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A son tour Inès acquiesce mais ne dit rien. Elle tourne les talons et disparaît de ma vue à peine plus tard. Je ne pense pas que ma nouvelle tentative soit un franc succès mais c'est un bon début. Quatre phrases sans qu'une de nous ne s'énerve, c'est un record.

    Je retrouve ensuite Maud dans notre bureau et je passe la fin de matinée à corriger une dizaine d'articles indiqués sur la fiche que m'a donnée Inès. Je deviens de plus en plus à l'aise avec tous les mécanismes de corrections et prends tout doucement la main avec les logiciels.

    Bizarrement, Inès passe plusieurs fois en trombe devant notre porte en verre mais ne m'adresse aucun regard. Tant mieux, songé-je Elle a l'air complètement débordée, s'agite dans tous les sens et ne quitte pas son téléphone des yeux. Cette image me ferait presque de la peine si Inès n'était pas aussi cruelle.

    Je rabaisse les yeux vers mon pc et me concentre à nouveau sur mon travail. Lorsque l'horloge murale finit enfin par indiquer l'heure du déjeuner, mon tuteur et moi décidons de nous octroyer une pause bien méritée. Toutes les deux sortons notre sandwich de notre sac et nous asseoir sur une table dans la salle de pause où je reconnais Leslie. Lorsqu'elle me voit, elle interrompt la trajectoire de sa fourchette pour m'adresser un grand sourire accompagné de son traditionnel geste de la main.

— Alors comme ça tu pars à Biarritz la semaine prochaine ?, me demande-t-elle après l'échange de quelques banalités. Déjà des vacances alors que tu viens de commencer, veinarde !

    Ce voyage me suivra donc partout !

    Je lui dévoile néanmoins un faible rictus.

— Avec Inès oui, on part vendredi.

— Tu n'es pas trop stressée ?

    Je n'ai même pas le temps de répondre que Maud me devance :

— Laisse-la espèce de fouine, évidemment qu'elle est stressée c'est son premier voyage en tant que stagiaire.

— Et tu pars juste avec Inès en plus, ajoute Leslie dans un haussement d'épaules. Ça va carrément pas être de tout repos, pas du tout même. Je me souviens de comment elle t'avait accueillie le premier jour, j'en fais encore des cauchemars.

    La brune soupire et ferme les yeux. Heureusement qu'elle avait demandé de ne pas en rajouter ! Finalement Leslie hoche la tête et change de sujet pour mon plus grand plaisir :

— En tout cas elle, elle ne s'arrête pas depuis ce matin. Elle court partout sans arrêt c'est incroyable. On s'étonne après que je jalouse ses mollets de déesse !

    Maud éclate de rire devant l'air sérieux de la blonde et je la rejoins presque aussitôt. Face à nos éclats, la secrétaire fait la moue ce qui nous amuse encore plus. Et comme si elle nous avait entendues, Inès se dresse soudainement face à nous, sachet repas à la main et sourire aux lèvres. Ma colocataire de bureau l'invite à s'asseoir avec un regard amical. Leslie me lance un coup d'oeil inquiet auquel je réponds par un petit sourire. Inès ne fait pas attention à moi, son visage est uniquement tourné vers Maud. La catalane s'installe et sort de son petit sac un petit sandwich à la mortadelle ainsi qu'une pomme. Elle croque un morceau avant de soupirer de contentement.

— Je crois que j'ai bien mérité une petite pause. Je suis vraiment débordée aujourd'hui.

— Tu te donnes toujours trop, lance Maud. Tu sais que tu n'as rien à prouver, tout le monde est derrière toi et te fait confiance.

    Inès ricane doucement puis hoche la tête.

— Oh si j'ai des choses à prouver, plus que quiconque ici même.

    Maud ne répond pas et change de sujet. L'atmosphère s'allège grâce aux plaisanteries de Leslie et pour la première depuis le début du stage, j'entends Inès rire. Et ce son est clair, réconfortant. Je suis presque attendrie devant cette image, devant son sourire carré qui me laisse entrevoir sa gencive. Finalement, elle me regarde mais pour la première fois, il n'y a pas de tensions entre nous deux, l'air est léger. J'ai eu raison de vouloir apaiser les conflits. Comme d'habitude, ses yeux attrapent les miens mais cette fois, ils ne cherchent pas à les contrôler. Nos prunelles se cherchent avec harmonie et mes lippes s'étirent en coin, mon centre s'accélère. Je ne veux pas que cet échange s'arrête, je ne vois plus rien autour. Mais la symphonie de notre discussion silencieuse s'essouffle lorsqu'elle baisse ses prunelles vers son déjeuner. Est-ce de la gêne que j'ai vu briller dans ses yeux ? Cette Inès est si différente de celle que j'ai pu rencontrer, plus vulnérable, plus humaine.

    Lorsque je tourne la tête, je croise le regard de Maud qui m'observait déjà, les sourcils froncés. Elle brise ensuite le contact visuel et me laisse sans comprendre.

    Après le repas, la journée passe bien plus vite. Je travaille sans relâche pour boucler encore plusieurs articles avant de les transmettre à l'impression. Dix-sept heures arrive enfin et je quitte le bureau. Maud était déjà partie depuis presque une demie-heure et nous n'avons pas échangé un mot de l'après-midi.

    Devant le tourniquet, mon cœur s'emballe lorsque j'aperçois Jonatan un peu plus loin. Toujours avec ses lunettes de soleil, il agite ses bras devant lui et dès que j'arrive à sa hauteur, il ébouriffe mes cheveux. Je lève les yeux au ciel dans un soupir. Il nous ramène à son appartement et nous profitons d'un bon repas entre amis. Un peu après vingt heures, mon téléphone vibre et un mail d'Inès apparaît sur mon écran.

Inès Muño-Kellgéra

À Jessica Evans :

    Le train nous attend à Montpellier dimanche à 13H.

    Voilà votre billet.

    Soyez ponctuelle ou je me verrai dans l'atroce obligation de partir à Biarritz sans vous.

    Inès.

    Absence d'un « bonsoir » ou d'une quelconque phrase de politesse, du Inès tout craché. Malgré tout son message me fait sourire, il transpire le sarcasme. Partir sans moi  est la seule chose qu'elle attend mais je refuse de lui donner ce plaisir.


Jessica Evans

À Inès Muño-Kellgéra :

    Bonsoir,

    Navrée de vous décevoir mais je serai même en avance à la gare.

    Hors de question que je vous laisse partir sans moi.

    Cordialement,

    Jessica.

    Curieusement, la réponse qui arrive n'est pas du tout celle que j'avais imaginé.


Inès Muño-Kellgéra

À Jessica Evans :

    Alors le temps semble être propice aux bonnes surprises.

    Inès.


    Un sourire traverse de plus belle mon visage et curieusement, une vague de chaleur s'empare de mon ventre.

— Pourquoi tu fais cette tête, me demande Jonatan en même temps qu'il s'approche de moi. C'est qui ?

    Sortie brusquement de mes pensées, je sursaute et tourne mon téléphone pour qu'il ne puisse pas lire. Devant mon hésitation, il me relance, cherche le contact visuel. Les yeux fixés sur le ciel azur, je souffle :

— Personne d'important.

L'ivresse de notre haine - gxgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant