Point de vue de Flamme
Elle flotte à quelques pas de moi, le regard vide. Du sang séché macule ses habits et mon bras gauche me fait plus mal que jamais. Bien qu'il me semblait l'avoir perdue pendant l'attaque, une écharpe déchirée par endroit le soutien. Je ne comprends pas où nous sommes. J'ai beau tourner le regard dans toutes les directions, je ne devine rien d'autre que du gris. Même mes doigts paraissent plus ternes que d'habitude. Je m'approche doucement de cette silhouette qui lui ressemble tant mais pourtant n'est pas elle, j'en ai la certitude.
- Lyne ? ma voix s'envole dans un murmure qui ne l'atteint pas, comme si un mur nous séparait.
Je tends ma main vers la sienne, mais mes doigts ne font que traverser son corps. Il semble fait entièrement de brume. Et pourtant cela me paraît si réel à la fois. Je contracte la mâchoire et passe une main dans mes cheveux. Ce n'est pas le moment de flancher, je dois comprendre ce qu'il se passe. Et vite, car je sens que je ne suis pas loin de la folie. Mon regard dérive vers ses jambes. Inexistantes. Oui c'est cela, son corps flotte. En dessous de ses genoux il n'y a plus rien, qu'une brume diffuse. Soudain sa bouche s'entrouvre et de ses lèvres s'échappe un râle à peine audible.
- Meurtrier, reprend-t-elle un peu plus fort cette fois-ci.
Ma tête s'incline, la stupeur fige mes traits. Cette voix ce n'est pas la sienne. Ce ton s'infiltre jusqu'à mes os, il me fait trembler de l'intérieur. L'accusation s'élève, toujours plus forte, tourbillonne autour de moi, m'étouffe.
J'ouvris les yeux, mon souffle coupé par un étranglement. Mon cœur battait la chamade, ma poitrine se gonflant rapidement à la recherche d'air.
Meurtrier.
La sentence ne quittait pas mon esprit, alors même que j'étais bien conscient que ce n'était qu'un rêve. Un cauchemar.
Cette appellation était une dénonciation de ce que j'étais réellement.
Je l'avais tuée. Pas Élina, bien sûr, mais cette fille, la porte-parole. J'avais réagi sans réfléchir, à l'encontre de tout ce que je faisais habituellement. Et je l'avais tuée. Moi, qui avait juré que je ne deviendrai jamais comme lui. J'étais pourtant devenu quelque chose de pire. Moi, qui croyait que personne ne devait posséder le pouvoir de vie ou de mort, je m'en étais pourtant emparé. J'avais pourtant tué. Et ce faisant j'avais surpassé mon père. Certains diront que c'était un acte d'autodéfense, pour moi cela resterait un meurtre. Barbare, contraire à la plus profonde de mes valeurs, inhumain.
Je fis tourner la cigarette entre mes doigts, observant la fumée s'échapper de ma bouche. Ces doigts avaient tué, ces mains avaient tenu l'arme. Mes mains.
C'étaient ces mêmes pensées qui me tenaient éveillé depuis plusieurs heures, assez longtemps même pour que le soleil ait le temps de se lever. Une énième bouffée de fumée s'expulsait de mon corps quand des voix me tirèrent de mes pensées. Élina, non Diana me corrigeai-je, et son père, rattrapant l'année qu'ils avaient perdue. Un soupir m'échappa et je commençais à m'éloigner de la barrière du pont contre laquelle je m'étais accoudé quand une voix m'arrêta.- Flamme.
Mon surnom avait été lancé comme une question, remplie d'appréhension. Élina ne savait pas si je répondrai, et je n'avais pas prévu de le faire. Mais la pointe d'espoir dans sa voix me força à me retourner et à lui faire face. Je n'avais aucune envie de lui imposer ma présence, je n'avais fait que mettre en danger les personnes auxquelles je tenais. La meilleure chose que je pouvais faire était m'éloigner. Nous étions partis du bunker sous ma décision, c'était moi qui m'étais approché le premier de cette fille. Non, je n'étais certainement pas fait pour être chef, et cela était ma seule certitude. Je soutins son regard quelques instants avant de baisser les yeux en portant la cigarette à ma bouche, je retins mon geste au dernier moment en me souvenant de son avis sur la chose. À la place je dirigeai donc mon regard vers son père. Là où Élina... Diana avait les cheveux bruns, les siens étaient presque aussi claires que du blé, dansant au gré du vent autour de sa tête. Il m'adressa un sourire de salutation, que je lui rendis avec un hochement de tête.
- J'aurais dû te dire la vérité, je suis désolée.
Mes yeux retournèrent d'eux même sur Lyne et un air indulgent se dessina sur mes traits.
- Non, la corrigeai-je doucement en secouant la tête. Tu as menti pour une raison, je respecte ça. Mais tu n'avais pas forcément besoin de masquer que ce n'était pas vraiment toi. On a tous des surnoms, tu te souviens ? Alors cela aurait pas changé grand chose.
- Laisse moi reformuler, dit-elle quand j'eus fini, j'aurais aimé t'avoir dit la vérité, j'aurais... J'aurais aimé lui avoir dit la vérité.
Sa voix avait tremblé sur la fin de sa phrase, et même sans préciser de qui elle parlait, je compris. Un silence de connivence passa entre nous, il y avaient beaucoup de choses que nous aurions aimé dire à Andréas. Un goût amer s'accrocha à mon palais, sans moi il se serait peut-être encore tenu debout, juste là, à nous faire remarquer qu'un prénom ne changeait pas grand chose et que c'était ce qu'on choisit de faire qui nous définit plus que tout autre facteur.
Un chef cynique, à la démarche sévère ? C'est ce qu'ils voyaient tous n'est-ce pas ?
Mais si seulement ils savaient, que je serai descendu jusqu'aux enfers moi même si j'avais pu ramener ceux qui n'étaient plus. Mais même Orphée n'avait pas réussi cet exploit. Alors à quoi aurai-je prétendu, moi, le garçon qui était devenu chef simplement parce que les gens l'écoutaient. Simplement parce qu'il avait déjà passé sa vie à essayer de survivre. À quoi aurai-je prétendu si même les héros ne pouvaient pas contrer la mort ? Qu'est-ce que je valais de plus ?
Rien.
Absolument rien.
Voilà quelle était la réponse.Un raclement de gorge me tira encore une fois de ces pensées qui revenaient en boucle.
- Je crois que vous êtes d'accord donc, si j'ai bien suivi, demanda le père de Lyne.
Deux hochements de têtes
- Caporale, la saluai-je en tirant un chapeau imaginaire. Monsieur, ajoutai-je à l'attention de l'homme qui couvrait sa fille d'un regard protecteur.
Puis je tournai des talons, retournant m'accouder contre la rambarde de bois qui encadrait le pont nous soutenant, tirant une cigarette de ma poche. J'étais à mi-chemin quand la voix d'Élina s'éleva une dernière fois à mon attention.
- Je te fais confiance, Ange, je l'ai toujours fait.
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New Hope for Humanity
Adventure~ Obligés de devenir quelqu'un d'autre pour survivre, ils essayent d'oublier leur passé. Mais les souvenirs sont parfois difficiles à retenir et leur histoire pourrait bien finir par les rattraper ~ En 2023 la 3e guerre mondiale a éclaté, conduisant...