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Certaine d'affronter de nouveaux reproches pour une raison que j'ignore encore, j'accélère la cadence jusqu'à l'agence. Mon centre résonne dans mes tempes et l'appréhension mélangée à l'excitation de revoir Inès après ce qu'il s'est passé me remue l'estomac. Je me demande de quelle manière elle va agir avec moi mais je sais déjà que de mon côté, le fait de me retrouver face à ses yeux perçant aujourd'hui va annihiler toutes mes capacités de réflexion.

    Si seulement je pouvais mettre un masque avec elle; un masque qui représente toujours mon visage mais avec une émotion neutre, une aura impénétrable qui l'empêcherait de lire en moi comme elle le fait, je serai invincible.

    Devant le tourniquet, je prends une grande inspiration. Je sais que Leslie n'a pas encore embauché et que son bureau sera désert. Je comptais sur son sourire quotidien pour me donner la force d'affronter cette journée. Mais je suis livrée à moi même, j'ai chaud et j'ai peur.

    Un cocktail d'émotions ragoutant qui doit avoir un goût et une odeur atroce.

    En avançant dans l'entrée je tombe nez à nez avec Inès. Elle porte une longue chemise qui tombe sur un pantalon droit. Cerbère s'avance vers moi, faisant claquer la semelle de ses bottines sur le sol. Elle s'arrête à une distance raisonnable et me salue à peine. J'ai l'impression d'être en apnée tandis qu'elle me scanne du regard.

    Est-ce qu'elle va parler ?

    L'air se fait de plus en plus rare tandis que ma gorge se noue de la voir silencieuse face à moi. Je déglutis, cherche à toute vitesse un moyen de me sortir de cette situation inconfortable.

    Est-ce que je vais réussir à parler ?

    Son visage est fermé, sa mâchoire serrée et son regard flotte sur moi sans jamais se fixer. Je prends une grande inspiration. Peut-être qu'elle a peur et qu'elle ne sait pas comment commencer une conversation maintenant que nous avons couché ensemble. Ou alors elle attend que ce soit moi qui fasse quelque chose.

    Courage Jessica, c'est pas le moment d'être timide.

— Bonjour Inès, réussis-je à articuler, vous allez bien ?

    Je me maudis de n'avoir rien trouvé de mieux à dire que cette phrase bateau. Maintenant elle va voir que je suis mal à l'aise et cette discussion ne pourra que me gêner davantage.

    Inès arque un sourcil, hoche la tête. Elle met quelques secondes avant de me demander :

— Et vous ? Vous avez l'air fatiguée ce matin.

    Mon anti-cerne n'a pas suffit à cacher le massacre visiblement. Je passe mes doigts sur la poche sous mes yeux. J'en ai toujours eu mais dès que je dors moins bien c'est encore pire.

— Je sais, ricané-je après un temps, j'ai les cernes violettes. J'ai essayé de les cacher pourtant !

    Un nouveau silence.

— Vous n'avez pas choisi tout à fait la bonne couleur de maquillage alors on voit la démarcation.

    Je pince mes lèvres l'une contre l'autre. Mon coeur bat à la chamade, je veux m'éclipser pour pouvoir enfin respirer. Notre discussion n'a jamais été aussi peu fluide et aussi crispante. Pourtant, c'est comme si nous étions toutes les deux figées face à face sans pouvoir se quitter.

— Vous travaillez chez Sephora ou quoi ?, tenté-je de plaisanter.

— Non, répond-elle. Je vous donnais simplement un conseil. Mais vous savez je pense que vous ne devriez pas tenter de les cacher, votre visage ressemble moins à votre visage comme ça et c'est dommage. Enfin je me comprends.

    Inès tourne la tête, mordille l'intérieur de sa joue. Elle regarde autour d'elle mais le hall d'entrée est vide.

— Cette discussion est gênante non ?, ose Cerbère.

    Bizarrement je suis soulagée qu'elle ressente la même chose que moi. Je souffle.

