au sein de leurs corporations. Avec ce nouveau statut, ils peuvent former eux-mêmes des individus. Lors de cet événement, les Siléniens revêtent des vêtements symboliques. Par exemple, les lavandières portent des chabbales (des manteaux blancs brodés de lotus à partir desquels la lessive qu'elles utilisent est fabriquée). De même, les accorades, des robes noires et oranges sont réservées aux musiciennes.
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Les Élues
FantasyLe royaume de Silène, situé aux confins de l'Europe, était prospère grâce à ses nombreuses mines de diamants. Un dragon attaqua en 1457 la capitale du pays, Leïnna. Il menaça de réduire la contrée en cendres. Le peuple consentit en échange de sa sur...