Quand Anéxa retrouva la vue, nous nous assîmes sur un banc en pierre recouvert de mousse au rez-de-chaussée de la tour de guet. Seule la moitié du bâtiment construit sur une colline avait survécu au temps : il ne restait qu'un mur épais et des petites ouvertures situées le long d'un escalier en colimaçon.
Avant de lire un poème, je montrai à la rousse la mystérieuse clé en or. Anéxa la prit difficilement dans ses mains à cause de ses bandages et la scruta de près. Dans un premier temps, elle ne découvrit rien de particulier. Puis, en inspectant l'anneau arrondi, elle vit grâce à sa vue perçante une minuscule tache rouge au centre d'un trèfle à quatre feuilles.
— Ce motif me fait penser à la légende de Siömur, remarqua Anéxa en me rendant la clé. Je l'ai entendu à la taverne la semaine dernière. Tu la connais ?
— Non, répondis-je en fixant le trèfle comme s'il allait me révéler ses secrets.
— Il y a bien longtemps, narra Anéxa, les dieux primordiaux Sérina et Krioz siégeaient sur le Trône du Chaos. Ils dirigeaient un panthéon d'une centaine de divinités. Sérina, la personnification de la Vie, offrait aux paysans une récolte abondante et aux chasseurs une grande quantité de gibier. Krioz, le dieu de la connaissance et de la sagesse, enseigna aux mortels les arts savants. Ils avaient une fille : Siömur, qui fut nommée à neuf ans déesse des voleurs à cause de sa cleptomanie.
Le jour de son seizième anniversaire, la jeune fille déroba à un invité une belle boîte à bijoux. A la fin de la fête, elle s'enferma dans sa chambre et tenta tout d'abord de crocheter la serrure de l'écrin, qui ne s'ouvrit pas. Ne baissant pas les bras, la déesse s'empara ensuite d'une hache cachée sous son lit et l'abattit de toutes ses forces sur le coffret. Comme toutes ses tentatives échouèrent, Siömur se résolut à voler la clé à son propriétaire.
A minuit, elle s'aventura dans l'aile des invités et croisa sa cible ivre dans un couloir, qui chancelait. Quand l'étranger s'écroula sur le sol, elle fouilla ses poches et trouva une clé en fer rouillée.
Puis, elle retourna dans sa chambre et ouvrit la boîte, qui ne contenait qu'un message griffonné sur un bout de papier : « L'appétit vient en mangeant. La gloutonnerie du voleur trop gourmand causera sa perte».
Elle lut les deux phrases plusieurs fois, refusant de reconnaître que l'invité avait été plus malin qu'elle. En retournant le papier, elle vit un trèfle à quatre feuilles. Pendant qu'elle le fixait, sa vue se brouilla et elle s'effondra.
Le lendemain, Sérina découvrit le cadavre de sa fille à côté du coffret. Au cours de son enquête, elle apprit que la boîte était maudite : elle tuait la personne qui la volait à son légitime détenteur.
Le mythe se termine bien, car la Mort accepta de ressusciter Siömur en échange du trône de ses parents. Je suppose que ta clé a un lien avec cette histoire, même si cela semble tiré par les cheveux.
— On dit que chaque mythe a une part de vérité. Comme celui-ci mentionne Idil, je demanderai à Lakan ce qui est vrai. En tant que faucheur, il sait peut-être quelque chose.
— Bonne idée ! approuva Anéxa avant de changer de sujet. Je t'envie tellement, Lysandre, car tu es instruite. J'aimerais lire de la poésie, mais je ne peux pas. Je suis née esclave et je n'ai jamais eu le droit d'aller à l'école (28).
— Je t'apprendrai à lire, tu verras, c'est très facile. Quand tu sauras déchiffrer un texte, tu pourras emprunter des livres à la bibliothèque pour t'entraîner. Mais avant, je vais te lire quelques poèmes...
Une heure plus tard ...
Narcisa, une ogresse (29) et archère hors pairs, m'avait proposé de l'affronter en duel. J'acceptai son offre avec enthousiasme et attrapai quelques couteaux. Puis, je la rejoignis au centre d'un grand cercle tracé au sol avec du sable.
Ysée, une drow qui arbitrait ce soir les affrontements, compta jusqu'à trois avant de donner le départ. Narcisa décocha une flèche à une vitesse fulgurante, que j'esquivai par une roulade. Puis, je répliquai sans attendre en lançant deux couteaux. L'ogresse les évita d'un bond vers la gauche.
Je dessinai par la suite une rune en forme d'étoile, Latron, pour rendre temporairement Narcisa léthargique. Cependant, elle n'eut pas l'effet escompté car l'ogresse ramassa une poignée de sable et me la lança au visage. En protégeant mes yeux avec une main, je sortis avec l'autre un flacon de ma poche et répandis son contenu par terre.
Narcisa fut rapidement enveloppée d'un nuage de poudre blanche. En sentant l'Ïdson, elle grommela : «Tu triches Lysandre ! Bon, tant pis ! Je reconnais ma défaite ».
28. Les enfants nés de parents esclaves héritent du statut de leurs parents. Bien que des esclaves aient tenté de présenter des doléances au roi, elles n'ont jamais atteint la cour et les plaignants ont été publiquement battus à mort par leurs maîtres.
Depuis l'arrivée du dragon, des nobles menacent également les jeunes femmes ou leurs familles de soudoyer les fonctionnaires locaux pour que leurs noms soient sélectionnés lors des tirages au sort. Cette menace suffit généralement à écraser tout espoir dans le cœur de ceux qu'ils exploitent.
29. Les ogres ont la peau violette, des yeux roses et une force impressionnante. De taille moyenne, ils possèdent un odorat surdéveloppé. Leur faiblesse est l'Ïdson, une odeur de clou de girofle qu'ils trouvent extrêmement nauséabonde.
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Les Élues
FantasyLe royaume de Silène, situé aux confins de l'Europe, était prospère grâce à ses nombreuses mines de diamants. Un dragon attaqua en 1457 la capitale du pays, Leïnna. Il menaça de réduire la contrée en cendres. Le peuple consentit en échange de sa sur...