— Oui, mais je pense qu'on ne sait pas trop comment agir depuis qu'on a...

— Peut-être bien, me coupe Inès en relevant sa main. Dans ce cas autant faire comme avant et revenir à nos bonnes vielles habitudes.

    Sans me donner d'explications, elle me fait signe de la suivre. Nous pénétrons dans le couloir et revoir le lieu de notre crime fait naître des frissons dans tout mon corps. Inès s'arrête devant la porte en face de son bureau.

— Voilà votre nouveau poste, c'est ici que vous travaillerez à partir de maintenant. Et ce changement prend effet immédiatement.

— Je ne suis plus avec Maud ?, articulé-je.

— Non.

    Je voudrais lui demander de développer sa réponse mais je ne parviens pas à parler. Pourquoi me déplace-t-elle maintenant ? Il n'y a aucune raison de le faire si précipitamment. Même si mon entente avec Maud n'est pas au beau fixe ces derniers temps, l'avoir près de moi me rassurait et me donnait plus d'assurance et de confiance dans mon travail.

    Inès me tend sa fiche de consigne quotidienne avant de pénétrer dans son bureau et je n'ai pas le courage de la retenir pour lui faire part de mes doutes. Je soupire.

    Ma nouvelle pièce est spacieuse, teintée de bleu et la fenêtre donne sur une petite place pas loin de la rue piétonne. Conquise, je m'assois sur le fauteuil à roulette devant l'ordinateur avec un sourire greffé au visage.

    En relevant la tête, je peux voir par les pans de verre Inès au téléphone dans son bureau. Son visage est sérieux et ses mains s'agitent dans tous les sens au fur et à mesure qu'elle parle. Elle finit par raccrocher et nos regards se croisent. Je baisse immédiatement la tête les paupières pressées l'une contre l'autre.

    Après une longue expiration, je retrouve mes esprits. Inès a repris ses activités et pianote sur son ordinateur. Un petit sourire apparaît sur mes lèvres.

    Elle travaille avec des lunettes ?

    Mon téléphone fixe résonne et interrompt le flux de mes pensées.

— Allô ?, demandé-je en décrochant.

— Salut Jess, c'est Leslie !

    Entendre sa voix me met du baume au coeur. Après un souffle elle reprend :

— Inès m'a demandée de te transférer un mail. Tu l'as reçu ?

    Je regarde en même temps mon écran et aperçoit le message de Leslie.

— Oui c'est bon je l'ai !

— Super. Alors je te résume le truc, en gros c'est par rapport à Arthur Jaidit. Il a pris rendez-vous, il doit passer demain. Il est metteur en scène et veut qu'on fasse toute la promo pour son spectacle avec une annonce de recherche de figurants. J'ai pas trop compris ce qu'Inès m'a racontée ensuite mais elle veut que ce soit toi qui t'occupes du projet !

    Trop excitée je bondis sur ma chaise mais je retrouve vite la raison.

    Inès qui me confie un projet à faire seule, il y a anguille sous roche.

    Pourquoi ferait-elle un tel pas vers moi si ce n'est pas pour me voir échouer ?

    Sa fausse gentillesse cache parfaitement ses intentions et me donne la nausée. J'aimerai me tromper, qu'elle ne soit pas aussi vicieuse mais la probabilité est faible.

    Il faut que je lui parle.

    Leslie raccroche et une fois en tête à tête avec le silence je ne sais plus quoi penser. Mon coeur me dit qu'Inès ne me ferait pas une chose pareille mais ma tête me persuade du contraire.

    Elle en est capable et c'est ce qu'elle fait, me répété-je en boucle.

    J'ai besoin d'entendre de sa propre bouche ses raisons. Elle qui veut gagner soit disant à la loyale a visiblement choisi de dériver vers les coups bas mais je ne me laisserai pas berner.

    Je dois en avoir le coeur net.

L'ivresse de notre haine - gxgOù les histoires vivent. Découvrez maintenant