5. La radio

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Flamme avait annoncé le décès de Corentin le jour d'après, coupant court les réjouissances du retour d'Andréas. Tout le refuge s'était réuni pour organiser des funérailles dignes de ce nom. Peu avaient connu Corentin, mais nous avions tous un deuil à faire, que ce soit un parent, un ami ou même un voisin, nous avions tous perdu quelqu'un. La guerre n'épargne personne.

Le soir même nous étions sortis dans les rues, chacun de portant une lanterne de papier blanc dans laquelle avait été allumée une bougie. Les paumes tournées vers le ciel, nous portions solennellement la petite flamme qui ondulait dans sa cage de papier. Nous avions marché en silence dans la ville, la procession de lumières illuminant nos pas d'une lueur tamisée. On aurait dit que toutes les étoiles du ciel étaient descendues et s'étaient réunies au même endroit pour rendre hommage à notre camarade, à notre ami, notre frère.

Nous descendîmes jusqu'aux berges du Rhône pour clore la cérémonie en déposant chacun notre tour notre précieux fardeau sur le fleuve, murmurant quelques mots d'adieu avant de laisser dériver les lanternes au gré du courant. Nous regardâmes les étoiles de feu et de papier s'éloigner tout doucement, toujours plus loin. L'un de nous, un jeune garçon nommé Duncan, se mit alors à fredonner un air sans ouvrir la bouche, produisant un mélange de sons plus ou moins graves ou aigües. Plusieurs voix le rejoignirent ensuite, ajoutant leur propre mélodie, leurs propres inflections, donnant à cet étrange air l'impression d'entendre une voix, insistante, un grondement qui faisait vibrer nos entrailles, aussi bien qu'un doux sifflement qui nous faisait flotter dans l'air, une berceuse venue du centre de la Terre. Le regroupement d'une multitude de timbres s'accordant dans une mystérieuse symphonie, chacun suivant sa propre partition mais pourtant ne formant qu'un avec les autres, pour rendre hommage à tous ceux qui n'étaient plus, à tous ces rêves perdus et toutes ces enfances terminées. Nous chantions tous pour exprimer ce que nous n'osions pas dire tout haut.

Les craintes.
Les peurs.
Les doutes.
Les cauchemars.
Les souvenirs.

Un hymne symbolique.

De retour au bunker, Camille et Arthur me demandèrent qui était Corentin pour moi. Alors je pris le temps de leur expliquer que Corentin et Andréas étaient les premières personnes que j'avais rencontré, à qui j'avais donné un faux prénom, une fausse histoire. Ils étaient le début de ce mensonge dont je ne pouvais plus me délester. Je leur racontai comment, déjà à ce moment là, ils étaient inséparables, deux meilleurs amis qui essayaient de toujours voir le bon côté des choses, même pendant la guerre. Que c'était Corentin qui avait voulu faire le tour de la France pour prévenir le plus de jeunes de l'existence du Refuge, et que bien sûr, Andréas l'avait suivi. Les larmes me montèrent aux yeux au moment d'évoquer leurs surnoms : Voyageur 1 et Voyageur 2. C'était moi qui avais commencé à les appeler comme ça pour les charier et puis on les avait gardés. Mais que voulaient-ils dire maintenant, alors qu'il ne restait plus que Voyageur 2...
Une moitié qui ne serait plus jamais complète.

Je m'excusai en partant soudainement, retenant mes larmes. Les murs de béton se brouillèrent sous mes yeux et la lumière des néons fut tout ce que je voyais. Une main m'attrapa le bras au détour d'un couloir, et relevant la tête tout en essayant de faire disparaitre l'eau de mes joues et de mes yeux, je vis que Flamme se tenait devant moi. Il fit semblant de ne rien voir, évitant obstinément de me regarder directement et je fit de mon mieux pour faire disparaitre les dernières traces de pleurs.

- Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je d'une voix légèrement tremblante dès que je me pensai suffisamment reprise.

Je maudis intérieurement la faiblesse qui transparaissait dans ma voix tout en adressant un de mes plus beaux sourires de façade à Flamme. Celui-ci daigna enfin croiser mon regard, me fixant assez longtemps pour que cela commence à m'embarrasser, ce dont il parut se rendre compte car il détourna les yeux en passant une main dans ses mèches brunes avant de s'éclaircir la gorge.

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