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— Arrête ce petit jeu la avec moi, s'exclame Marine d'un ton faussement accusateur. Si moi je ne sais pas où je vais dans ma vie sentimentale alors toi tu es un cas désespéré, Jess. Et c'est pas faute d'avoir essayé de te caser en plus.

    Nous nous esclaffons, laissons nos rires cristallins s'envoler dans le ciel de la capitale. Assises face à face sur le balcon de notre appartement, ma colocataire attrape une cigarette de son paquet qu'elle me tend ensuite, son large sourire toujours greffé au visage. Le voile sombre de la nuit flotte déjà au-dessus de nos têtes et la fraîcheur de cette fin de mois de mars n'est pas désagréable.

— Tu ne le sais que depuis Sebastian, me moqué-je. Et puis si par cas désespéré tu entends spontanée alors j'accepte ma sentence.

    Elle ouvre grand la bouche, laisse échapper un cri d'offuscation exagérée. Je ris de plus belle et elle ne tarde pas à m'imiter.

     Sebastian est son petit-ami depuis maintenant plusieurs mois. Si leur relation a commencé sur des chapeaux de roues, elle est enfin stable aujourd'hui et les comble de bonheur. Avant lui, Marine ne connaissait ni le couple, ni les relations exclusives et encore moins l'amour. Maintenant, elle apprend doucement les trois en même temps et il faut dire que ce n'est pas toujours de tout repos.

    Mon homologue attrape une mèche de ses cheveux blonds et l'agite machinalement autour de sa main libre en m'adressant un sourire narquois.

    Je soupire, les lippes étirées puis me perds dans mes pensées. Je n'ai absolument pas recontacté mon meilleur ami depuis la dernière fois, depuis le jour où Marine m'a découverte en larmes dans la chambre. Elle ne m'a posée aucune question, m'a soutenue comme elle pouvait et m'a laissée faire les choses à mon rythme. Ce n'est qu'au bout de quelques jours que je lui ai tout raconté. Elle n'a rien dit, m'a juste écoutée avec attention. 

     Maintenant que du temps a passé, je voudrais ses conseils. Je balade mon regard sur son visage et inspire doucement.

— Tu penses que je devrais accepter, murmuré-je pour lancer sur la table la question qui me brûle l'estomac, ce stage et tout ça ?

    Elle plonge ses prunelles dans les miennes un instant, comme pour sonder mon esprit, vérifier ce que je viens de dire. Elle devine probablement mon inquiétude et mon besoin d'être rassurée puisqu'elle me demande d'une voix douce :

— Tu ne le penses pas ?

— J'en sais rien justement. J'ai passé les trois pires jours de ma vie rien qu'à imaginer ce que ça pourrait être que de retourner là-bas alors franchement non je ne pense pas être prête.

— Tu penses ne pas être prête ou tu ne veux pas l'être ?

    Elle a lancé sa phrase d'une traite, presque instinctivement. Bouleversée par ses question, je ricane nerveusement.

— Quelle différence ça fait ?

    Marine ne lâche pas mon regard. Son corps s'approche doucement du mien, elle reste très calme.

— Ça change tout, Jess. Entre vouloir et pouvoir il y a une énorme nuance, mais je t'apprends rien, pas vrai ?

    Effectivement, mais mon dilemme des derniers jours n'en reste pas moins le même. J'ai l'impression de plus épuiser mon cerveau en quelques secondes que si plusieurs années s'étaient écoulées. Comment prendre une vraie décision dans ses conditions ? Cette ville est hantée du fantôme de Camille et je suis paralysée à l'idée de retourner à l'endroit qui m'a tant brisée. Alors que faire ? Privilégier le professionnel et accepter, avec tous les risques et la douleur que ça implique ou rester ici, potentiellement mettre en suspens mon rêve mais sauver ma santé mentale ? 

L'ivresse de notre haine - gxgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant